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livre odieux et fameux, 'destiné à tenir sa place dans l'histoire de la littérature et des

à établir dès le début de la mention que vous faisons de cet ouvrage si outrageant pour Notre-Scigneur.

Et d'abord, pour ce qui est de sa valeur scientifique, elle est nulle au dire des critiques les plus graves qui ont interrogé l'Allemagne sur son compte. Nous citerons quelques-unes de leurs preuves Interogeons la science que M. Renan nous vante, dit M. l'abbé II. J. Crelier, (M. E. Renan trahissant le Christ par un roman, ou Examen critique de la Vie de Jésus, in-8, 2o édit. 1864, p. 127, 128); demandons-lui quelles sont, sur les matières si importantes dont il s'agit, ses dernières conclusions que nous répondra-t-elle ? Précisément le contraire de ce que M. Renan affirme en son nom. Elle nous dira sans hésiter, par la bouche de ses représentants les plus distingués, que, l'authentiéité des Evangiles reconnue, le système mythique de Strauss (dont le système légendaire de M. Renan ne diffère que comme simple variante) est une absurdité (Voy. Holtzmann, Die synopt. Evangel., p. 418 et suiv.); que les Evangiles, tant dans les discours que dans les récits, portent des caractères de vérité si grands, si frappants, si incontestables, que leur autorité historique est hors de doute. (Ibid. C'est ce que M. Renan lui-même avoue en général, sauf à le nier en détail); que, loin de faire exception à cet égard, les miracles sont inséparables du reste, à tel point que l'historien qui les rejette, tout en reconnaissant les traits ineffaçables de la figure de Jésus comme une réalité historique, est dans le cas d'un homme qui aurait cueilli et goûté les fruits murs de plantes et d'arbres dont il nierait l'existence. (Ibid., p. 510); qu'en général, comme historien, on doit simplement s'en tenir à constater ces rares phénomènes comme d'autres faits, et d'après les règles ordinaires de la critique historique (Ibid., p. 511).,

Nous regardons comme un très-précieux progrès, dit Holtzmann, que le caractère miraculeux de l'histoire évangélique, par lui-même, ne puisse plus être considéré comme un obstacle à son admission dans le vaste ensemble de l'histoire scientifique de l'humanité. C'est ce qui est déjà reconnu, au fond, même par des hommes qui d'ailleurs se tiennent de la manière la plus décidée au point de vue de l'Immanence (c'est-à-dire de la philosophie hégelienne). Quand même plusieurs de ces récits miraculeux, dit Schwartz, pourraient être des inventions ou des embellissements d'une tradition plus récente, toutefois le scepticisme le plus hardi, s'il repose encore sur une science sérieuse, ne saurait nier que du Christ n'aient émaré une quantité de guérisons miraculeuses et d'assistances consolatrices qui lui attiraient de loin la foule et tournaient d'abord vers lui les regards des incrédules eux-mêmes. (Predigt. aus der Gegenw.. II Samml., § 139. Citation de Holtzman.) Mais, reprend Holtzmann, quand le plus ingénieux et le plus sérieux représentant du panthéisme religieux (Ernest Renan) croit devoir n'accorder qu'un droit psychologique d'existence à ces miracles (c'est-à-dire ne leur accorder d'existence que dans l'imagination), avec l'aveu qu'ils ne heurtent pas trop les exigences du bon sens (Etud. d'hist. relig., p. 177); quand il pose nettement comme Son programme la séparation de la cause de la religion de tout ce qui est miracle et surnaturel, on peut penser ce qu'on voudra de la question philosophique touchée en même temps; mais la rigoureuse méthode historique ne saurait fléchir devant un pareil arrêt, et il y a tout lieu d'être satisfait que le protestantisme français libéral, quoique en genéral partageant bien certainement les idées de Renan,jait élevé la voix pour réclamer. › (iloltzmann, Die synopt. Evangel., p. 511.)

idées, moins toutefois par lui-même que par les réfutations nombreuses qu'il a suscitées.

Tels sont les résultats auxquels, par de vastes et profondes recherches, est arrivée la science moderne; telles sont les doctrines qu'elle ne craint pas de proclamer hautement l'an de grâce 1863. Et les savants qui tiennent ce langage, sont-ce des théologiens catholiques dominés par leurs préjugés dogmatiques, et dont les conclusions sont déjà arrêtées avant toute recherche? Sont ce même de ces théologiens protestants encore attachés aux idées traditionnelles, et, sous ce rapport, ne différant guère des catholiques, tels que lleig-tenberg, Ebrard, Wieseler, etc.? Non, Ce sont des savants aussi indépendants que puisse l'être M. Renan luimême; ce sont les Ewald, les Blok, les Holtzmann, etc.; il n'y a pas jusqu'à l'école de Tubingue qui ne soit plus ou moins entraînée dans le mouvement général.

