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bert de Prague; saint Meinwerk, évêque de Paderborn, et tant d'autres (644).

Ces saints personnages, à la plupart desquels nous consacrons un article, doivent Suffire pour nous préserverdes exagérations répandues par certains historiens comme Fleury, et par lesquelles on s'en va répétant sans cesse que ces siècles n'offrent que ténèbres, ignorance et grossièreté (645). Mais, outre les saints que ces siècles eux

mes virent apparaître (646), combien d'autres faits nous montrent que la foi n'y fut pas complétement stérile! Nous ne pouvons en citer qu'un très-petit nombre; ils parleront cependant assez hautement, ce tous semble.

Dès le 1x siècle, les âmes émues par les troubles toujours croissants du monde poEtique, s'élevèrent comme d'elles-mêmes, au souvenir des Bienheureux qui, autrefois ussi, avaient combattu sur la terre. Mais tu-dessus de tous les saints luttait 'a Mère du Sauveur, dans sa grâce et sa virginité. Vers elle tendaient tous les désirs, toute prière s'adressait à elle. Tout ce qui la rappetau souvenir des hommes devenait l'objet d'une fête, d'un culte d'amour, d'une dévoLondouce au cœur des peuples: ainsi fut solernisée la Nativité de la très-sainte Vierge. Alors aussi s'introduisit généralement, parmi les peuples germains, la fête de la Toussaint, instituée par Boniface IV, à laquelle, selon une pieuse tradition, le saint abbé Odon de Cluny rattacha la Commémoraon des Morts, qu'il fit le premier (an 998) célébrer dans les couvents de son Ordre (647), et qui bientôt fut généralement imise comme expression du dogme cathoae du Purgatoire et de l'union intime des filéles vivants et trépassés. L'institution de nonvelles fêtes de saints, jusqu'alors dépendante des évêques, d'après les Capitu

(614) Alzog, tom. II, p. 210, 211. Cf. Stolberg, Hist. de la relig., tom. XXXI, p. 444-504; tom. TAXI, p. 426; tom. XXXIII, p. 439-525.

(645) Sur ces siècles, Digby fait la remarque suiFonte: M. Guizot ne peut s'empêcher d'observer que la société religieuse joua un grand rôle dans histoire de la civilisation moderne; de sorte que, dans le fait, et nonobstant le nombre des maux et res abus qui régnaient alors, en conséquence des passions humaines, tous ces àges peuvent être dépants par ces mots du grand Apôtre qui les repréele à nos yeux commne remplis de patience et de tribulations, par la gloire et le déshonneur, par a bonne foi et la mauvaise renommée, comme é ant vres et faisant plusieurs riches, comme n'ayant es et possédant toute chose.› On peut regarder tous Ces mots comme étant l'exacte description de l'époque perise que les modernes ont assuré être la plus Sure des Annales du genre humain.

Lar, comme l'auteur de la Perpétuité de la Foi (1, part, in, ch. 6, 7), le dit du x siècle, que Baronius

meme voulut abandonner à ses détracteurs pour avor borné sa vie à un seul pays, nous devons aclure que ce x siècle, si ordinairement dépréce, cait un des temps les plus fortunés de l'Eglise, sque les vices qu'on lui reproche lui sont comsavec les autres, et que le bien qui le distingue acai particulier. L'auteur prouve cette assertion

