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ILES ADJACENTES

Les îles adjacentes dont les noms primitifs nous ont été conservés sans altération, ou à peu près, sont le Guanabo et la Mona ou Amona; puis enfin Adamanoy ou la Saône.

ILE BANEQUE

A Cuba, les Indiens parlèrent à Colomb de plusieurs pays voisins riches à visiter. Ils lui indiquèrent d'abord Haïti ou Bohio, deux noms de la même île, dont l'un signifie terre montagneuse, et l'autre grande terre ; et ensuite Banèque ou Badèque ou Bavêque. Banèque est une île, suivant ces Indiens, « où les habitants ramassaient, la nuit, sur la plage, de l'or avec des bougies allumées, et en faisaient des lingots avec un marteau». Elle valait, assurément, la peine qu'on s'empressât de la découvrir; aussi l'amiral paraissait-il assez désireux ou impatient d'y atteindre. Il partit du fleuve de Mares qui se jette dans l'un des ports de Cuba, le 12 novembre, à la recherche de cette ile. Après avoir fait huit lieues le long de la côte, il trouva devant lui un fleuve, et, quatre lieues plus loin, un autre; il ne voulut s'arrêter, ni entrer dans aucun d'eux, parce que le temps et le vent étaient favorables pour aller chercher l'île Banèque. Banèque était à l'Est de la position où il se trouvait, d'après les renseignements qui lui avaient été donnés, et la durée du voyage, ajoutaient les Indiens, était de trois journées seulement, à partir du fleuve de Mares. Or, l'amiral jugea plus favorablement encore de la proximité de cette île, en tenant compte que 'es trois journées étaient la mesure des canots indiens, et que ses voiles diminueraient de beaucoup cette distance. Cependant il n'avait pas encore atteint la pointe Maïci, d'où il devait débouquer pour prendre librement la mer, que les vents vinrent à diminuer, puis à changer. Il s'attarda, contre son gré, sur les côtes de Cuba qu'il longeait toujours. Il assura, en sortant d'un port qu'il appela du Prince, qu'il avait aperçu à l'Est cette ile Banèque et qu'au moment de s'y diriger les vents lui devinrent tout à fait contraires, et qu'alors il résolut de retourner dans le port du Prince.

Colomb en fut contrarié ; il s'inquiéta vivement d'une autre circonstance. Il soupçonnait Alonzo Pinson de vouloir s'approprier l'avantage de découvrir seul ou le premier cette île, parce que celui-ci avait conçu l'espoir d'y trouver une grande quantité

d'or, sur la foi des mêmes renseignements qui lui avaient été donnés. Alonzo Pinson paraissait en avoir eu effectivement le dessein, puisqu'il s'était séparé des deux autres bâtiments, non seulement sans en avoir reçu l'ordre, mais même contre la volonté de l'amiral. Il partit donc sans être forcé de s'éloigner par aucun mauvais temps, mais seulement parce qu'il le voulut bien, et de propos délibéré. « Pinson, s'écria l'amiral, m'a fait et dit bien d'autres choses!» Pendant toute la nuit on navigua sans perdre la terre de vue. L'amiral fit plier ou ferler quelquesunes de ses voiles et tenir constamment son fanal allumé, parce qu'il lui parut, pendant un moment, que Pinson venait à lui,. ce qu'il aurait fort bien pu faire, s'il l'eût voulu, car la nuit était très belle et très claire, et il faisait un vent doux et frais. Mais Pinson suivit la route de l'Est pour aller à l'île Banèque. Il parait alors que l'amiral, tout désireux qu'il était d'aller aussi à Banèque, se dirigea de préférence vers la grande île dont il avait entendu vanter de même la fertilité et les richesses; et il est naturel de penser qu'il prit le parti d'aborder à Haïti qu'il voyait si près de lui, couronnée de ses montagnes; il renonçait, pour le moment, du moins, à chercher dans ces mers inconnues l'île si pleine d'or qu'il n'était pas bien sûr de rencontrer. Les aborigènes d'Haïti lui parlèrent de Banèque dans les mêmes termes que ceux de Cuba. Il y avait une parfaite concordance entre les divers renseignements; et la scène d'un cacique de village d'Haïti et des Indiens de la Tortue, plus voisine de Banèque à ce que disait celui-ci, qui étaient venus dans un grand canot envahir son marché et faire concurrence à ses échanges, acheva d'affermir l'amiral dans la croyance que cette île existait réellement, et dans le dessein d'en poursuivre la découverte. Il s'éloigna des côtes d'Haïti, dans cette intention, et il y revint peu après, n'ayant visité que quelques ports de la Tortue. Il découvrit plus tard d'autres îles, la Terre-Ferme, mais il ne parvint jamais à trouver l'île Banèque. Elle ne fut pas davantage découverte par Alonzo Pinson, ni par les voyageurs subséquents. C'est qu'une Ile de ce nom n'existait réellement pas ; il n'y en eut point non plus qui récélât l'or en si grande quantité sur ses plages qu'on l'y pût ramasser la nuit aux flambeaux pour en faire des lingots. Las Casas dit quelque part que cette île Banèque était peut-être l'île de la Jamaïque. Il s'en faut que la Jamaïque ait mérité cette réputation de richesses métalliques, et, du reste, son nom indien est celui qu'elle porte encore. L'île Banèque n'a jamais existé que dans les rêves des Indiens; c'était tout simplement une Golconde imaginaire; et si, partout, dans l'archipel, on s'accordait à la décrire de la même manière, c'est que la fable était très répandue et fidèlement retenue.