De son côté, le P. Gratry nous dit: ll n'y a pas deux manières de juger la valeur de la Vie de Jésus. Le livre est nul scientifiquement. Tel est tout particulièrement le jugement de l'Allemagne. Nonseulement le Congrès des savants catholiques allemands, réunis à Munich, a signalé ce livre comme n'appartenant pas à la science; non-seulement tous les savants allemands qui tiennent à ce qu'on appelle l'orthodoxie protestante, ont porté le même jugement; mais il se trouve que les écoles rationalistes l'ont jugé de la même manière.

" L'école rationaliste de Goettingue, à laquelle M. Renan semblait appartenir un peu, parle de même, et, par la bouche de M. Ewald, porte un jugement très-important et très-bien motivé, qui est une condamnation complète du livre. L'école rationaliste de Tubingue, héritière de Strauss et de Bauer, et à laquelle M. Renan semble encore appartenir un peu, parle aussi de la Vie de Jésus dans la Gazette d'Augsbourg. J'ai le texte allemand sous les yeux. Voici les conclusions d'un assez long travail de M. Keim, qui a été très-remarqué :

C'est un ronian... ce sont de nouveaux Mystères de Paris, écrits avec rapidité pour amuser, sur un terrain sacré, un public de profanes... Sur toutes les questions graves le livre est nul scientifiquement. Au lieu de se jouer de cette grande histoire de Jésus que tous les siècles contemplent avec rccueillement; au lieu de flatter les esprits blasés, de contrister les croyants, et d'outrager la science, je parle de la science libre, que M. R nan se remetie au travail avec conscience et recueillement (arbeite er nüchtern und gewissenhaft), qu'il n'essaye plus d'écrire en six mois, dans une butte de Maronites et entouré de cinq ou six volumes, l'histoire des temps apostoliques annoncée dans son Introduction: alors il pourra obtenir son pardon des amis de l'histoire véritable, qui, aujourd'hui, rient de son singulier triomphe. (Gazelle d'Augsbourg des 15, 16 et 17 septembre 1863.)

Enfin, je trouve dans un recueil français, pleinement dévoué à M. Renan, une défense de son livre qui me paraît aveugle en sa faveur; cependant l'auteur reconnaît que la manière dont M. Renan a employé les sources n'a pas peu contribué à répandre sur l'ouvrage entier une certaine apparence d'arbitraire, comme si l'auteur, sans pitié ni souci des textes, s'était complu à les ajuster au gré de sa fantaisie pour en faire un Jésus de convention... Je serais de ceux, ajoute le critique, qui eussent désiré, en bien des endroits, une méthode plus sevère d'interprétation. Le P. Gratry, Les sophistes et la critique, in-8, 1864, p. 142-144).

C'est assez là-dessus. La valeur scientifique du livre de Renan est jugée. Mais nous avons dit que ce livre, malgré le scandale qu'il a occasionné, a cependant servi, en un sens, la cause de la vérité.

Or, nous voudrions, rapprochant les meilleurs travaux qui ont été publiés à ce sujet, offrir, non pas une réfutation nouvelle du triste livre que nous venons de désigner, mais une sorte de somme de tout ce que la critique catholique oppose d'arguments, de preuves, de témoignages à l'incrédulité moderne.

Mais, encore une fois, ce n'est point de la polémique directe que nous prétendons faire ici; non, une telle tâche, qui a d'ailleurs été tant de fois remplie, ne saurait convenir à un ouvrage du genre de celui-ci. On y veut surtout, non des choses qui passent avec les circonstances qui les ont fait naître, mais des choses plus générales et qui doivent demeurer acquises à la science. Si donc Dieu nous permet de réaliser notre plan tel que nous le concevons, nous présenterons, sur les principaux traits de la vie de JésusChrist, un tableau d'ensemble, au point de vue de la critique contemporaine, tiré, pour la plus grande partie, des meilleurs écrits récemment publiés; de sorte que ce discours participera tout à la fois de l'exposition et de l'apologétique: de l'exposition, en ce qu'on y trouvera un aperçu général de la vie de Notre-Seigneur; et de l'apologétique, en ce qu'étant comme la substance des derniers ouvrages polémiques combinés entre eux et éclairés, complétés les uns par les autres, les points attaqués de cette vie adorable y seront défendus, soit directement, soit indirectement, par tout ce qu'on a écrit sur chacun d'eux de plus solide et de plus péremptoire.