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laires de Charlemagne, fut désormais uniquement réservée au Pape, et c'est là une des marques de cette liberté d'action rendue aux Pontifes dont nous avons parlé plus haut. Le premier exemple d'une Canonisation (648), régulièrement ordonnée par le Souverain Pontife, fut celle de saint Ulrich d'Augsbourg, décrétée par Jean XV (an 993). La célébration de l'Eucharistie était tonjours, et comme au commencement du Christianisme, le centre du culte, le but de toutes les assemblées religieuses; le pain sans levain était généralement en usage; les cérémonies devenaient de plus en plus significatives et dignes du grand mystère qu'elles exprimaient, et que les discussions soulevées par Radebert et Bérenger, firent connature dans toute sa portée et sa sublimité. Voy. les articles BERENGER, LANFRANC (Le bienheureux), etc. Après la dévotion fondamentale de l'Eucharistie, nulle n'était plus chère au cœur des fidèles que celle de de la Vierge Marie. Comme autrefois les chœurs célestes avaient envoyé un de leurs anges à l'humble Fille de la race de David, pour lui apporter la glorieuse Salutation: « Je vous salue, Marie, pleine de grâces; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénié entre toutes les femmes; » ainsi la race humaine commençait à répéter, de toutes parts, avec une dévotion toujours croissante, la Salutation Angélique, qui du fond de notre exil, au milieu de ce monde de péché, montait vers la triomphante Reine du ciel et de la terre. Comme les anges ne se lassent point de répéter dans le ciel « A Celui qui est assis sur son trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur et gloire; ainsi la foule des fidèles exhalait avec joie sa confiance et son amour, dans une prière concise et riche de sens, qui embrasse, eu peu de mots, les mystères de la foi et les

en montrant qu'alors florissaient, en diverses parties de l'Eglise d'Occident, une multitude d'évêques éminemment illustres par leur pété et leur haute doctrine, et plusieurs théologiens profondément versés dans les matières ecclésiastiques; plusieurs saints hommes qui rétablissaient dans les monastères la discipline relâchée... Mais il remarque surtout que ce fut dans ce siècle que les Danois, les Bohémens, les Polonais, les Hongrois, les Normands et d'autres peuples furent convertis à la foi chrétienne par les travaux de saints missionnaires. Ce sont là autant de faits qui le justifient suffisamment du reproche d'ignorance, de superstition e, de corruption. (Perpétuité, etc., loc. cit., et Digby, Ages de Foi, etc., chap. 1er.)

(616) Voy. Les principaux saints des x1o, X1o et Xe siècles, par Kloin, Hist. ecclés., tom. 1, p. 773

79.

(647) Dom Mabillon, Acta SS. ord. Ben., sec. vi, toà. 1, p. 584; Pruri Damian, Vua Odilon., C. 10, Boiland., Acta SS., mens. Jan. tom. 1, p. 74 segy.

(648) Concil. Roman., ann. 995, dans Mansi, tom. XIX, p. 169; Hardouin, tom. VI, p. 727. (Pro canonizatione S. Udalrici Augustani) Cf. Dom Mabillon, Præf. ad Acta SS. ord. Bened., sæc. v, n. 99 seqq.; Benoit XIV, De beatificat. et canoniaut., lib. i, c. 7-8.

DICTIONN. DE L'HILT. UNIV. De L'Eglish, V.

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faits les plus imposants de l'histoire de la Rédemption; et formant de ces souvenirs pieux, de ces louanges et de ces prières, une couronne de roses vivantes, elle la présentait comme un gage sensible de son respect et de sa tendresse filiale, à la trèssainte Mère de Dieu.

C'est bien à tort qu'on a prétendu que cette prière du Rosaire (Corona Mariana, Rosarium, Psalterium sanctæ Virginis) avait été, après les croisades, imitée des Arabes; (649); car elle était en usage bien auparavant. Son texte se trouve tout entier dans

les passages de la Bible qui la composent, et il est très-probable qu'elle fut introduite au iv siècle par Macaire le Jeune, saint religieux dont l'occupation unique était une prière continuelle. Il disait trois cents prières par jour, et après chacune d'elles, jetait de son giron une des trois cents petites pierres qu'il y avait placées. Palladius raconte le même fait de l'abbé Paul dans le désert de Phermé. Ce solitaire, dit-il, pour ne pas se tromper dans les trois cents Pater qu'il répétait chaque jour, à chacune de ses prières accomplies, laissait tomber de son giron un grain ou une petite pierre qu'il portait dans ses mains. Ces exemples furent imités en Occident. On trouve souvent, dans les livres pénitentiaires, vingt à trente Pater donnés comme pénitence (650). La piété, qui est inventive, imagina bientôt en Angleterre, un ceinturon de Pater noster (beltidum, id est cingulum), qui, peu à peu, devint le Rosaire en l'honneur de la Bienheureuse Vierge Marie, et donna au peuple, privé de livres de dévolion, un moyen d'édification facile, efficace et approprié à ses besoins et à sa capacité. Cette dévotion prit plus d'extension encore à dater de l'an 1000, forsqu'on eut consacré le samedi à la trèssainte Vierge; que Pierre Damien eut compcsé un Office particulier (651), qu'il répandit d'abord dans un grand nombre de couvents d'Italie, et que, dans le x1° siècle, on ajouta, mais non encore généralement, il est vrai, la Salutation Angélique à l'Oraison Dominicale.