DE LA LANGUE ET DE LA LITTÉRATURE

DES

ABORIGENES D'HAÏTI

Il est certain que les aborigènes d'Haïti n'avaient point d'écriture et que c'est là la cause de l'extinction de leur langue et de leur littérature. Cette langue, sonore et gracieuse, était celle qui se parlait dans tout l'archipel, puisque les naturels des différentes îles s'entendaient entre eux. Cependant l'idiome d'une île n'était pas identiquement le même que celui d'une autre, et pour peu qu'un territoire fût étendu et divisé, des variations dans le langage se faisaient aussitôt remarquer. Autant d'iles ou autant de circonscriptions d'un territoire, autant de dialectes d'une langue commune. C'est ainsi qu'il y en avait en Haïti plusieurs dialectes provenant d'une souche

mère.

J'ai essayé de dresser l'inventaire de cette langue disparue. Mon vocabulaire, fort incomplet, se compose de noms de personnes et de choses, ces derniers comprenant des dénominations d'ustensiles, d'arbres, de fruits, d'aliments et d'animaux. A cette liste il faut ajouter un très petit nombre d'adjectifs, et voilà tout. Lorsque une langue est morte et que son verbe ne s'est pas anéanti, le verbe qui est la parole vivante, la pensée elle-même articulée, la vie s'est seulement retirée de son corps de mots qui subsiste intact, et on peut la faire revivre sous le galvanisme de la traduction et lui faire reprendre la parole, après des siècles révolus pour parler poésie, histoire, philosophie, mœurs et politique; mais si elle a perdu ce signe par lequel elle exprime l'action, la vie, l'existence, alors elle est éteinte sans résurrection possible. Tel est le cas pour les aborigènes d'Haïti. Il faut

donc renoncer à restituer la pensée écrite de cette race d'hommes qui a, comme d'autres, vécu et exprimé, dit-on, poétiquement et gracieusement ses inspirations et sa pensée.

Pas un seul verbe de la langue haïtienne, en effet, ne figure parmi les mots que j'ai exhumés en grande partie des ouvrages historiques de l'époque de la découverte. Il y en a d'autres que j'ai trouvés mêlés à notre patois créole, et dont j'ai reconnu l'indigénéité pour n'avoir pu les rapporter ni à l'espagnol, ni au hollandais, ni à l'africain, tous idiomes qui ont fourni des locutions à notre français dégénéré et corrompu.

Récapitulation faite, je suis en possession jusqu'ici de 260 mots, et sur ces mots sans aucun lien, j'ai fait quelques remarques isolées que je ne donne pas pour des règles en la matière, et dont je ne garantis pas toujours la justesse. Je déclare les hasarder.