Après ce simple exposé de notre désir, nous supplions humblement Notre-Seigneur, à qui tous nos travaux et notre vie sont consacrés, de nous accorder la grâce de réaliser un travail qui n'est pas sans présenter de réelles difficultés, et nous commençons.

I

On sait avec quel orgueil les philosophes de l'antiquité se glorifiaient de leur sagesse. Et pourtant, combien elle était petite et misérable! Elle consistait principalement en de vaines spéculations métaphysiques, en des subtilités de dialectique, ou des idées présomptueuses sur la prétendue suffisance

Nous l'avons montré ailleurs (Voy. Mém. cath. n° de mai 1864, XX, p. 171 et suiv.), et nous en dirons un mot ici.

Les erreurs de M. Renan, remarque M. l'abbé Crelier (ouv. cit., p. 68), ont eu l'avantage qu'ont plus ou moins toutes les autres, c'est-à-dire de contribuer, en provoquant de nouvelles recherches, à mettre la vérité dans un plus grand jour. De la discussion dont la Vie de Jésus a été le signal est sortie la confirmation la plus éclatante de l'authenticité des Evangiles. L'étude des sources, dit Holtzmann, à laquelle on retourna à cette occasion, amena au jour des résultats qui s'écartent de la manière la plus tranchée des suppositions sur lesquelles reposait la Vie de Jésus, et même les contredisent (Die synoptisch. Evangelien, etc., Leipz. 1863, p. 6). C'est à tel point que l'école même de Tubingue s'est vue obligée de battre en retraire, et de faire remonter les Evangiles, sinon toujours

de la raison humaine, et en des assertions dogmatiques sur des opinions douteuses, ou des doutes sceptiques sur les vérités les plus claires et les plus incontestables.

Interrogeons ces anciens philosophes qui faisaient profession de science et de vertu, et nous ne trouverons pas, en effet, autre chose dans tous leurs livres. C'étaient, si l'on veut, « des esprits élevés et en qui l'humanité nous a donné la mesure de ses forces; tous se vantaient d'avoir découvert la vérité, hormis une école qui prétendait que la vérité nous échappe inévitablement sur cette terre; ils avaient parcouru le monde, écouté bien des sages et longtemps réfléchi; ils parlaient un beau langage, s'enfonçaient dans des spéculations hardies, et discutaient doctement sur toutes les choses de l'homme et de Dieu eh bien s'il y a dans leur histoire un point remarquable, c'est qu'ils n'aient obtenu que de si chiétifs résultats (b). »

Car d'où vient l'homme? où va-t-il? à quelles conditions peut-il atteindre sa fin dernière? Sur toutes ces questions, où il faut que tout le monde soit fixé, les philosophes n'ont rien su de complet et rien enseigné de clair et de satisfaisant. Encore une fois que trouve-t-on dans leurs livres et dans la société qu'ils ont instruite et gouvernée ? N'ont-ils pas accumulé des ténèbres autour des droits et des devoirs les plus sacrés, loin de dissiper l'incertitude et d'éclaircir les doutes? S'ils ont proposé de corriger un vice, n'est-ce pas en le remplaçant par un autre vice? Leur science médiocre a-t-elle jamais été sans orgueil, et leur médiocre vertu sans faste? N'ont ils pas retenu la vérité captive, préférant la renommée à la sagesse et l'intérêt de leur amour-propre à ce qui était juste et bon? Dans l'infatuation de leurs pensées et l'aveuglement de leur cœur, n'ont-ils pas installé partout le mensonge, la tyrannie et la dépravation? L'esclave, le pauvre, l'enfant, la femme, leur personne même, en eux et autour d'eux, n'ont-ils pas tout abaissé, tout flétri, tout perdu (c) Bien loin de convertir le monde, pas un n'a changé seulement les mœurs de la rue qu'il habitait, et c'est un reproche qu'il faut faire même à Platon, celui pourtant de tous les maîtres qui pouvait mieux commander l'admiration et la confiance par l'au

dans leur forme actuelle, du moins quant aux documents dont ils sont formés, jusqu'aux té noins oculaires (Ibid. p. 502). Nous donnerons encore plus loin, d'autres preuves de ceci.