XIII. A partir du milieu du x siècle et du moment où, comme nous l'avons dit, le Siége apostolique reprit sa dignité et son autorité, avec les hommes apostoliques qui l'occupèrent, on vit une vie nouvelle descendre du sommet de la hiérarchie, et se répandre dans tout le corps de l'Eglise le ca

(649) Alzog, tom. II, p. 219.

(650) Du Fresne, Glossarium med. et inf. Latinit., veut trouver s. v. Capellina, l'origine du Rosaire dans les actes pénitentiaux.

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(651) Officium Mariæ. - Cet Office se composa d'abord de cantiques, comme on le voit déjà dans le chapitre de saint Ulrich d'Augsbourg (an 924). Cf. Mabillon. Ann. Bened., lib. XLII, n. 71; le samedi consacré à Marie d'après Petri Damiani Opuse. Xxxm, cap. 3. Urbain II fit au clergé une obligation de cel Oflice au concile de Clermont, en 1095. L'addition de la Salutation angélique au Pater noster eut heu d'abord dans les couvents d'Angleterre. Cf. Mabillon, loc. cit., lib. Lvin, n. 69-70, ad ann.

ractère du temps se modifia, s'ennoblit, devint plus pur et plus sérieux, surtout après la fé onde institution de la Trêve de Dieu (652).

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Cependant, dans les xue et x siècles, tout cet heureux élan fut fort entravé; le bien se trouva mélangé de beaucoup de mal. Une foule de canons émanés des Conciles généraux et provinciaux de ces temps nous décélent assez les vices et les crimes qui affligaient l'Eglise au milieu même de tant d'autres œuvres qui, d'un autre côté, la dédommageaient et la consolaient. Les saints canons s'élèvent, en effet, contre des actes de barbarie et de violence; ils nous font voir le brigandage armé contre les pèlerins et les églises; la rupture de la Trêve de Dieu, l'ardeur effrénée pour les combats périlleux et les tournois; les persécutions atroces dirigées contre les Juifs; l'assassinat, l'usure, le libertinage, la tendance à croire au sortilège et à la magie, le vol des corps réputés saints, ete. Ajoutons à ces maux.la lutte des investitures, qui dura quarante-neuf années (653), les querelles que suscitèrent aux Papes les Hohenstaufen et tant d'autres césars orgueilleux (654), les violences et les immoralités des seigneurs, la rudesse presque générale des mœurs, et nous aurons les mauvais côtés de ces siècles réputés les meilleurs du moyen âge.

Les grands personnages de cette époque, tels que saint Bernard, sainte Hildegarde, exprimèrent souvent leur profonde douleur à la vue de ces désordres, et de vigilants Pontifes, surtout le grand et admirable Grégoire VII, sentaient vivement combien toutes ces choses menaçaient l'avenir et entretenaient la barbarie. Oui, par là était comprimé le sentiment religieux qui pénétrait avec vigueur dans les masses, et l'on comprend, dès lors, les efforts surhumains des Pontifes pour refouler le plus possible tant de désordres.

