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autre fils de Seyyid-Saîd, Tourki, gouverneur de Souhar, se proclamait indépendant, tandis qu'en Afrique des Arabes dissidents se soulevaient contre Medjîd au profit d'un sixième fils, Barghâch.

Il y eut ainsi, de 1856 à 1859, une période de dissentions intestines et de troubles intérieurs dont profitè-. rent les anciens ennemis de l'Omân: la Perse, pour lui reprendre les îles et les territoires qui lui avaient été enlevés par Said; les Wahabites, pour imposer le rétablissement du tribut dont le grand sultan s'était affranchi. Enfin, en 1859. Touéni parut l'emporter. Après s'être débarrassé de son rival intérieur, Tourki, il se disposait, peut-être avec l'assentiment de la France, à s'emparer des possessions africaines de Medjîd, quand l'Angleterre intervint en faveur de celui-ci politique habile, par laquelle la Grande-Bretagne espérait dominer à la fois les deux sultans, l'un, Medjid, moralement, par la reconnaissance, l'autre, Touéni, matériellement, grâce au voisinage de l'Inde. Touéni résista d'abord. C'était pour la France le moment d'intervenir et de proposer sa médiation, écrit M. Brunet-Millon (1): cette intervention était toute in

présomptifs V. cette lettre, Report précité, p. 142. Depuis Khâled était mort. Medjîd lui avait succédé dans le gouvernement de l'Afrique et sa nomination avait également été notifiée aux consuls en résidence à Zanzibar.

(1) Ibid., p. 83.

Firouz. -8

diquée la France la devait à la mémoire de son vieil ami Seyyid-Saïd. Mais elle s'abstint et son prestige dans ces régions devait en souffrir. L'Angleterre profita de cette faute, et, pour vaincre les résistances de Touéni et sauver la face, proposa son arbitrage, que les deux parties finirent par accepter.

Avant d'indiquer quels furent les résultats de cet arbitrage, il convient d'en préciser avec soin la nature et les conditions.

Il convient de remarquer tout d'abord que la question qui se posait était essentiellement politique ce qui était déjà une nouveauté. « L'arbitrage, en effet, n'avait jamais encore eu pour but de permettre ou d'empêcher, avec la formation de nouveaux royaumes, le démembrement d'un empire (1)»; et il est à présumer que, malgré l'importance chaque jour plus grande que prend la pratique de l'arbitrage dans la vie des nations, celui-ci aura rarement, si tant est qu'il l'ait jamais, l'occasion de trancher des questions d'un intérêt aussi vital pour un Etat. Jusque-là, il n'avait

(1) Nous devons la plupart des renseignements que nous possédons sur cette affaire à la grande obligeance de M. le Professeur Geouffre de Lapradelle, et à l'amabilité de M. Pedone, son éditeur, qui ont bien voulu nous communiquer l'étude très complète consacrée à cette question du partage des Etats de Seyyid-Saïd dans le Recueil des arbitrages internationaux de MM. de Lapradelle et Politis, année 1861, arbitrage Canning, qui va paraître incessamment, nous tenons à exprimer ici toute notre reconnaissance.

eu pour mission que de régler des réclamations pécuniaires, des contestations de frontières; d'un seul coup, son domaine atteignait ses plus extrêmes limites. Et, ce qui rendait cette particularité encore plus frappante, c'est que, tandis que jusqu'alors l'arbitrage n'était intervenu qu'entre des Etats civilisés, ici c'étaient des peuples de civilisation inférieure, farouches, ayant le culte de la guerre, qui recouraient à cette solution pacifique, de telle sorte qu'il se produisait là ce fait curieux, extraordinaire, que l'arbitrage atteignait son maximum de puissance là précisément où il trouvait un maximum de résistance » (1).

