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« l'anarchie, pour assurer l'ordre plus efficacement qu'il ne l'a « été jusqu'à ce jour, pour maintenir à l'extérieur le nom de la « France à la hauteur de sa renommée, il faut des hommes qui, « animés d'un dévouement patriotique, comprennent la nécessité << d'une direction unique et ferme et d'une politique nettement << formulée, qui ne compromettent le pouvoir par aucune irréso«lution; qui soient aussi préoccupés de ma propre responsabilité « que de là leur, et de l'action que de la parole.

« ....

La France, inquiète parce qu'elle ne voit pas de direc<< tion, cherche la main, la volonté, le drapeau de l'élu du 10 dé«cembre.... Tout un système a triomphe au 10 décembre: car « le nom de Napoléon est, à lui seul, tout un programme. Il « veut dire, à l'intérieur, ordre, autorité, religion, bien-être du < peuple; à l'extérieur, dignité nationale. C'est cette politique « inaugurée par mon élection que je veux faire triompher avec << l'appui de l'Assemblée et celui du peuple. Je veux être digne << de la confiance de la nation, en maintenant la Constitution que << j'ai jurée....

Relevons donc l'autorité sans inquiéter la vraie liberté.... « Affermissons la religion sans rien abandonner des conquêtes de « la Révolution.... etc. »

La surprise, disons-nous, fut générale. Le ministère Barrot-Dufaure avait donné au Président le concours le plus énergique et le plus dévoué. Ils avaient fait ensemble l'expédition romaine et les élections pour l'Assemblée législative; ils avaient ensemble résisté à la manifestation parisienne du 13 juin, écrasé l'insurrection lyonnaise, mis plusieurs départements en état de siége, renvoyé trente-huit représentants républicains devant la Haute Cour de justice. Ils avaient relevé l'autorité, affermi la religion en restaurant le pape-roi, et toutes ces choses avaient été accomplies dans une harmonie parfaite avec la majorité de l'Assemblée législative.

Les contemporains se livrèrent aux commentaires les plus divers sur ce brusque Manifeste. Les noms des nouveaux ministres ne signifiaient absolument rien. C'étaient MM. d'Hautpoul, de Rayneval, Ferdinand Barrot (ne pas confondre avec son frère Odilon), Rouher, Fould, Bineau, Dumas, de Parieu, Des Fossés, tous personnages d'assez mince autorité, en ces temps-là.

On prétendit, entre autres choses, que le renvoi subit du ministère Barrot-Dufaure avait été causé par le refus des principaux membres du cabinet de présenter à l'Assemblée nationale un projet de loi demandant trois millions de suppléments de frais de représentation, en faveur du Président de la République. La Constitution avait fixé son traitement

à six cent mille francs par an, et l'Assemblée constituante, peu avant de se séparer, lui avait accordé un crédit de six cent mille autres francs, pour frais de représentation, somme que tous les écrivains napoléoniens ont déclarée « misérable. » Le Constitutionnel, dirigé alors par le docteur Véron, publia un grand article pour réfuter ces bruits; il affirma que l'ancien ministère avait eu, lui-même, l'intention de proposer à l'Assemblée l'octroi de ce supplément de crédit. M. Dufaure contesta très-vivement, dans un autre journal, l'assertion du Constitutionnel. Cette dernière feuille venait de passer, en ce moment, de l'inspiration de M. Thiers à la dévotion complète aux intérêts de la présidence 1.

La ligne politique suivie par le Président de la République et ses nouveaux ministres pendant toute la session législative, qui s'ouvrait en ce moment, n'est pas la chose la moins singulière à noter, en présence du langage tenu par Louis-Napoléon dans le Message du 31 octobre. Le Président se borna, comme il avait fait depuis la réunion de l'Assemblée législative, à suivre la majorité, et à gouverner d'accord avec elle, dans toutes les questions importantes, sans montrer, plus qu'il ne l'avait fait jusqu'alors, « la direction, la main, la volonté, le drapeau de l'élu du 10 décembre. »

Pendant ce temps, un phénomène important, qui n'a peutêtre pas été suffisamment remarqué, se produisait dans le pays. L'idée républicaine gagnait au sein des populations, en province surtout, infiniment plus de terrain qu'elle n'en avait perdu depuis les premiers mois de 1848.