Ce sentiment, dit un historien (655), se révèle d'une façon remarquable dans le renouvellement des croisades et dans les sacrifices qui s'y rattachaient. C'est là que se montre le caractère propre de l'époque, c'està-dire la puissance souveraine de la foi et du cœur; une noble tendance à s'élever au-dessus des choses de ce monde, un zèle universel pour construire de grandes et magnifiques églises. On voyait se rassembler

1044. Cf. sur le Rosaire, Binterim, tom. VII, part. 1, p. 89-156. La dévotion du Rosaire, médit. relig., Tub. 1842.

(652) Voir le remarqnable ouvrage de M. Ernest Semichion, intitulé: La paix et la trêve de Dieu, histoire des premiers développements du Tiers-Etat par l'Eglise et les associations, 4 vol. in-8, 1857.

(653) Voy. notre article LUTTE DES INVESTITURES. (654) Voir les articles que nous consacrous à quelques-uns de ces empereurs, persécuteurs de la Papauté, et surtout notre Discours préliminaire, place ea tète du IV vol.

(655) Alzog, Hist. univ. de l'Egl., tom. 11, p. 467,

468.

de toutes parts une foule de pieuses confréries, grands et petits, riches et pauvres, gens de tout âge et de tout sexe, pour bâtir zu Seigneur un séjour digne de lui. Ainsi, par exemple, s'éleva la superbe basilique de Notre-Dame de Chartres (656). Les noinbreuses Congrégations monastiques, dont les fondateurs appartenaient souvent aux classes les plus élevées, n'étaient-elles pas aussi une preuve du sens profondément religieux de l'époque ? Partout on le voit se manifester avec énergie.

La terre, elle-même, cette belle œuvre de Dieu, devient pour le peuple un objet de tendre sollicitude, d'amour filial. Le savant qui étudiait la nature voyait dans les corps la vie plus haute qui les animait, et cherchait à retrouver en eux de mystérieux rappor's avec les devoirs et les convictions religienses de l'homme racheté. Les instincts

vers des animaux, les phénomènes du monde végétal, le chant des oiseaux, les propriétés des pierres précieuses devenaient pour lui le symbole des vérités de la vie. Si pendant la nuit le pauvre portait les yeux vers le ciel, il y trouvait, non plus la Voie Lactée de Junon, mais le chemin de ses frères vers Compostelle ou le sentier des bienheureux gratissant le ciel.

Mais c'était surtout le monde si riant des fleurs qui devenait le symbole de la région du bonheur et la langue muette des lus tendres et des plus vifs sentiments pour le savant comme pour le peuple: elles étaient l'image gracieuse des apôtres, de saints chéris, et particulièrement de saintes femmes, dont la pureté angélique semblait se refléter dans la fraîcheur des fleurs et eur beauté sans tache. Le peuple, dans sa naïveté, croyait aux sympathies de la terre: e devait-elle pas être reconnaissante, en effet, d'être associée à la religion de l'homme? La nuit de Noël, on se rendait dans la forêt voisine pour annoncer aux arbres la venue du Christ (Aperiatur terra et germinet Salvatorem). Les oiseaux, les plantes, tot ce que l'homine rencontrait sur sa route, le marquait du signe de sa foi et de ses espérances. Vaste empire de l'amour et de a science, dont la foi était le fondement solide!

En ces temps, la religion chrétienne, avec force interne, avec ses mystères et ses promesses, nous apparaît comme le centre de toute vie, de toute action; semblable à un reur ardent, elle fait sentir ses pulsations Jusque dans les dernières veines du corps so

elle enveloppe ce siècle parfois si dur

636) Wilken., Ilist. des Croisades, tom. III, p. Set suiv.

657) Les principaux saints des x1o, x1° et xin* arties, par Klein, Hist. ecctés., tom. I, p. 773-779.

68) Villeneuve-Trans, Hist. de saint Louis, roi de France, Paris, 1859.

(659) De Montalembert, Vie de sainte Elisabeth de Hongrie.

