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le monde était plein d'ardeur de s'installer dans les régions nouvelles, et personne ne désespérait plus de l'avenir de la colonie. Les fermes et les cultures se multipliaient à l'envi, au prix, il est vrai, du sang et de la vie d'innombrables esclaves. La récente conquête du Xaragua et de Higuey avait accru de beaucoup le nombre des bras serviles, mais leur destruction augmentait aussi à proportion. Il en périssait autant dans les travaux agricoles et domestiques que dans les corvées publiques des mines et des routes. On ne faisait pas la moindre estime de la vie des aborigènes. Depuis 1501, on avait commencé à introduire dans l'île des esclaves africains. Ceux-ci étaient achetés; mais ceux-là, recrutés aisément, sans peine et sans frais, ne coûtaient rien. Une mortalité effrayante éclaircissait tous les jours leurs rangs. Jamais guerre ou épidémie meurtrière ne fit un tel ravage. Les Africains eux-mêmes, quoique robustes, fléchissaient sous le joug de fer de l'esclavage colonial; et, se regimbant, dès lors, contre ses cruelles sévérités, ils excitaient les naturels à l'insoumission, et les entraînaient avec eux dans leur fuite au fond des montagnes. La population coloniale était déjà assez forte pour occuper les campagnes, et se grouper dans les villes. Plusieurs villes ou bourgs furent fondés à cette époque, la plupart sur les ruines d'anciennes bourgades indiennes Azua (Azoa ou même Azua); Saint-Jean de la Maguana, où résidait autrefois le cacique Caonabo; Léogane, dont le nom dérive de Yaguana, ancienne capitale du Xaragua; Yaquimo, nom indien qui a formé celui d'Aquin; Puerto-Réal, Larès de Guahaba, et Higuey, transformé en bourg espagnol, dès l'origine même de son occupation par J. Esquibel. D'autres

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bourgs, vers le même temps ou peu après, furent bâtis sur différents points: la Buenaventura, près des anciennes mines de Bonao, la Conception, Santiago, Porte-Plate et le Cotuy, dans l'Est et le Nord-Est; puis, dans le Xaragua, Salvaleon et Santa Cruz de Acayaza

gua.

L'île d'Haïti avait entièrement changé d'aspect, et, de ce moment, une nouvelle ère s'ouvrait à l'activité et à la civilisation coloniales, mais une ère fatale pour la race conquise.

CHAPITRE XII

(1504-1517)

Retour de Colomb en Espagne. Il touche à Haïti. Affront qu'il reçoit d'Ovando. Son arrivée en Espagne, et en même temps, mort de la reine Isabelle. Dernières volontés de cette reine en faveur des Indiens. Promesse qu'elle obtient de Ferdinand du rappel d'Ovando. Effet que cause cette mort dans le NouveauMonde. Nouvelles instructions prescrites par Ferdinand en faveur des Indiens. Décret qui favorise le mariage des Espagnols avec des Indiennes. Prospérité de la colonie. Les aborigènes réduits Rareté de bras. Introduction des premiers africains Immigration forcée des Indiens des Lucayes.

à 60,000.

dans l'île.

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EpiSon fils Diego lui succède

dans ses droits au gouvernement d'Hispaniola. Rappel d'Ovando.

Diego gouverneur.

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Il prend le titre de vice-roi. Cour de

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Propagande religieuse en faveur des Efforts faits dès lors pour l'abolition Las Casas se distingue et mérite le titre de proCommission de hiéronymites nommée pour

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cette vice-royauté coloniale. Indiens. Prédications. de l'esclavage. tecteur des Indiens. assister don Diego dans le gouvernement d'Hispaniola. des commissaires religieux. Mort du cardinal Ximenès. de Ferdinand. — Avènement de Charles-Quint au trône d'Espagne. Débats soutenus en sa présence par Las-Casas. Projet et plan de conversion des Indiens au christianisme dont il s'engage à faire l'essai. Cumana, le point choisi pour cet essai. - Nul bien ne résulte de tous ces débats pour les aborigènes d'Haïti; au contraire leur sort empire. - Rappel des hiéronymites, néanmoins CharlesQuint décrète de nouvelles mesures favorables aux Indiens.

