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PARIS EN DÉCEMBRE 1851

ÉTUDE HISTORIQUE SUR LE COUP D'ÉTAT

CHAPITRE PREMIER.

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Dis

Examen critique de la Constitution de 1848. 1'organisation_fondamentale de l'ancienne société politique demeure intacte. Institution de la Présidence. Deux pouvoirs rivaux placés au sommet de l'Etat. Candidature du prince Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Lettres et discours de Louis-Napoléon depuis le 24 février. • Il est élu. Séance d'installation du Président de la République, le 20 décembre 1848. Mouvement de réaction dans les esprits. Election de l'Assemblée législative en mai 1849. Les royalistes dominent. · Mesures réactionnaires. cours de Louis-Napoléon à Ham et Message du 31 octobre 1849. Réveil et progrès croissants de l'esprit républicain dans les populations. Elections partielles de mars et d'avril 1850. La majorité royaliste veut mutiler le suffrage universel. Loi électorale du 31 mai présentée par le gouvernement d'accord avec la majorité. Effets et dangers de cette loi. Première demande de dotation supplémentaire par Louis-Napoléon. Les vacances législatives de 1850. Discours du Président durant son voyage en province. · Emotion qu'ils produisent. La revue de Satory. Commencement de conflit entre le Président et la majorité. Message du 12 novembre. Impression produite par les déclarations de fidélité inaltérable du Président à la Constitution. Destitution du général Changarnier. Orage parlementaire. Déclaration de M. Baroche. Rejet d'une nouvelle demande de dotation. Les premiers projets du Coup d'Etat remonteraient, d'après un écrivain napoléonien, au commencement de 1851. Détails à ce sujet. La révision dé la Constitution.

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Discours de Louis-Napoléon au banquet de Dijon. Le projet de révision est rejeté. Etat des esprits. Le Spectre rouge Coup d'Etat est sur le point d'éclater pendant les vacances de l'Assemblée, en octobre 1851.- Crise ministérielle.

Avant d'aborder le récit des événements qui brisèrent la Constitution républicaine de 1848, il convient de dire ce qu'était cette Constitution, par qui et comment elle fut appliquée jusqu'au 2 décembre 1851.

La loi fondamentale de la République, définitivement votée par l'Assemblée constituante, le 4 novembre 1848, fut

un compromis entre les aspirations démocratiques de la France et ses traditions monarchiques. Exploitant avec habileté l'impression produite par les funestes journées de juin, les réactionnaires de l'Assemblée réussirent à introduire le plus de monarchie possible dans la Constitution de la République. Les préjugés autoritaires d'un certain nombre de républicains contribuèrent aussi, dans une large mesure, à ce résultat.

Cette Constitution conservait intact tout l'organisme despotique, édifié par le premier Bonaparte après le 18 brumaire.

Elle maintenait la centralisation absolue, qui étouffe toute indépendance, toute vie locale, développe le fonctionnarisme dans des proportions exorbitantes, paralyse la libre initiative des citoyens, enlace la France entière dans les mailles d'un immense filet dont la corde maîtresse est au ministère de l'intérieur.

Elle confirmait pour l'Église catholique le régime bâtard du Concordat; le clergé, ennemi de la liberté démocratique, recevait ainsi de la République des subsides destinés le plus souvent à la combattre.

Elle conservait la magistrature inamovible, choisie par le pouvoir exécutif, tenue dans sa dépendance par l'espoir de l'avancement et des distinctions honorifiques, composée d'ailleurs d'hommes foncièrement hostiles à l'affermissement de la démocratie républicaine.

L'institution enfin la plus incompatible avec l'existence d'une libre République, l'armée permanente, recrutée par la conscription, était maintenue. Cinq cent mille soldats, n'ayant qu'un dogme: l'obéissance passive, ne connaissant qu'une loi l'ordre du chef hiérarchique, continuaient de camper, en pleine paix, armés au sein de la nation désarmée.

Ce n'est pas tout. La Constitution de 1848 déléguait la plénitude du pouvoir exécutif à un Président, nommé par le suffrage universel. Elle l'investissait de pouvoirs très-étendus, supérieurs même, à certains égards, à ceux dont disposent les souverains de plusieurs monarchies parlementaires. Le Président exerçait l'autorité suprême sur les deux grandes forces organisées, au moyen desquelles on tient la France: l'armée administrative et l'armée proprement dite, cinq cent mille fonctionnaires et cinq cent mille soldats. Il puisait d'ailleurs dans son origine un prestige et une autorité

considérables. Le Président seul était incontestablement l'élu de la majorité du peuple. Tandis que chaque membre de l'Assemblée ne représentait, en fait, que les quelques milliers d'électeurs qui l'avaient nommé, le Président recevait son investiture de millions de citoyens.

La Constitution mettait en face du Président une Assemblée nationale, souveraine en matière de finances, d'impôts et de législation, souveraine aussi - théoriquement du moins quant à la direction de la politique extérieure du pays. En principe, le Président était subordonné à l'Assemblée nationale. Dans l'esprit de la Constitution, l'Assemblée devait être le cerveau qui pense et ordonne, le Président le bras qui obéit et exécute.

L'éventualité d'un refus d'obéissance du Président aux décisions de l'Assemblée avait été soigneusement prévue par la Constitution. L'Assemblée nationale avait le droit de mettre en accusation le Président et ses ministres, et de les renvoyer devant une haute cour de justice.