Legenda aurea, sive historia Lombardica, Argent. 1429, ad optim. libror. filem recensuit, emendavit, replevit, etc., D. Græsse. Leips. et Diezd.,

et si barbare d'une atmosphère si pure, si sainte, que le Christianisme semble avoir retrouvé sa terre natale et le soleil de ses premiers jours. Car nous pourrions citer, en témoignage de cet esprit religieux, les milliers de saints (657) envoyés par l'Eglise, comme autant de héros, pour conquérir les âmes et faire triompher l'Evangile: des rois chastes et pieux, tel que Louis IX (658); des reines pures et dévouées, comme Elisabeth de Hongrie (659); des âmes d'élite dans tous les rangs et dans toutes les conditions; nous pourrions rappeler le pieux Manuel des Saints, que le Pape Jean XXI rédigea, avant son élévation, pour servir de trésor aux pauvres, et dont le Dominicain Jacques de Voragine (an 1298) fit, en s'aidant des tradi ions populaires, la Légende dorée (660). (Voy. son article.)

Malheureusement le ton frivole des Minnesangers qui osent s'en prendre même à Dieu et à la sainte Vierge; limitation si bizarre des saturuales païennes, par lesquelles le clergé parodiait, à Noël et au nouvel an, dans la fête des Fous et de l'Ane (661), les saints mystères de l'Eglise, forment un triste contraste avec les faits consolants cités plus haut. Ces désordres soullèrent, au commencement du xir siècle, les Eglises de France et d'Allemagne, et les efforis des évêques et des conciles ne parvinrent à les faire disparaître complétement que dans le XIV siècle.

Il y avait bien d'autres traces du mal à déplorer aussi bien que ces écarts dans la piété des peuples. On ne saurait, par exemple. dissimuler les désordres qui se rencontrèrent dans la vie ecclésiastique, à tous les degrés de la hiérarchie; mais à côté de ces désordres, il faut placer cette vigilance incessante des Papes et des conciles pour réprimer et châtier le mal, prenant l'initiative des réformes destinées à maintenir les membres de l'Eglise dans la règle invariable des devoirs dont Notre-Seigneur Jésus-Christ est, dans sa vie, ses souffrances et sa mort, le modèle éternellement adorable. « L'histoire de toutes les réformes intérieures exécutées dans l'Eglise par l'Eglise elle-même, teile sera toujours la plus accablante condamnation de ces prétendus réformateurs qui n'ont jamais eu de prétexte légitime pour une séparation et une révolte (662). »

Sans doute encore, l'époque dont nous parlons n'a pas été plus que toute autre exempto de violences et d'injustices; mais alors, dit un historien protestant, c'était du moins ouvertement qu'on se livrait aux unes com

1843. Cf. J.-B. Rousseau, Violettes des saints, on la Poésie et l'art dans le Catholicisme, Francf. s.-1.-M., 1835, 6 vol.

(661) Du Fresne, Glossar. ad script. med, et infim. Lat. sive Cerula Kalenda. Tillot, Mémoires pour servir à l'histoire de la fête des Fous. Laus., 1751; Dürr, Commentatio historica de episcopo puerorum. Mugunt., 1755.

(662) M. A. de Saint Chéron, Introd. au Tableau des institutions et des mœurs de l'Eglise au moyen age, par F. Burter, tom. 1, p. 7, 3 vol. in-8, 1815.

aient surtout hérité de ce qu'il y cut de mauvais dans les plus beaux temps du moyen âge. Le mal qui, dans ces temps, fit ombre au réjouissant tableau du bien, persista plus que le bien lui-même. On en donne pour cause la « diminution de l'influence papale (667) et les déréglements de quelques souverains Pontifes; » on prétend que ces douloureux déréglements «agirent sur les mœurs des évêques d'une façon désastreuse (668).»