(b) MgrDarboy, archev. de Paris, Lettres pastor. sur la Foi, nov. 1864, édit. in-18, p. 9.

(c) On reconnaît sans doute ici le tableau divinement tracé par saint Paul, dans l'Epitre aux Romains, 1, 21 seqq. Mais on en trouve aussi les couleurs dans les philosophes même et les historiens de l'antiquité, et les textes ne manqueraient pas pour le faire voir, si c'était le lieu de les produire. Ce travail a d'ailleurs été tenté, dès l'origine du christianisme, par Clément d'Alexandrie, Minutius Félix, Tertullien, Arnobe et saint Augustin, pour citer seulement quelques noms. On peut voir aussi dans la Vie de Confucius, par le P. Amiot, et dans l'Histoire universelle de César Cantu.

torité du génie et par la fascination de la
plus belle parole que les hommes aient
jamais maniée (d). »

Ainsi, la sagesse des sages de ce monde a
convaincu la raison humaine de l'impuis-
sance de ses efforts, et ces philosophes, s'é-
garant dans leurs raisonnements, sont tom-
bés dans des pensées vaines, dans le culte
des idoles (e); « leur cœur insensé, ajoute
saint Paul, a été rempli de ténèbres (f): ils
sont devenus fous en s'attribuant le nom de
sages; et ils ont transféré l'honneur qui
n'est dû qu'au Dieu incorruptible, à l'image
d'un homme corruptible, et à des figures
d'oiseaux, de bêtes à quatre pieds, et de
reptiles (g). C'est pourquoi Dieu les a livrés
aux désirs de leur coeur, aux vices de l'im
pureté; en sorte qu'ils ont déshonoré eux-
mêmes leurs propres corps (h). » Ainsi
toutes les belles spéculations des philosophes
ont abouti à égarer de plus en plus l'huma-
nité dans les ténèbres du paganisme, et
la Loi elle-même, en arrêtant la main et en
abandonnant le cœur, fut incapable de gué-
rir les maux qui ont dépravé les âmes.

Que restait-il donc à l'homme, qui comme
être intelligent violait sans cesse les lois
que Dieu a établies; qui comme être borné
était sujet à l'ignorance et à l'erreur; qui
comme créature sensible était devenu sujet
à mille passions mauvaises? Il lui restait ce
Messie, Sauveur et Rédempteur, prédit de-
puis le commencement du monde (i), annoncé
dans toute la suite des âges, célébré par
tous les prophètes (j), attendu, désiré par
tout le genre humain.

C'est effectivement un fait très-certain
que, depuis le commencement du monde,
dans toutes les nations de la terre, on alten-
dait un Roi, un Législateur, un Saint, un
Sauveur, un Médiateur, un Réparateur de
toutes choses; et même qu'elles s'atten-
daient à le voir paraître il y a dix-huit

.

(d) Mgr Darboy, ut supra, p. 10 et 11.

(e) Voy. IV Reg. xvi, 15; Jérem. 11, 5.
(f) Ephes. iv, 17.

(g) Les païens ne représentaient pas leurs dieux
seulement sous la figure humaine, mais ils hono-
raient encore presque toutes les espèces d'animaux,
comme l'Etre divin. Voir sur la fole du culte des
idoles, Isa. XLIV, 12; Jéremie, x, 3-5; Daniel, v,
23; Sagesse, xin, 11-19, xv, 7 et suiv.; Baruch, vi.
Souvent le chrétien lui-même se livre au culte des
idoles, bien que cette idolâtrie soit d'une espèce
plus spécieuse; car tout ce que l'homme aime plus
que Dieu ou contre la volonté de Dieu, est un dieu
étranger, une idole. (Le docteur d'Allioli. Nouv.
comment., édit. de 1855, tom. IX, p. 180.)

(h) Rom. 1, 21-24.

(i) Gen. 1, 15.

Nous ne saurions, on le comprend, rapporter
ici toutes les prophéties dont Notre-Seigneur Jésus-
Christ est l'objet. Nous ne pouvons que renvoyer
à tous les apologistes qui ont spécialement traité
ce point important, et notamment aux Etudes phi-
losophiques sur le christianisme par M. A. Nicolas,
édit. de 1863, tom. IV, p. 461 et suiv. — Mais
puisque nous venons de rappeler la première pro-
phétie, celle du commencement, c'est-à-dire celle
qui a suivi la chute même d'Adam, constatée par
Moïse, nous voulons au moins dire un mot de la

siècles, et dans la Judée. Innombrables sont
les témoignages à ce sujet; nous ne pour-
rions les rapporter tous, el nous nous bor-
nerons à ceux de quelques auteurs non sus-
pects.