Un fait avéré, comme je l'ai dit au commencement, c'est qu'il y avait plusieurs dialectes en Haïti et que tous ces dialectes se rattachaient à une langue commune et mère parlée dans tout l'archipel. Voici un principe posé, un point de départ. J'en infère que le nom de divinité Zemès, et du génie malfaisant Mabouya, s'écrivant chacun avec une orthographe et une prononciation différentes: Zemeen, Zemès, Cheis; Mabouya, Maboia, Mapoia, sont un même mot ou les variantes d'un même mot dans trois dialectes d'origine commune, en usage, soit dans différentes circonscriptions d'un territoire, soit dans plusieurs iles séparément. Rien qu'en prononçant Zemeen, Zemès, Chemis, et en modifiant légèrement son accent, on saisit dans le son même de la voix comment se sout opérées les modifications orthographiques telles qu'elles figurent ici.

Quelquefois les mots pour exprimer une même chose varient légèrement ou sont radicalement différents, malgré la proche parenté des idiomes. Tels sont Piaye, Boyès, Butios, pour désigner les prêtres qui étaient à la fois des médecins, Yuca, Kaim, Kucre, Manioc, noms divers de cette racine amilacée, dont le dernier a subsisté. Il y a même à cet égard une assertion contenue dans beaucoup d'ouvrages traitant des Indiens, à savoir que dans plusieurs des Antilles les femmes parlaient une langue différente de celle des hommes. Et nos auteurs expliquent le fait par une tradition qui rapporte que l'une des deux grandes invasions caraïbes aurait détruit dans ces endroits tous les hommes en épargnant les femmes, et que celles-ci auraient perpétué la langue primitive à côté de celle des envahisseurs, sans que l'une ait jamais absorbé l'autre. Cette assertion me semble si invraisemblable, qu'il me faudrait, pour y croire, des preuves bien autrement solides et convaincantes que celles qui en sont données. Ces preuves qui se réduisent toutefois à la simple cita

tion de mots réellement différents pour exprimer des choses semblables, ne confirment-elles pas plutôt ce que j'ai dit de la diversité des dialectes d'une langue commune et de l'emploi qu'ils faisaient, tantôt de variantes d'un même mot, tantôt de mots n'ayant entre eux aucune similitude pour désigner un même objet?

On a eu beau détruire jusqu'à la racine la population primitive d'Haïti, son sang s'est pourtant mêlé en une certaine proportion aux races qui lui ont succédé sur ce sol; et quoique sa langue et sa littérature ne lui aient pas survécu, elle a néanmoins laissé des débris de l'une, quels qu'ils soient, mais rien, malheureusement pas un vestige de l'autre. Elle nous a légué aussi des usages dont le train de notre vie matérielle s'accommode fort bien. Nous devons donc à la transmission de ces usages des mots dont j'ai augmenté mon vocabulaire.

HAMAC, chose et mot indiens, fort bon lit, le plus léger et le plus portatif; c'est pour tous les âges un berceau dont la commodité s'accroît à mesure que s'accroissent nos années.

CANARI, excellent vase pour contenir l'eau fraîche.

CANOT, embarcation légère et élégante, dont le nom a été adopté par la marine..

CALEBASSE, poterie végétale, si on peut le dire, gourde économique, la cruche du pauvre.

Cour, moitié de calebasse, faïence végétale, faisant fonction de vase ou d'assiette indispensable dans le mobilier de l'indigent, et d'une utilité non moins appréciée dans les ménages aisés.

Une bonne partie de la cuisine indienne, sans que nous nous en doutions, s'est conservée dans notre régime culinaire.

L'Indien mangeait la chair du Lambi, gros coquillage qui, lorsqu'il est vide, sert de trompette ou cor. Le son qu'on en tire est perçant, rauque et sauvage. Nos premiers Haïtiens, autant que ceux de nos jours, cornaient communément et en toute occasion du Lambi.

Le perroquet, Jaco et non Jacquot, comme quelques-uns le pensent, se servait aussi rôti sur le matoutou des Indiens, et prêtait en outre l'ornement de ses plumes à leurs couronnes et à leurs tuniques. Ils durent faire par conséquent une grande consommation de Jacos. Ils en gardaient aussi de vivants dans leurs cabanes, les approvisaient et les dressaient à parler, absolument comme on faisait du corbeau sur le vieux continent; et quand le Jaco se montrait rebelle aux répétitions, ils lui soufflaient des bouffées de fumée de tabac dans les yeux et les

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