me aux autres; on ne prétendait ni les faire entrer, par des artifices, dans le domaine du bon droit, ni donner avec impudence le nom de juste à ce qui était le comble de l'injustice (663). Il y a mieux que cela, pouvons nous ajouter encore; car, en présence de ces maux, il ne faut pas oublier l'enseignement de l'Eglise à cette époque sur les dogmes, le culte et la discipline; enseignement qui fit prédominer souvent la justice sur la violence, et dont nous trouvons l'expression la plus haute dans les décisions rendues par Innocent III (664) et beaucoup d'autres Pontifes qui, en ces temps, furent assis avec tant d'éclat sur la Chaire de saint Pierre. Et puis, de quel poids précieux pèsent dans la balance les œuvres et les vertus des Ordres monastiques qui occupent une si grande place dans ces jours du moyen âge! Qui peut lire sans admiration les travaux de saints comme les François d'Assise et les Dominique (665), pour ne parler que des plus marquants? Qui peut méconnaître les services rendus alors par ces Ordres à la religion, à la moralisation des peuples, à l'adoucissement de leurs misères, aux sciences, aux lettres, aux arts, à l'agriculture, au commerce (656)! Du reste, dans plusieurs articles de cet ouvrage, nous racontons la vie des principaux personnages qui, aux xir et x siècles, ont perfectionné et honoré les institutions ca holiques à cette époque, et nous signalons également ceux qui n'ont pas su respecter les fonctions saintes dont ils furent chargés. Nous ne pouvons donc que les rappeler ici en général, sans revenir sur des détails qui allongeraient cet article

outre mesure.

Pour les mêmes raisons, il nous faut accélérer encore davantage notre marche à travers les siècles qui suivirent. Aussi bien n'avons-nous plus guère qu'à recueillir de désolantes marques des progrès de l'esprit de mort, non toutefois sans de consolantes traces de l'esprit de vie, et cela jusqu'à l'époque à jamais mémorable, où I'Eglise catholique se retrempa, pour ainsi dire, dans l'immortelle Assemblée de Trente, et où elle reprit, avec une vie nouvelle, un essor nouveau et de nouvelles forces pour poursuivre sa mission et marcher à l'accomplissement de ses sublimes desti

nées.

XIV. Il semble que les xiv et av siècles

(663) Hurter, ouvrage ci-dessus, tom. III, p. 588.

(661) Voy. l'article INNOCENT III, Pape. (665) Voir leurs articles.

(666) Consulter sur cette grande époque du moyen age: Les mœurs chrétiennes au moyen âge, ou les Ages de foi, par M. Digby, trad. de l'anglais avec Hirod., notes et diverses modifications, par M. J. Danielo, 2 vol. in-8, 1841 ; le même ouvrage, abrégé, trad. par M. Dufour-Henry, 1 vol. in-8, 1842; Tableau des institutions et des mœurs de l'Eglise au moyen âge, particulièrement au XIIIe siècle, sous le règne du Pape Innocent III, par Frédéric Hurter, trad. de l'allemand, par Jean Cohen, 3 vol. in 8, 1815.

Toujours est-il que saint Vincent Ferrier a tracé des prélats de son temps le plus triste tableau. « Ils sont fiers, dit-il, courti. sans, vaniteux, amis du luxe, portés à l'usure; ils mesurent leur foi à la taille des choses terrestres, et la proportionnent à leurs revenus. Peu importe le soin de leurs églises; on les voit rarement fréquenter ceux qui donnent peu ; ils n'ont ni l'amour de Dieu, ni modestie; la Messe et la prédication sont leur moindre souci leur vie entière n'est qu'un grand scandale (669). » Les titulaires, après avoir obtenu leurs siéges par des moyens illégitimes, montraient dans leur administration une conduite plus criminelle encore, et ne faisaient absolument rien pour ramener les fidèles, par leur exemple, à une vie plus chrétienne.

Certainement, tout l'épiscopat n'était pas ainsi; car autrement, comment s'expliquer ce grand nombre dévêques présents aux conciles généraux, dont le cri unanime était: La réforme dans l'Eglise et ses membres? Mais, il faut l'avouer, jamais on ne vit s'élever des plaintes aussi fréquentes sur la dissolution du clergé inférieur que dans les synodes du xv siècle; jamais on ne vit des règlements aussi nombreux pour la prévenir (670). Dans quelques localités, le concubinage des clercs était parvenu à un tel degré d'infamie que les fidèles le regardaient presque comme un bien et une garautie pour l'honneur des femmes mariées. En admettant qu'il y ait de l'exagération dans ces éternels retours sur le même sujet; en les attribuant au désir qu'avait chaque concile d'atteindre un but plus grand, plus élevé; en faisant la part d'une noble indignation, la dépravation du clergé n'en reste pas moins manifeste.