Suétone, ainsi que Tacite, rapporte (k)
« qu'une antique et constante tradition, ré-
pandue dans tout l'Orient, annonçait qu'il
devait en ce temps-là sortir de la Judée le Dom-
nateur du monde. » Nous parlerons un peu
plus loin de Virgile. Citons, après les
païens, des incrédules fameux.

L'impie Boulanger dit : « Les Romains,
tout républicains qu'ils étaient, attendaient,
du temps de Cicéron, un roi prédit par
les Sibylles, comme on le voit dans le livre
de la Divination, de cet orateur philosophe :
les misères de leur république en devaientêtre
les annonces, et la monarchic universelle
la suite. Puis Boulanger montre que l'al-
tente de ce personnage extraordinaire était
partagée, non-seulement par les Hébreux,
mais encore par les Grecs, les Egyptiens,
les Chinois, les Japonais, les Siamois, les
Américains, les Mexicains. Enfin, conclut-
il, il n'y a aucun peuple qui n'ait eu son ex-
pectative de cette espèce (l). »

Voltaire atteste la même chose, et, de
plus, il montre de quel côté les divers peu-
ples attendaient ce Désiré de toutes les na-
tions: « C'était, dit-il, de temps immémorial,
une maxime chez les Indiens et chez lcs
Chinois, que le Sage viendrait de l'Occident.
L'Europe, au contraire, disait qu'il viendrait
de l'Orient. Toutes les nations ont toujours
eu besoin d'un Sage (m). » Il est aisé de re-
marquer, sur ces paroles de Voltaire, que
la Judée, d'où, selon Tacite et Suétone,
devait sortir ce Dominateur du monde, est
précisément à l'occident des Indiens et des
Chinois, et à l'orient de l'Europe.

Après Boulanger et Voltaire, Volney rend
le même témoignage. De plus, il nous

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grande prophétie de ce même illustre Législateur
du peuple de Dieu, relative à Notre-Seigneur Jé-us-
Christ. Cette prophétie, la voici Le Seigneur
votre Dieu vous suscitera un Prophète comme moi,
de votre nation et d'entre vos frères : C'EST LUI
QUE VOUS ÉCOUTEREZ (Deut. xvin, 15). Le docteur
d'Allioli, parlant de cette prophétie, renvoie à saint
Matthieu, xv, 5; c'est qu'en effet il faut remarquer
le rapport frappant qu'il y a entre ce texte et le
récit de la Transfiguration, où Moïse même, repa-
raissant, vient témoigner que Celui dont il a dit:
Ipsum audite (Deut. xvi, 15), est bien Celui dont
le Père céleste dit dans la nue: Ipsum audite
(Matth. xvit, 5). Et qu'on ne dise pas, observe
très bien M. A. Nicolas (La divinité de Jésus-Christ,
démonstration nouvelle tirée des dernières attaques :
de l'incrédulité, 1 vol. in-12, 1864. p. 346), que ce
rapport a été concerté par l'Evangéliste, car il ne le
fait pas remarquer. Et nous voyons là, ajouterons-
nous, nous voyons, des premières aux dernières
pages de la Bible, proclamé cette graude et vitale
vérité que nous n'oublions que trop, que nous ne
devons suivre, écouter qu'un scul Maître, JESUS
SEUL Ipsum audite!

(k) Dans la Vie de Vespasien.

(1) Recherches sur l'origine du despot. orient.,
sect. 10.

(m) Addition à l'Hist, générale, p. 15, édit 1763.

rappelle encore sous quels titres ou qualités la croyance universelle attendait le Sauveur du monde. Voici ses paroles : « Les traditions sacrées et mythologiques des temps antérieurs (à l'ère chrétienne) avaient répandu dans toute l'Asie la croyance d'un grand Médiateur qui devait venir, d'un Juge final, d'un Sauveur futur, Roi, Dieu conquérant et Legislateur, qui ramènerait l'âge d'or sur la terre et délivrerait les hommes de l'empire du mal (n). »