Il est vrai que l'Assemblée ne possédait aucun moyen matériel de contraindre le Président rebelle. Elle s'était réservé la force morale qui résulte d'un droit inscrit dans un texte de loi; mais elle s'était dessaisie de toute force matérielle entre les mains du Président de la République.

On avait jugé que le grand principe de la séparation des pouvoirs exigeait qu'il en fût ainsi.

Cette conception malheureuse condamnait la direction de la République à un dualisme fatal; les deux pouvoirs rivaux, ainsi placés au sommet de l'État, devaient tendre naturellement à entrer en conflit. Combien un tel conflit pouvait devenir périlleux pour les institutions nouvelles, si le Président se trouvait être l'héritier d'une ancienne dynastie, suspect à tort ou à raison d'aspirer au trône, pendant que l'Assemblée elle-même ne professerait qu'un médiocre attachement pour la Constitution républicaine?

Ces considérations furent développées avec beaucoup de force, nous dirions volontiers avec une intuition prophétique, par beaucoup de républicains de l'Assemblée constituante". La majorité passa outre. Elle voulut un « pouvoir fort. »

Malgré les graves défauts qu'on pouvait lui reprocher, au

1. Se reporter à la discussion de l'amendement Grévy, et plus tard de l'amendement Leblond.

point de vue démocratique, la Constitution de 1848 fut loyalement acceptée par la grande majorité des républi

cains.

Elle présentait en effet divers avantages précieux. Elle instituait le suffrage universel; elle garantissait l'essentiel en fait de liberté de presse et de réunion; elle imposait une sanction sérieuse à la responsabilité du Président de la République et des représentants, par la durée limitée de leur mandat. Le Président n'était nommé que pour quatre ans et l'Assemblée pour trois. Nul Président n'était rééligible qu'après un intervalle de quatre années. La Constitution enfin n'était pas immuable. Chaque Assemblée triennale, parvenue à sa troisième session, avait le droit de décider la révision du pacte fondamental et de convoquer une Assemblée spéciale à cet effet. Une seule restriction, fort sage d'ailleurs, était imposée à cette faculté. La convocation d'une Assemblée de révision ne pouvait être décidée · qu'à la majorité des trois quarts des votants. Une précaution analogue existe pour l'adoption de toute modification constitutionnelle aux États-Unis.

Il semblerait que cette Constitution semi-monarchique, par la force accordée au pouvoir exécutif, eût dû rallier sans peine les conservateurs. Il n'en fut rien. Leur œuvre, dès qu'ils furent en possession du pouvoir, consista à la démolir pièce à pièce.

L'écueil principal de la Constitution de 1848 était, ainsi que nous avons dit, la probabilité d'un conflit entre l'Assemblée, impuissante matériellement, et un Président ambitieux, investi de la disposition des forces organisées.

Les auteurs du pacte fondamental avaient pensé mettre l'Assemblée à l'abri de toute atteinte de la part du chef du pouvoir exécutif par un moyen bien simple, et qui dénote chez les Constituants de 1848 une robuste confiance dans l'excellence de la nature humaine. Ils avaient donné pour rempart à l'Assemblée nationale deux articles de la Constitution, les articles 68 et 48.

Voici le premier de ces articles :

Art. 68.

« Le Président de la République, les ministres, les agents et dépositaires de l'autorité publique sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de tous les actes du gouvernement et de l'administration.

« Toute mesure par laquelle le Président de la République

dissout l'Assemblée nationale, la proroge, ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est UN CRIME DE HAUTE TRAHISON.

«Par ce seul fait, le Président est déchu de ses fonctions, les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance; le pouvoir exécutif passe de plein droit à l'Assemblée nationale; les juges de la Haute Cour de justice se réunissent immédiatement à peine de forfaiture; ils convoquent les jurés dans le lieu qu'ils désignent, pour procécéder au jugement du Président et de ses complices; ils nomment eux-mêmes des magistrats chargés de remplir les fonctions de ministère public.

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« Une loi déterminera les autres cas de responsabilité, ainsi que les formes et les conditions de la poursuite. »

Voici maintenant l'article 48:

Art. 48. - «Avant d'entrer en fonctions, le Président de la République prête, au sein de l'Assemblée nationale, le serment dont la teneur suit:

<En présence de Dieu et devant le peuple français représenté « par l'Assemblée nationale, je jure de rester fidèle à la Répu« blique démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les » devoirs que m'impose la Constitution. >

Pour apprécier l'importance que l'Assemblée constituante attachait à ce dernier article, il est bon de rappeler que le serment politique avait été aboli pour tous les fonctionnaires de la République. Le Président seul était excepté; lui seul était lié de la sorte: d'autant plus solennel devait être, dans l'esprit des auteurs de la Constitution, l'engagement qui lui était imposé.

On sait que les deux principaux candidats à la présidence de la République furent le général Eugène Cavaignac, chef du pouvoir exécutif depuis le 24 juin 1848, et le prince Louis-Napoléon Bonaparte.

Il n'est pas nécessaire, pour l'objet de ce travail, de s'arrêter sur le premier de ces candidats. Il suffira de dire que, dans l'opinion de beaucoup de personnes éclairées, le général Cavaignac était peut-être l'homme de son temps le plus capable de remplir convenablement le poste de Président, sans qu'il y eût lieu de redouter aucune tentative d'usurpation de sa part.

Le deuxième candidat, le prince Louis-Napoléon Bonaparte, était le neveu de l'Empereur Napoléon 1er, son héritier en vertu du sénatus-consulte de floréal an XII.

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