De tels exemples, hélas! portèrent leurs fruits. Peu à peu il se glissa dans la masse des populations un penchant à traiter la

(667) Voy. notre Discours préliminaire, en tête du 1 vol., §§ XXXI à XXXIV.

(668) Alzog, Hist. univ. de l'Egl. cath., tom. II, p. 549.

(669) Voir aussi la lettre qu'il écrivit en 1403, à son général, maître Jean de Puynoix, dans Rohrbacher, tom. XXI, p. 92 et suiv.

(670) Reformatorium in Concil. Constant., cap. 33, contra concubinarios; Concil. Basil. sess. xx, decret. 1, De concubinariis, apud Hardouin, tom. Viil, p. 1193, et Mansi, tom. XXIX, p. 401.-Voy. les articles BALE (Concile général de), tom. II, col. 856 et suiv; CONSTANCE (Concile général de), tom. Il, col. 1508 et suiv.

morale avec une légèreté qui se produisit sous des formes épouvantables (671). Les conciles étaient indécis sur les moyens à prendre pour arrêter ces débordements (672). Les uns opinaient pour le mariage des prêtres; les autres, les vrais penseurs, comme Gerson (673), trouvaient avec raison que l'unique moyen de salut pour l'Eglise était le maintien de la loi du célibat, garanti par une éducation cléricale conforme à la Vocation sacerdotale (674) et capable de réveiller le sens moral, de ranimer la séve du catholicisme. On frappa donc d'amendes sévères les prêtres concubinaires (675). Les esprits étaient plus d'accord pour attribner ces désordres aux trop grandes richesses du cergé. Agir avec rigueur contre cette opulence excessive, tel était le premier but à alteindre pour former un clergé vertueux et dévoué en place d'un sacerdoce dégradé et méprisé par le peuple.

Une autre cause principale des désordres que nous déplorons, fut le grand schisme Occident (676). Les esprits furent souvent divisés par les plus graves dissensions durance schisme. Quel était le vrai Pape? A quei signe le reconnaître ? Sous quelle obédene devait-on se ranger? Difficile et parfois presque insoluble question dans ces tecaps de néfaste mémoire(677) ! Les prêtres seruiers, non plus que les religieux, ne pouvaient, comme autrefois, entretenir, ratimer la vie spirituelle, et de là des maux in inis parmi les Chrétiens.

Ainsi, on vit disparaître peu à peu la poétique et ardente piété de la période qui avait vivifié le peuple. A la place des Minnesengers, déjà si frivoles, on eut de graveleux chansonniers. En revanche aussi, la superstition acquit des proportions effrayantes, surtout dans les classes inférieures, parmi lesquelles pullulaient les sorciers de toutes sortes (678). L'Allemagne entière en était

(671) Le concile de Paris, ann. 1429, se plaint des mauvais exemples donnés par les clercs, et il ajonte: Illud nefandissimum scelus (concubinatus)

Ecclesia Pei adeo invaluit ut jam non credant Christiani simplicem fornicationem esse peccatum mortale. Apud Hardouin, tom. VIII, p. 1046, et Mansi, tom. XXVIII, p. 1107.

(672) Voir sur ces conciles l'ouvrage de Mgr Pavy, érèque d'Alger, intitulé: Du céliba! ecclésiastique, in-8, 1852, 2e édit., p. 158 et suiv. Puisque Lecasion s'en présente, nous signalons à l'attentin un excellent et solide ouvrage de l'abbé de Vibers, intitulé: Apologie du célibat chrétien (anom) vol. in-12, 1761.

1675) Il n'y eut pas que Gerson, il faut nommer aussi le chancelier Buffard, qui publia à cette occason un livre substantiel qui parut trois ans avant la révolte de Luther. On trouve une analyse de ce rre à la suite de la Vie des Saints, par Godescard, t. Périsse, Lyon, 1844, tom. XIV, p. 315 el aciv.