Les excès rétrogrades de l'Assemblée législative avaient rejeté dans le mouvement démocratique la fraction très-nombreuse et très-influente du parti républicain, qui avait soutenu la politique du général Cavaignac, et qui, après les journées de juin, avait contribué à réagir. L'arrogance du parti prêtre, si puissant dans l'Assemblée législative, devenu intraitable depuis l'expédition romaine, avait stimulé l'esprit voltairien de la bourgeoisie. L'effacement des révolutionnaires extrêmes, joint aux progrès croissants du socialisme libéral-ce qu'on appelle aujourd'hui Coopération — sur lė socialisme autoritaire, avaient facilité un rapprochement sincère entre toutes les nuances du parti républicain. La résolution, unanimement prise par les démocrates, d'attendre

1. Voir, à ce sujet, et pour tout ce qui touche aux bruits dont il est fait mention, les Nouveaux Mémoires du docteur Véron, p. 60.... 92.

paisiblement les élections générales de 1852, de renoncer à tout appel à la violence, de se cantonner dans la Constitution, d'user des libertés encore intactes pour éclairer le suffrage universel, propager l'idée républicaine parmi les paysans, et n'attendre ainsi le triomphe définitif que du jeu régulier des institutions républicaines, cette résolution, disons-nous, en même temps qu'elle déconcertait les calculs de la réaction, donnait une force nouvelle à la propagande démocratique. Les républicains déployaient d'ailleurs tant d'ardeur, une telle fièvre de prosélytisme, que leur triomphe aux élections de 1852 ne paraissait plus douteux. Telle était, du moins, l'opinion de leurs adversaires alarmés dès les premiers mois de l'année 1850.

Les élections partielles de mars et d'avril, à Paris et dans plusieurs départements, furent favorables aux candidats républicains. A Paris, les diverses nuances de la démocratie avaient fusionné1. L'impression produite par ces élections, qui révélaient quelles puissantes racines la République avait jetées déjà dans la population, fut extrême. A la Bourse, la rente baissa de 2 fr. 20. Au sein de la majorité royaliste de l'Assemblée, ce fut une alarme folle. On ne se donna pas même la peine de réfléchir à cette considération si naturelle, qu'il ne s'agissait, après tout, que d'une défaite partielle; on se crut en péril.

Les conservateurs de l'Assemblée législative, tant était prédominante leur terreur d'un triomphe légal des républicains en 1852, ne reculèrent pas devant la pensée de porter la main sur la base même de la Constitution, sur le suffrage universel.

Alors fut préparée la trop fameuse loi du 31 mai 1850, qui, d'un trait de plume, rayait TROIS MILLIONS d'électeurs.

Dans cette circonstance décisive se produisit un fait que l'historien serait coupable de ne pas mettre en lumière. Le Président Louis-Napoléon agit parfaitement d'accord avec la majorité. On a dit qu'il montra une répugnance très-vive en présence de cette proposition de restreindre le suffrage universel. Les faits démentent cette assertion. Le ministère du

1. M. Granier de Cassagnac, Histoire de la chute de Louis-Philippe, de la République et du rétablissement de l'Empire, page 127, dit à ce sujet «La bourgeoisie parisienne vota la liste tout entière, entraînée «<au dernier moment par le journal qui représente le mieux ses égare«ments et ses défaillances. Une note de M. de Cassagnac nomme ce journal: c'est le Siècle.

31 octobre, ce ministère institué, au dire du Message présidentiel, pour affirmer plus spécialement la responsabilité personnelle du Président de la République, pour montrer la main, la volonté de l'élu du 10 décembre, ce ministère revendiqua l'honneur de présenter, au nom du pouvoir exécutif, la loi qui mutilait le suffrage universel.

