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subsister, même pour des sauvages. Une autre circonstance qui dût favoriser l'accroissement de cette population, c'étaient ses mœurs et ses goûts pacifiques. Elle était souvent inquiétée, il est vrai, par les incursions. des Caraïbes; mais ces insulaires voisins leur faisaient moins une guerre qu'une chasse. Entre les peuplades même d'Haïti, la paix régnait presque constamment. Elles vivaient dans la persuasion que le monde ne s'étendait pas fort au delà de leur île qui, suivant elles, en était le centre. Il leur fallut bien tenir compte du pays des Caraïbes. Elles disaient que le soleil et la lune s'étaient un jour élancés d'une de leurs cavernes sacrées pour monter dans le ciel. Elles appelaient le soleil Huoiou et la lune Nonun. Ces deux astres marchaient autrefois de concert. La lune, jalouse de voir l'éclat du soleil effacer le sien, s'enfuit et s'alla cacher de honte. Depuis, elle ne s'est montrée que la nuit. Le soleil, avant ce divorce, était seul l'objet de toutes les adorations, mais depuis qu'elle éclaire les nuits d'une si douce et si chaste lumière, Nonun a trouvé des Indiens qui préférèrent ses tendres clartés aux feux éblouissants de Huoiou. La plupart de ces insulaires comptaient leurs mois par la lune et réglaient leurs jours sur son cours. Au lieu d'un mois, ils disaient une lune. Ils ne disaient point combien mettrez-vous de jours à tel voyage, mais combien dormirez-vous de nuits en route? Aux époques de nouvelle lune, l'astre était attendu. On épiait son apparition, et, dès qu'il se montrait, les Indiens sortaient en foule de leurs cabanes et s'écriaient : Nonun! Nonun! voici la lune. Dans les bourgades populeuses, c'était un émoi général, un concert de cris de joie, un court, mais un bruyant moment de fête.

Telle était leur naïve cosmogonie. Dans ce meilleur des mondes, leur bonheur était de mourir en paix. Un trait de leurs mœurs l'atteste. Aux approches de la mort, l'Indien se faisait porter dans le désert, et, là, étendu dans un hamac suspendu aux branches des arbres, et, laissé seul, il exhalait son dernier soupir dans le calme de la solitude, afin que son âme pût aller errer sans trouble sous les délicieux ombrages des Mameys, et en savourer éternellement les doux fruits. Quel réveil d'un rêve si innocent et si placide! Quelle cruelle déception! Voici que subitement un jour l'horizon de ce monde étroit s'ouvre, et des peuples de la terre, mille fois plus vaste que leur petit univers, envahissent ces infortunés et viennent à l'envi remplir leur vie d'orage et leur mort de violence.

CHAPITRE II

(1492)

terre.

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Signal d'alarme, à Port de la Conception.

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Les rivages du Marien, les premiers visités. l'occasion de l'arrivée des Etrangers. Prise d'une jeune Indienne, amenée à bord et renvoyée ensuite à Une bourgade indienne découverte à quatre lieues du port. Réception faite aux Etrangers par les Indiens de cette bourgade. Rencontre de la jeune Indienne avec les Etrangers. Entrée de leurs bâtiments dans un autre port, appelé par eux Port-de-Paix. Visite d'un nytaino à bord. Sa conversation avec l'amiral. Valparaiso. Pêche faite par les Etrangers en compagnie des Indiens. Premières relations commerciales. Arrivée d'un canot chargé d'indiens de la Tortue. Injonction faite par un Cacique à ces Indiens de se retirer. Leur retraite. Fête de sainte Marie de l'0 à bord des bâtiments étrangers. Visite du Cacique au bâtiment amiral. Sa réception décrite par Colomb lui-même.