Il est vrai qu'en l'espèce le recours à l'arbitrage n'était pas, comme d'ordinaire, volontaire, mais imposé aux deux parties. C'est la Grande-Bretagne qui, dans son propre intérêt, est «< intervenue » entre les prétendants à la succession de Seyyid-Saîd et leur a imposé à la fois l'obligation d'accepter sa médiation et celle de se soumettre aux résultats de cette médiation. Comme le dit très justement, M. de Lapradelle. « après s'être fait confier une médiation que, pour son influence et son prestige, elle voulait exercer, mais que, pour plus d'influence et de prestige encore, elle voulait pratiquer avec un plein succès, la Grande-Bre

(1) De Lapradelle, op. cit.

tagne cut soin de lui communiquer les formes, mais seulement les formes de l'arbitrage» (1). De telle sorte qu'en réalité, malgré le nom d'arbitrage qui lui a été donné, ce n'est ni un arbitrage proprement dit, ni même une médiation que nous rencontrons ici, mais une intervention. Intervention très curieuse d'ailleurs, qui a dépouillé les formes habituelles, plutôt brutales, et arbitraires de l'intervention, pour revêtir un caractère juridique au moins apparent, et qui, par suite, marque un progrès réel dans la pratique de l'intervention.

Ceci posé, examinons comment fonctionna l'arbitrage que l'Angleterre avait ainsi imposé aux deux sultans rivaux et quels en furent les résultats. Cet examen ne va d'ailleurs que confirmer ce que nous venons de dire, qu'il n'y eût ici arbitrage que de nom. A l'origine de tout arbitrage, il y a ce que l'on appelle « le compromis », c'est-à-dire l'acte bilatéral par lequel les parties en litige décident de soumettre leur différend au jugement d'un arbitre qu'elles désignent et s'engagent l'une vis-à-vis de l'autre à se soumettre à sa sentence. Ici le compromis se compose de deux actes unilatéraux, séparés, de dates différentes, l'un du 21 septembre 1859, signé de Touéni, l'autre du 3 octobre 1860, signé de Medjîd, par lesquels chacun de

(1) Ibidem.

ces deux princes déclare soumettre à l'arbitrage de lord Canning, gouverneur général des Indes, le litige relatif à la souveraineté de Zanzibar et de ses dépendances, et s'engage à accepter la sentence arbitrale, quelle qu'elle puisse être (1).

(1) Voici la traduction de ces deux documents, dont les originaux sont en arabe :

I.

Acte par lequel Seyid-Touéni s'engage à se soumettre à l'arbitrage du très honorable gouverneur de l'Inde, dans le litige relatif à la souveraineté de Zanzibar et de ses dépendances, actuellement pendant entre Sa Hautesse et son frère Seyid-Medjid.

Je soussigné, Seyid Touéni, déclare que le haut gouvernement de l'Inde, m'ayant prié de ne rien entreprendre contre Zanzibar, par déférence à son désir je m'en suis abstenu pour soumettre tous mes griefs contre mon frère Medjid au gouvernement par la bienveillante entremise du colonel Russel. Et maintenant, quelle que puisse être l'estimée décision de S. Exc. le Gouverneur général, dans son arbitrage entre moi et mon frère Medjid, quoi qu'il advienne, je m'y soumettrai. Fermement résolu à me soumettre à sa décision, quelle qu'elle soit, je m'engage par les présentes à ne rien faire qui lui soit contraire et à ne molester d'aucune manière mon frère Medjid, tant que je n'aurai pas reçu de Son Exc. le Gouverneur général communication de son arbitrage entre

nous.

Signé de ma propre main, 22 septembre 1276.

TOUÉNI.

Signé par Sa Hautesse Seyid-Touéni, en ma présence, le 21 septembre 1859. C.-J. CRUTTENDEN, commandant le sloop de S. M. Férooz, de la marine de l'Inde.

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Au nom du Dieu très miséricordieux, moi, l'indigne Medjid, je déclare, quant aux différend et discorde qui se sont élevés entre

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