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il aurait pris des mesures pour frapper de la monnaie et la mettre en circulation. Deux ans à peu près se sont écoulés depuis la publication du dit décret et, en réalité, rien n'a été fait à ce point de vue. || Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer dans quel esprit ce décret a été interprété par les instructions générales du Vice-gouverneur Lantonnois en date du 8 septembre 1906. Il y est dit: Ce serait d'ailleurs anticiper sur les événements que de décréter d'autorité l'emploi de la monnaie dans tout l'État. Le Gouvernement ne veut établir ce régime que par étapes prudentes et seulement chez les populations où il pourra répondre à un besoin ou à à une une utilité." Quant à savoir si le 1000 000 de francs prévu au décret était suffisant et quant à la manière dont les promesses des Secrétaires généraux ont été observées, on lira avec fruit l'extrait ci-après d'une dépêche du Consul Thesiger (Consul Thesiger, n° 5, 17 janvier 1908). || „Dans le Mouvement géographique du 22 dernier, je trouve une lettre anonyme sur la question de l'introduction de la monnaie et du paiement général des indigènes en argent. Dans cette lettre, l'auteur exprime sa surprise que les missions, qui sont les plus ardents partisans de l'instauration de ce système considéré comme une étape dans la voie des réformes, ne l'aient pas adopté dans toutes les stations où ils sont en relation avec les noirs." || ,,Comme ici de même qu'en Belgique la question semble avoir requis l'attention, j'ai l'honneur d'exposer les diverses raisons pour lesquelles il est impossible aux missions de recourir à l'emploi de la monnaie tant que l'État n'aura pas, de son côté, donné l'exemple. Tout d'abord l'Administration, qui refuse toute monnaie autre que celle de l'État, a négligé jusqu'à présent de mettre en circulation une quantité de monnaie suffisante. C'est tellement bien le cas que, même dans les villes du Bas-Congo, les maisons de commerce ont beaucoup de peine à se procurer, en tout temps, les espèces nécessaires à leurs opérations. A Matadi, en ce moment, sévit une crise monétaire grave à cause de cette insuffisance de numéraire; aussi l'État a-t-il été contraint d'autoriser les fonctionnaires et la Compagnie du Chemin de fer à accepter 50 % des versements en argent français, qui, aux environs du Pool, se trouve en abondance; mais, malgré cela, les marchands et les particuliers ont grand'peine à obtenir le complément en argent congolais. || Dans ces conditions, il est manifestement impossible aux missions d'introduire le système du paiement des indigènes en numéraire dans les districts du Haut-Congo. || Au Stanley-Pool, les missions, depuis des années, paient en espèces leurs ouvriers ainsi que les produits qu'ils achètent, tandis que l'État, qui a si souvent exprimé son désir de voir l'indigène être

mis à même de comprendre l'usage de la monnaie et qui, depuis des années, demande aux missions de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour introduire l'argent dans le pays, n'est que depuis peu entré dans cette voie et paie certains de ces ouvriers moitié en argent, moitié en tissus, tout en s'abstenant de payer en espèces les produits qu'il achète. | En outre, dans la majorité des districts du Haut-Congo, l'argent, sous le régime actuel, est sans utilité pour le noir. || Bien que l'État soit désireux de percevoir en espèce l'impôt personnel dû par les indigènes qui se trouvent au service des missions et qui, de ce chef, ne peuvent fournir l'impôt en travail ou en nature, il ne se soucie nullement de faire du paiement de l'impôt en espèce une règle générale. Le système actuel est trop profitable, au point de vue de la main-d'oeuvre, et trop économique lorsque l'impôt est acquitté en vivres, à un prix inférieur à leur valeur réelle. || Je puis signaler de bonne source deux cas où les noirs ont apporté et offert en paiement de l'impôt de l'argent que l'État a refusé en insistant pour que l'équivalent lui fût fourni en nature. || Ainsi, en ce qui regarde ses obligations vis-à-vis de l'État, l'indigène, sauf celui qui est au service des missions, ne peut faire usage de la monnaie. || En ce qui le concerne personnellement, cet argent ne lui sera que trop souvent inutile, attendu qu'il n'y a ni magasin ni dépôt où il puisse acheter des tissus ou des marchandises. || Seul l'État a le pouvoir d'introduire la monnaie et les paiements en espèces dans le Haut-Congo et ce n'est que lorsque l'État en aura pris l'initiative que les missions pourront y avoir recours. | Avant de pouvoir réaliser aucun progrès, il faudra que l'État mette en circulation deux ou trois fois plus de numéraire que la somme actuellement en cours et donne à l'indigène la faculté d'acheter où il l'entend les choses qu'il désire. Étant donné l'état de choses existant, même à Léopoldville, le petit négociant ne peut entrer en concurrence avec l'État vu l'élévation des frais de transport et les lourds impôts dont il est chargé; plus haut dans le pays, il serait absurde de vouloir seulement songer à ouvrir un magasin dans des districts où l'indigène ne peut s'acquitter en argent et n'est pas autorisé à payer en nature, attendu que les seuls articles que le marchand accepterait avec profit en échange de marchandises de toute espèce, constituent la propriété privée de l'État ou d'une Compagnie concessionnaire. || La question de la monnaie a une très grande portée au point de vue de la condition des populations indigènes et de leurs rapports avec l'Administration, et l'État, tout en manifestant ouvertement son désir de répandre l'usage de la monnaie dans le Congo, a négligé d'arrêter les mesures qui rendissent la chose possible." || Le Vice-consul