(671) Gerson écrivit contre Saignet son Dialogus separia el naturæ super cælibatu ecclesiast. Op. tom. 11, p. 617 et seqq.

5) Le conc. de Presbourg, aun, 1309, cau. 5; Conr. de Bale, sess. xx, elc. 476) Voy. cet article.

7) Alzog, tom. II, p. 597 ct suiv.

pleine, et le Pape Innocent VIII rendit (an 1484) des décrets rigoureux contre ces aberrations; ce qui n'empêcha pas des milliers de sorciers d'être condamnés au bûcher, et l'on peut en dire autant des Juifs, qui furent poursuivis à outrance, malgré les Bulles pontificales. Voy. l'article: PROTECTION DES PAPES A L'ÉGARD DES JUIFS.

Néanmoins, au milieu de cette décadence. générale, les nouveaux Ordres qui s'étaient élevés obtinrent sur les populations une action réelle, étendue, et propre à conserver partiellement l'unité et la force du sentiment religieux. Enfin, si le clergé oubliait ses devoirs, la lecture de l'Ecriture sainte en langue vulgaire formait une compensation. En Allemagne, plusieurs mystiques, tels que Jean Tauler, Ruysbrock, ThomasA Kempis, parlèrent puissamment aux cœurs des fidèles par leurs écrits composés, pour la plupart, dans l'idiome national; tandis que Vincent Ferrier, la merveille de son temps, était aussi parvenu à réveiller une telle ardeur pour la pénitence, qu'il menait à sa suite des troupes de flagellants.

Ainsi done, même à cette époque, le nombre de saints que l'Eglise révérait était encore fort important (679). Par exemple la vie du bienheureux Nicolas de Flue qui fut saisi d'une ardeur inextinguible pour la patrie céleste (680), rappela aux hommes qu'ils doivent soupirer après la vie à venir, la vraie vie, pour laquelle nous sommes faits, et il fut en même temps un ange de paix pour ses compatriotes divisés. Šainte Catherine de Sienne fit sentir son ascendant plus efficacement encore pour les besoins généraux de l'Eglise. (Voy. son article.) Elle s'abimait tellement dans la contemplation de la vie du Sauveur, que souvent elle se bornait à recevoir l'Eucharistie pour toute nourriture. Aussi, se pénétrant de son esprit, elle embrassait le monde entier dans

(678) Horst, Démonologie ou hist. de la sorcelle rie, depuis Innocent VIII, A vol. in-8, 1818, Franc.s.-M.; voir aussi la Bibliothèque magique du même, Mayence, 1821-26; et Soldan, Hist. des procès des sorciers d'après les sources, Stutg. 1843.

(679) Dans le xive siècle, André Corini; Florent, évêque de Frisole; Jean Népomucène, chanoine de Prague; Conrad Placent, ermite du tiers-ordre de Saint-François; Roch, pèlerin; Catherine, fille de sainte Brigitte, abbesse; Catherine de Sienne; Julie Falconerie de Florence; Elizabeth, reine de Portugal; le comte Elzéar et Delphine, son épouse. Dans le xv siècle : Jean Cantius, prêtre ; Jean de Saint. Facond, religieux Augustin; Didace, Franciscain; Nicolas de Flue; Casimir de Pologne; Ferdinand de Portugal; Catherine de Bologne, Clarisse; Véronique Giugliani; Colette, réformatrice de l'Ordre de Sainte-Claire; Lidwine; Françoise Romaine, sainte veuve.

(680) J. de Muller, Hist. de la Suisse, tom. VI; Widmer, Développement de l'élément divin dans l'élement terrestre, prouvé par Nicolas de Flue, Lucerne 1819; Businger, Le frère Klaus et son temps, Leipzig, 1827; G. Gœrres, Dieu dans l'histoire, Munich, 1831; Le bienheureux Nicolas de Flue et les confédérés à l'assemblée de Stanz, trad. de l'allemand de M. Guido Goerres, in-12, 1840, Paris.

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