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Les premiers rivages visités par les Etrangers arrivant inopinément furent ceux du Marien. Quelques Indiens qui habitaient un groupe de cabanes bâties sur une hauteur, à proximité d'une bourgade, observaient avec anxiété la marche des navires européens qu'ils devaient prendre pour d'énormes monstres marins. Suivant qu'ils les voyaient, en louvoyant, s'éloigner ou se rapprocher, ils se rassuraient ou ils tremblaient. Lorsque enfin ces voiles se dirigèrent décidément vers la terre, ils couronnèrent leur éminence de fascines, y

mirent le feu et s'enfuirent, emportant avec eux tout ce qu'ils possédaient et laissant leurs cabanes vides. Cette manière de faire des feux était un signal pour les Indiens. Ils en allumèrent de distance en distance sur collines qui longent ces côtes. En peu d'instants, toute la population riveraine fut avertie ainsi de se tenir sur ses gardes. De sorte que les Etrangers, en arrivant dans les lieux habités, trouvaient les cabanes ouvertes et vides et les traces des grands feux allumés sur toutes les crêtes.

Colomb, depuis qu'il avait appareillé de Saint-Nicolas, n'avait pas encore vu un seul habitant, et n'avait rencontré qu'une maison près du Môle. Mais plus loin, et en avançant plus au nord, il commença à découvrir de près quelques cultures, de larges sentiers et ce groupe de cabanes d'où son arrivée fut si singulièrement signalée. Il entra dans un port qu'il appela la Conception, et où il fut retenu plusieurs jours par des vents contraires. Une rivière assez grande vient s'y décharger. Sur ses deux rives s'étendait une forêt où les Espagnols pénétrètrent à la distance de plusieurs lieues sans rencontrer personne. Une fois trois d'entre eux découvrirent de loin une bourgade dont ils n'osèrent s'approcher, étant en si petit nombre. A leur retour, ils étaient encore sur la plage, lorsqu'un canot descendait la rivière chargé d'Indiens, venant en cet endroit pour voir ce qui se passait sur la mer et causait tant d'alarmes. Aussitôt qu'en arrivant, ils aperçurent ces matelots à terre et leurs vaisseaux à l'ancre, ils sautèrent tous sur la rive, et, abandonnant leur canot, ils se mirent à fuir. Les Espagnols les poursuivirent et prirent une femme jeune et fort belle qu'ils amenèrent au vaisseau de l'Amiral.

Les autres Indiens ne s'arrêtèrent dans leur fuite que quand ils se crurent hors de toute atteinte. Ils étaient convaincus d'avoir été ou trop imprudents ou trop malheureux, et déploraient au fond de leur forêt la perte de la jeune Indienne qui ne goûterait plus aucune joie de la vie et n'aurait ni une mort tranquille dans le désert, ni l'élégie funèbre, ornement de la sépulture, qui, lorsqu'elle est chantée sur une tombe, fait tressaillir de bonheur, n'importe où elle est, l'âme qui s'est envolée. Son mari était inconsolable. Ce n'est pas que ce malheur ne leur arrivât souvent. Lorsque les Caraïbes surprenaient leurs bourgades, c'en était fait de ceux dont ils avaient pu s'emparer. Ils les emmenaient captifs pour les manger. Le seul mot Caniba ou Caritaba par lequel ils désignaient le pays de ces anthropophages les faisaient trembler. Mais ils n'avaient jamais vu des Caraïbes de cette espèce, et ils estimaient que ceux-ci devaient être plus redoutables que les autres, à cause de l'étrangeté de leur extérieur et du formidable appareil de leurs embarcations.

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Mais l'Amiral avait dit à ses compagnons : « Prenez donc quelques habitants pour leur faire honneur et pour dissiper leurs craintes, afin que, s'il y a dans le « pays quelque chose d'avantageux, ce dont la beauté « du sol et la douceur du climat ne permettaient pas <«< de douter, nous puissions nous en emparer plus faci<«<lement. » Il ne se réjouit que trop de cette circonstance. Les Indiens qui étaient à bord parlèrent à la nouvelle-venue. Ils lui assurèrent que l'Amiral pensait qu'elle était belle, qu'elle n'avait rien à craindre, et qu'elle irait bientôt rejoindre son mari et ses autres compagnons. Colomb lui donna des vêtements, des perles de verre,

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