En dépit de tout ce qu'on avait fait pour l'empêcher, Ch. Colomb, avant d'aller mourir en Espagne, devait

revoir la terre d'Haïti. On lui en avait interdit l'entrée, lorsqu'en passant dans sa dernière navigation pour découvrir la Terre-Ferme, il l'avait sollicitée pour faire radouber un de ses navires, et se mettre à l'abri d'une tempête qui s'annonçait. Il l'obtint, enfin, à son retour, non sans beaucoup de peine, quand la mesure de sa détresse était comblée. Il avait éprouvé dans ce voyage les plus amères tribulations, les plus cruelles souffrances. Après avoir lutté sans relâche contre les Indiens des régions nouvelles qu'il avait découvertes, et contre ses propres compagnons révoltés contre lui, il s'en retournait en Espagne abreuvé de dégoût, épuisé de fatigues, et conduisant à bord, dans les fers, Porras, le chef de ses compagnons insurgés, pour le livrer à la justice de ses souverains, ne voulant pas se venger luimême. La foule se porta à son débarquement, et le reçut avec des démonstrations de sympathie et d'intérêt; elle lui fit cortège jusqu'à la demeure du gouverueur, où un logement lui était préparé. Ovando l'accueillit avec bienveillance, et l'entoura de tous les soins et des attentions d'une généreuse hospitalité. Il y avait de quoi surprendre C. Colomb qui s'y attendait si peu; et toute cette politesse inespérée était d'autant plus inexplicable pour lui, qu'en même temps il recevait du commandeur un cruel affront. Ovando, informé de la détention de Porras, à bord, exigea que le prisonnier lui fût livré, malgré l'objection de l'amiral que cet officier était placé sous sa juridiction. Le commandeur prétendait, au contraire, qu'il n'appartenait qu'à lui de connaître de son délit. Aussitôt que Porras lui fut conduit, il le remit en liberté. C. Colomb dévora cette humiliation; mais, ne pouvant pas supporter d'être traité si

être

indignement sur cette terre qu'il avait découverte et qu'il aimait, il s'empressa de la fuir. Il s'éloignait cette fois pour toujours du Nouveau-Monde, conquête de son génie, livrée, au mépris de ses droits, à l'ambition et à la cupidité de ses ennemis. Il arriva en Espagne, pour assister, en quelque sorte, à la mort d'Isabelle, à laquelle il ne devait pas lui-même survivre longtemps. Et peutque le malheur de perdre sa protectrice puissante, au moment où il avait le plus besoin de son appui, contribua à hâter sa fin. Cette illustre reine manquait, en même temps, à des millions d'âmes qui avaient aussi besoin de sa protection. Le nombre de ses sujets indiens s'était considérablement accru par de récentes découvertes, et la même destruction qui avait pesé sur les naturels d'Haïti menaçait ces nouveaux infortunés sa sollicitude n'en avait que plus à veiller, à prévoir, et, sûrement, à gémir. Ses projets et ses plans d'humanité avaient été continuellement éludés, ou n'avaient jamais été exécutés, et, malgré ses constants efforts et tous ses ordres, la force des choses, c'est-à-dire le mal, l'emportait toujours sur les plus nobles résolutions de son cœur, et sur sa ferme volonté de faire le bonheur de la race innocente et cruellement opprimée. Elle seule, peut-être, en Espagne, ne se réjouissait pas des nouvelles de la prospérité coloniale d'Haïti qui y arrivaient depuis quelque temps, sachant bien ce que cette prospérité coûtait de larmes et de sang. Elle avait frémi d'horreur au rapport des massacres d'Ovando dans le Xaragua et le Higuey, et lui en avait gardé un irréconciliable ressentiment. Elle n'avait jamais cessé d'opiner pour son rappel, et on assure qu'avant de mourir elle obtint de Ferdinand la promesse de le révoquer. L'amé

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