Staatsarchiv LXXX.

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Michell dit, dans son rapport sur le commerce dans le district des Stanley Falls pendant 1906 (Consul général Cromie, no 47, 1er juin 1907): „Tant que l'État n'aura pas introduit la monnaie, on ne peut compter sur une amélioration. Il ne paraît pas devoir le faire, car il réalise des bénéfices énormes grâce à l'impôt en nature." || M. le Vice-consul Beak dit, dans son rapport sur la tournée qu'il a faite dans le district du Katanga, no 2, du 6 septembre 1907: | Il n'a pas encore été établi de circulation monétaire; je ne puis cependant assez insister à cet égard sur ce que dit la Commission d'enquête, que cette mesure est réclamée par les agents de l'État, les factoreries, les missionnaires et même par les noirs qui ont appris à connaître l'argent". Etant donné le défaut de numéraire et l'absence de factoreries, l'indigène n'obtient pas réellement ce qu'il est sensé recevoir." || Le Vice-consul Armstrong dit, dans sa dépêche numéro I Africa, du 2 août 1907 (Consul général Cromie, n° 80, 12 août 1907): || Le fait que la nouvelle loi prévoit un système d'impôt ayant une base monétaire restera sans portée tant que le caoutchouc ne sera pas évalué à un prix équitable. Il n'existe pas d'argent dans les districts caoutchoutiers du Congo." || M. Armstrong dit, dans sa dépêche n° 3, Africa, du 18 décembre 1907: |,,Les indigènes du district du Stanley Pool habitant les rives du Congo, en amont de Léopoldville et de Kinchassa, sur une distance de quelque 150 milles, se sont vu refuser la faculté de payer l'impôt en argent. Un semblable état de choses existe dans d'autres parties de ce district en aval de Léopoldville. Le paiement de l'impôt en argent est le seul moyen réservé à l'indigène de recouvrer l'indépendance et de se procurer l'équivalent des produits qu'il donne actuellement à l'État.“

Taxation.

Après avoir examiné l'attitude du Gouvernement du Congo dans la question de la monnaie, on ne peut s'empêcher de remarquer un fait caractéristique, à savoir, la résolution arrêtée de se passer d'un type légal de valeur, résolution qui, seule, peut assurer le maintien d'un système de travail forcé avec tous ses avantages pour l'État ou les Compagnies. Partant de ce point capital, nous pouvons aborder, avec la Commission d'enquête, la question de l'impôt. La Commission d'enquête, dans son rapport, débute en disant que la plupart des critiques formulées à charge de l'État se rattachent plus ou moins à la question de l'impôt, seule taxe grevant l'indigène. || Sans doute cette question était la plus importante et la plus complexe. Dans l'opinion de la Commission, de la solution de ce problème découlait la solution