On ne peut rien de plus clair et de plus positif que ce qu'on vient de lire. Mais ce n'est pas tout. Un disciple de ces incrédules fameux, vient, à son tour, de rendre à sa manière le même témoignage de nos jours. On nous permettra bien de joindre Renau à Boulanger, à Voltaire et Volney. Or, parlant du peuple d'Israël, l'incrédule moderne vient nous dire à son tour (o): « L'idée qu'Israël est un peuple de saints, une tribu choisie de Dieu et liée envers lui par un contrat, prend des racines de plus en plus inébranlables. Une immense attente remplit les ames. Toute l'antiquité Indo-Européenne avait placé le paradis à l'origine; tous ses poëtes avaient pleuré un âge d'or évanoui, Israel mettait l'âge d'or dans l'avenir (p). Israël devient vraiment et par excellence le peuple de Dieu, pendant qu'autour de lui les religions païennes se réduisent de plus en plus, en Perse et en Babylonie, à un charlatanisme officiel; en Egypte et en Syrie, à une grossière idolâtrie; dans le monde grec et latin, à des parades... Les juifs furent une vivante protestation contre la superstition et le matérialisme religieux. Un mouvement d'idées extraordinaires aboutissant aux résultats les plus opposés, faisait d'eux, à cette époque, le peuple le plus frappant et le plus original

du monde. »

L'incrédule que nous citons ne nous laisse pas le soin, dit M. Nicolas (q), de cons

(n) Les Ruines, p. 226.

(o) Vie de Jésus, par Renan, p. 12.

(p) Il ne le mettait pas moins dans le passé; senlement, il mettait la réparation de sa perte dans l'avenir, et c'est de lui que les autres nations temaient el ce souvenir et cette espérance, en Celui qui était appelé le Désiré de toutes les nations. (Note de M. A. Nicolas.)

(q) La divinité de Jésus-Christ, démonstration nouvelle tirée des dernières attaques de l'incrédulité, 1 vol. in-12, 1864, 2° édit. p. 128.

(r) Il faut bien que notre pauvre incrédule se console des aveux qu'il est obligé de faire, en mettant sur le compte de l'exaltation ce que la force des choses force sa plume à écrire !

(s) Vie de Jésus, p. 63. — Mais ces espérances, ce gigantesque rêve, comme dit encore Renan, dans un autre endroit, c'est la pensée même de la 1.oi; c'est la grande tradition des Ecritures, c'est re qui est le fond et ce qui fait l'unité de la doctrine depuis Moïse jusqu'aux derniers prophètes : la loi au Messie promis à l'homme dans sa chute, et qui un jour doit lui rendre ses immortelles destinées. C'est pour garder, au milieu des égarements des nations, avec la croyance au vrai Dien, le dépôt de la Promesse, que le peuple Juif est choisi; et c'est ainsi qu'il traversa quinze à vingt siècles d'épreuves, soumis à la Loi du Sinaï, conduit par les juges, averti par les prophètes, soutenu, au milicu

tater un autre phénomène inexplicable, s'il n'est surnaturel; à savoir, que cette prodi gieuse attente du Messie, qui ne s'était jamais lassée ni précipitée depuis quatre mille ans ; qui ne s'était jamais arrêtée ni égarée sur aucun objet, ni à aucune époque antérieurement à Jésus-Christ, prophétisa en quelque sorte elle-même son terme au moment où elle allait l'atteindre ou plutôt, pour parler plus exactement, reconnut ce moment aux signes précis que les prophéties y avaient attachés. Mais poursuivons la citation: « Les règnes des derniers Asmonéens et celui d'Hérode virent l'exaltation (r) grandir encore. Ils furent remplis par une série non interrompue de mouvements religieux. Le monde, distrait par d'autres spectacles, n'a nulle connaissance de ce qui se passe en ce coin oublié de l'Orient. Les âmes au courant de leur siècle sont pourtant mieux avisées. Le tendre et clairvoyant Virgile semble répondre, par un écho secret, au second Isaïe; la naissance d'un enfant le jette dans des rêves de palingénésie universelle. Ces rêves étaient ordinaires et formaient comme un genre de littérature, que l'on couvrait du nom de Sibyiles. La formation toute récente de l'empire exaltait les imaginations; la grande ère de paix où l'on entrait, et cette impression de sensibilité mélancolique qu'éprouvent les âmes après les longues périodes de révolutions, faisaient naître de toutes parts des espérances illimitées (s). »