M. Baroche, qui était entré ultérieurement dans le cabinet, convoqua au Ministère de l'intérieur, le 3 mai, une commission de dix-sept membres choisis par l'Assemblée parmi les diverses nuances de la droite réactionnaire, pour élaborer d'urgence la nouvelle loi électorale. Il faut reproduire ici les noms de ces préparateurs d'une mesure qui a exercé une influence si décisive sur les destinées de la deuxième République. C'étaient MM. Benoît d'Azy, Berryer, Beugnot, de Broglie, Buffet, de Chasseloup-Laubat, Daru, Léon Faucher, Jules de Lasteyrie, Molé, de Montalembert, de Montebello, Piscatory, de Sèze, le général de Saint-Priest, Thiers et de Vatimesnil.

Le rapport fut lu le 18 mai par Léon Faucher: l'urgence décrétée, et la discussion commença sur-le-champ.

Le ministère et les orateurs de la majorité soutinrent, malgré le bon sens et l'évidence, que leur projet de loi ne violait pas l'article de la Constitution qui garantissait le droit de suffrage, sans conditions de cens, à tout citoyen français âgé de vingt et un ans, jouissant de ses droits civils et politiques. Ils se basaient sur cet argument, digne des plus tristes docteurs de l'école jésuitique, que la loi réglementaire du 15 mars 1848, exigeant pour l'inscription d'un citoyen sur leslistes électorales six mois de résidence dans la commune, on pouvait, sans enfreindre le pacte fondamental, exiger trois années (pourquoi pas vingt ou trente?) au lieu de six mois.

La majorité emportée par ses passions réactionnaires ne réfléchit à rien, n'écouta rien. Vainement les orateurs républicains lui démontrèrent-ils non-seulement l'inconstitutionnalité, mais encore l'absurdité flagrante de ce projet de loi, qui allait priver arbitrairement de leurs droits politiques une multitude de citoyens honorables, que la nature de leurs professions empêchait de résider trois années consécutives dans une même commune; vainement démontrèrent-ils que le mode de constatation du domicile preuve de trois années d'inscription sur le rôle des impositions était un rétablissement indirect du cens électoral, prohibé en termes formels

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par la Constitution; vainement multiplièrent-ils les avertissements prophétiques; la majorité vota la loi.

Cette violation évidente de la Constitution, dans l'une de ses dispositions fondamentales, transformait radicalement la situation. Elle introduisait dans le pays un élément de perturbation profonde, remettait tout en question, et provoquait la guerre civile à échéance fixe. Les républicains, en effet, contre lesquels était dirigé ce coup d'État parlementaire, laissèrent passer sans résistance matérielle la loi du 31 mai; mais ils ne dissimulèrent pas que si le suffrage universel n'était pas rétabli avant les élections générales de mai 1852, ils se considéreraient comme autorisés à revendiquer le droit écrit dans la Constitution, les armes à la main, s'il le fallait.

En votant la loi du 31 mai, la majorité réactionnaire pensait avoir garanti l'ordre social contre les anarchistes, avoir simplement épuré le suffrage universel, en en excluant ce que M. Thiers appelait « la vile multitude »; elle s'était suicidée.

Dès lors alla grandissant, chaque jour, au sein de cette foule honnête, timide, satisfaite, passionnée pour la tranquillité, qui compose les trois quarts des classes moyennes de France, ce mal, dont les contemporains n'ont pas oublié la prodigieuse intensité, la peur de 1852.

Il est incontestable qu'une multitude de braves gens perdant tout sang-froid, affolés par les déclamations furibondes de la presse réactionnaire, crurent, de très-bonne foi, à l'imminence d'un affreux cataclysme social, à la présence au milieu d'eux de hordes de barbares prêts à se ruer sur leurs familles et leurs propriétés.

Il est non moins incontestable que ces épouvantés étaient prêts à acclamer, comme un sauveur, quiconque les délivrerait du spectre rouge, de la presse libre, de la tribune, qui avaient causé tout le mal, et écarterait, à quelque prix que ce fût, cette affreuse échéance de 1852.

Cependant, la session législative de 1850 ne s'était pas terminée sans amener quelques froissements entre la majorité et le Président de la République. Les chefs parlementaires de la droite n'avaient pu pardonner à Louis-Napoléon son langage altier du 31 octobre. La docilité, apparente du moins, avec laquelle il s'était prêté à leurs vues, durant toute la session et surtout dans la grande affaire de la loi du 31 mai, n'avait pu les désarmer.

Le supplément de crédit de trois millions pour frais de

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