de presque tous les autres. || Elle s'est donc mise à examiner d'abord le principe de l'impôt en travail et, en second lieu, les effets de son application. Quant au principe, elle se crut fondée à défendre le système de l'impôt en travail sur les bases suivantes: || Que le développement du pays ne peut être assuré qu'avec l'aide de la main-d'oeuvre indigène; or les besoins de l'indigène étant vite satisfaits, celui-ci, s'il le pouvait, passerait sa vie dans l'oisiveté. Comme il n'existe pas, en fait, d'incitant au travail pour le noir, non seulement la politique de l'État s'en trouve parfaitement justifiée, mais encore, au sens de la Commission, l'État a agi sagement en faisant usage du seul moyen légal existant de rendre le travail obligatoire pour la population indigène, c'est-à-dire la perception de l'impôt en travail: || „C'est précisément en considération de la nécessité d'assurer à l'État le concours indispensable de la maind'oeuvre indigène qu'un impôt en travail est justifié au Congo. Cet impôt, en outre, remplace, vis-à-vis de ces populations, la contrainte qui, dans les pays civilisés, est exercée par les nécessités mêmes de la vie." || Ensuite: |,,L'impôt en travail est d'ailleurs l'unique impôt possible actuellement au Congo, car l'indigène, en règle générale, ne possède rien au delà de sa hutte, de ses armes et de quelques plantations strictement nécessaires à sa subsistance. Un impôt ayant pour base la richesse n'y serait pas possible. Si donc on reconnaît à l'État du Congo, comme à tout autre État, le droit de demander à ses populations les ressources nécessaires à son existence et à son développement, il faut évidemment lui reconnaître le droit de leur réclamer la seule chose que ces populations puissent donner, c'est-à-dire une certaine somme de travail." || Le Gouvernement de Sa Majesté ne conteste pas la nécessité du travail des indigènes pour le développement du Congo, mais il affirme que cette main-d'œuvre ne doit pas indispensablement être requise par l'État sous. forme d'impôt. Tenant compte que la monnaie peut être mise en circulation, si la taxe est établie et peut être acquittée en argent, ne s'en suit-il pas, tout spécialement dans les circonstances décrites par la Commission, que l'indigène sera tenu de travailler pour se procurer les moyens de s'acquitter? | A moins que l'expression:,,certaine somme de travail", dont usent les commissaires, ne doive être interprétée en ce sens: que, puisque l'indigène répugne au travail volontaire, l'État est fondé à exiger de lui, sous forme d'impôt en travail, un sacrifice hors de toute proportion avec ce qui serait légitimement requis si la taxe était établie en argent; le Gouvernement de Sa Majesté ne saisit pas la portée de l'argumentation précitée; en effet, ainsi qu'il a déjà été dit, le noir aurait encore à fournir la „certaine somme de travail" en vue de se procurer

l'argent nécessaire à l'acquittement de l'impôt. || Il est clair que la Commission ne songeait pas à reconnaître à l'État un pouvoir aussi arbitraire à l'égard de la main-d'œuvre indigène, car les commissaires ajoutent: li ,,Certes l'impôt en travail, comme tout impôt, ne doit absorber qu'une faible partie de l'activité individuelle; il doit servir uniquement aux besoins du Gouvernement, être en rapports avec les bienfaits que les contribuables mêmes en retirent; il doit enfin pouvoir se concilier, autant que possible, ainsi que nous le proposerons, avec le principe de la liberté individuelle, mais dans ces limites nous ne croyons pas qu'il puisse être critiqué. || D'autre part, l'obligation du travail, si elle n'est pas excessive et si elle est appliquée d'une manière équitable et paternelle, en évitant autant que possible, ainsi que nous exposerons ci-après, l'emploi des moyens violents, aura le grand avantage d'être un des agents les plus efficaces de civilisation et de transformation de la population indigène." | Les termes dont se sont servis les Commissaires doivent donc être considérés comme une justification du principe de l'impôt en travail, appliqué dans certaines limites, et rien de plus. | Le Gouvernement de Sa Majesté n'a pas d'objection à présenter concernant les vues des Commissaires ainsi comprises. || Il admettra même que, si le principe de l'impôt en travail est mis en pratique avec modération et si l'on prend toute précaution contre les abus auxquels ce système peutdonner lieu, son application est aussi irréprochable que celle de toute autre forme d'impôt. En effet, il peut y être recouru, dans certaines circonstances, tant dans l'intérêt de l'État que dans celui du contribuable. Mais le noeud de la question, c'est précisément la mesure dans aquelle doit se faire cette application. Nous allons voir comment l'impôt en travail, qui est appliqué dans l'État du Congo, est resté dans les limites qui seules, selon la Commission, justifient le système. || Toutefois il sera nécessaire avant tout de prendre une connaissance rapide de la législation existante en matière d'impôt. La première année de l'existence de l'État, les agents du Gouvernement, postés souvent dans des régions inexplorées et isolées du pays, étaient autorisés à requérir des noirs les choses nécessaires à leur subsistance. || Le décret du 6 octobre 1893 prévoyait une contribution de la part du chef reconnu par l'État. Un décret du 28 novembre 1893 donnait pouvoir au commandant en lchef des forces de l'État au Manyema de lever certaines des ressources nécessaires pour couvrir les dépenses extraordinaires causées par la répression de la révolte arabe; cet acte détermine la nature et le montant des contributions que devait fournir chaque localité ou chef indigène. L'article 7 du décret du 30 octobre 1892 impose aux indigènes faisant

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