Tout ceci est très-habilement insinué pour affaiblir le prodige en l'avouant, tant cet aveu a de la portée! Il se pourrait que la naissance du Fils de Dieu, si obscure qu'elle ait été, ait imprimé au monde des mes comme une sorte de tressaillement, dont Virgile, l'âme la mieux faite pour le sentir, aurait rendu l'impression dans sa célèbre Eglogue (1), remarquable, en ce sens, par même de ses défaillances, par la main de Celui qui n'est pas seulement le Dieu des Juifs: car c'est le monde entier qui doit être béni dans leur race; et la Jérusalem où ils aspirent, leurs livres mêines en témoignent, sera la pairie de tout le genre humain. (M. H. Wallon, de l'Institut, La Vie de Jésus et son nouvel historien, 1 vol. in-12, 2o édit. 1864, p. 97.) Le même auteur a developpé ceci dans son ouvrage: La sainte Bible résumée dans son histoire et dans ses enseignements, III, †2 : La rédemption, tom. 1, 483-510.

(1) Eglog. iv. Les annotateurs de Virgile, même ceux qui ne sont préoccupés que du côté philologique et littéraire, reconnaissent que le chantre de Marcellus n'a fait que mettre en beaux vers, dans cette églogue, les oracles de la Sibylle, et que ces oracles n'étaient autre cbose que des traditions venues de la Judée, et recueillies chez les Romains, qui admettaient aisément les opinions religieuses des autres peuples. Voilà ce que dit l'un des traducteurs et annotateurs de Virgile, le chevalier de Langeac, lequet rapproche ici quelques passages d'Isaïe et les compare avec les vers de cette églogue. (V. les Bucoliques de Virgile traduites en vers français, édit. Michaud, 4 vol. in-48, 1823, p. 156 et passim.) On peut voir aussi les intéressantes pages que M. l'abl é Henry consacre à cette églogue, dans Son Histoire de la poésie; Poésie latine, tom. II, p.

12 et suiv.

une sorte d'emphase en opposition avec le goût toujours si tempéré du divin poëte. Cependant, à considérer froidement les choses, Virgile ne nous paraît pas avoir été plus avisé et plus clairvoyant que Cicéron, Suétone, Tacite et Josèphe (nous allons voir tout à l'heure le témoignage de ce dernier), qui, s'autorisant des oracles juifs, comme ils le disent, oracles recueillis sous le nom de Sibylles, redisaient, eux aussi, la grande attente du genre humain. Pour Virgile, il y a ceci de particulier, au rapport de Josèphe (u), que Hérode le Grand vint à Rome en 714, l'année même où Virgile composa son Eglogue, et qu'il y habita chez Pollion, l'ami de Virgile, Pollion dont l'églogue porte le nom, et au consulat duquel il est fait honneur du prodige qui y est chanté. Comment douter qu'un rapport si immédiat avec le roi des Juits, alors si fort préoccupé de la venue du Messie, n'ait influé sur le tour et la couleur de cette Eglogue, et ne lui ait imprimé un cachet d'actualité (v)?

Achevons d'entendre notre incrédule. Son témoignage, malgré certains mots qu'il y introduit pour se tromper soi-même, a son importance. « En Judée, dit-il (x), l'attente était à son comble; de saintes personnes, parmi lesquelles on cite un vieux Siméon, auquel la légende fil tenir Jésus dans

(u) Antiquités, liv. xix, c. 25, et liv. xv, c. 15. (v) M. A. Nicolas, ouv. cité, p. 130, note. (x) Vie de Jésus, p. 63.

(y) Phraséologie échappatoire pour éviter de dire prophéties claires, soutenues, suivies et grandissantes. Il n'y a jam is eu de songe ni de déception à l'endroit du Messie jusqu'à sa venue, ni après, si ce n'est pour ceux qui l'ont méconnu et le méconnaissent. Mais on ne peut faire de tels. aveux sans grimacer. (Note de M. A. Nicolas.)

(z) Parce qu'il en était l'objet (Id.).

(a) La conscience universelle n'a pas décerné ec titre, elle l'a confessé. C'est Dien lui-même qui, au baptê e de Jésus-Christ et à sa Transfiguration, le lui a décerné par ces paroles: Celui-ci est MON FILS bien-aimé, en qui j'ai mis toutes mes complaisances: écoutez-le (Id.)

(b) C'est là tout ce que Renan nous dit de l'attente du Messie parmi les Juifs. Ses aveux sont précieux; mais cependant combien il est incomplet et nuageux, entortillé et incertain! Il ne sait expliquer ni les destinées étranges du peuple juif, ni la succession des grands empires, ces espérances illimitées et cette attente religieuse dont l'univers offre le spectacle vers le temps où Jésus entra dans le monde. Il parle bien des pressentiments du tendre et prévoyant Virgile, des Oracles sibyllins; mais à quelle source les Sibylles et le poëte latin ontils puisé leurs vagues présages? C'est ce que M. Renan ne nous dit pas. Il parle encore de la récente formation de l'empire et de cette sensibilité mélancolique qu'éprouvent les âmes après les longues périodes de révolutions; mais précisément la formation même de l'empire et la paix générale qu'il avait fondée devaient calmer la sensibilité mélancolique des âmes, rt empêcher ces espérances illimitées dont se préoccupait alors le genre humain. H faut chercher ailleurs et plus haut, avec la raison de ce grand phẻ. nomène, l'âme et le nœud du passé. En arrachant le Christ de l'histoire, M. Renan a tout noyé dans les ténèbres. Avec le Christ, au contraire, tout s'illumine et s'enchaîne. (Mgr Plantier, évêque

ses bras, Anne, fille de Phanuel, considérée comme prophetesse, passaient leur vie autour du temple, jeûnant, priant, pour qu'il plût à Dieu de ne pas les retirer du monde sans avoir vu l'accomplissement des espérances d'Israël. On sent une puissante incubation, proche de quelque chose d'inconnu. Ce mélange confus declaires vues et de songes; cette alternative de déceptions et d'espérances, ces aspirations sans cesse refoulées par une odieuse réalité (y), trouvèrent enfin un interprète (z) dans l'homme incomparable auquel la conscience universelle a décerné le titre de Fils de Dieu (a), et cela avec justice, puisqu'il a fait faire à la religion an auquel nul autre ne peut et probablement ne pourra jamais être comparé (b). »

pas

N'en demandons pas davantage à notre incrédule moderne et aux autres: c'est assez d'aveux sur ce point (c). Ainsi, pendant quatre mille ans, tous les peuples attendaient le Médiateur avec une espérance toujours croissante. Les patriarches le pressentent; Moïse en est le précurseur et la figure; l'ancienne Loi tout entière le suppose; les justes du Vieux Testament l'appellent; les rois de Juda en forment la généalogie; les grands royaumes de l'antiquité le préparent (d); les prophètes le chantent; et avec quello ardeur ils demandent le Messie L'amour de Nimes, La vraie Vie de Jésus-Christ, seconde Instruction pastorale contre le livre intitulé: Vie de Jésus, par Ernest Renan, 2 édit. in-8, 1864, p. 32.)

(c) Un des critiques de Renan nous dit : « Pour notre part, nous n'attachons aucune importance aux aveux que la vérité arrache à M. Renan, car nous ne sommes pas sûr que l'extrême mobilité de son imagination ne le portera point à les retirer, quand il lui plaira de donner à sa foi relative une nouvelle forme (M. l'abbé Freppel, Examen critique de la Vie de Jésus, etc., in-8, 14° édit. 1864, p. 21). Mais qu'importe ! Prenons toujours notre bien où il se trouve et ne nous préoccupons pas des contradictions dans lesquelles ne peuvent que tomher les incrédules. Nous ne saurions donc partager l'avis de M. Freppel. Nous préférons le sentiment de M. l'ablé Crelier: Les aveux de notre critique, dit-il (ouv. cité, p. 67), tout incomplets qu'ils sont, ne laissent pas d'être excellents à recueillir. Ei nous comptons, dans l'occasion, suivre le P. Gratry, qui nous dit: J'espère bien ne jamais manquer à la plus noble loi de la véritable critique, qui commande de faire ressortir, hardiment et avec joie, tout ce que disent de bon ceux qui se trompent, ceux qui ont tort, ceux même qui tombent dans les plus grands crimes littéraires. › (Les Sophistes et la critique, p. 116.)

(d) Il est manifeste, pour qui veut étudier l'histoire à la lumière de la vérité, que tous les royaumes de l'antiquité n'ont fait que préparer les voies au Christ et à son Eglise. Mais la succession des empires se subordonnant aux destinées du peuple Juif, n'est point une idée de l'homme, comme l'a prétendu l'incrédulité moderne (Vie de Jésus, par Renan, p. 37), mais une idée de Dicu même. «C'est Dieu qui la figure dans l'emblème de la statue ap paraissant à Nabuchodonosor; c'est aussi Dieu qui révèle le sens de cette vision à Daniel pour qu'il le dévoile à son tour au roi de Babylone, et ainsi estce Dieu qui est le vrai Créateur de la philosophie de l'histoire (Voy. le chap. x tout entier de Da

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