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base généralement adoptée consistait dans le droit d'être jugé et administré par des juges et des administrateurs bourgeois. Ces officiers n'étaient ni des maires ni des jurés ; ils ressemblaient plutôt aux syndics et aux consuls, dont le nom, appellation pompeuse, s'est perpétué et existe encore dans certaines communes italiennes pour désigner de petits officiers municipaux. En troisième lieu, enfin, les bourgeois se ménagèrent presque partout le droit de se réunir, de s'armer pour leur défense, d'avoir leurs fortifications, leur milice, leur bourse; maintes communes affectaient les formes féodales et avaient leurs fiefs.

Sur ces bases communes, il exista des organisations fort diverses. Dans le midi c'étaient des républiques puissantes et fortes; ailleurs de modestes bourgeoisies; il y avait des villes où se trouvaient plusieurs enceintes, plusieurs juridictions différentes pour les méfaits commis de jour et pour les méfaits commis de nuit, juridictions divisées entre l'évêque, le seigneur, la municipalité, ayant leur puissance à part. Mais au milieu de ces inégalités, de ces diversités, de ces formes bizarres, toujours est-il que la commune devint le berceau du travailleur libre ; c'étaient de grands ateliers non plus d'esclaves, mais d'hommes qui avaient recouvré leur indépendance. C'est là ce qui constitue le fait important de cette époque. Appelés à étudier les besoins de l'état social au milieu duquel ils se trouvèrent, à le développer dans leur propre intérêt, ces hommes formèrent un élément nouveau dans le monde, élément modeste il est vrai,

naissant à peine, mais renfermant dans son sein le germe de ce qui devait être plus tard le véritable élément national. La féodalité qui, comme force dominatrice exclusive, avait fait son temps, l'Église qui avait aussi, dans ses relations temporelles, affecté la même forme et continué son règne, la royauté, bien faible encore, comme la commune, et, comme elle, près de grandir, tels étaient les quatre éléments de la société au XIIe siècle. Comment se sont-ils combinés, modifiés, développés de manière à produire l'ère nouvelle ouverte par la grande Révolution de 1789 ? C'est là ce qui nous reste à examiner maintenant.

ONZIÈME LEÇON

SOMMAIRE

La commune en France, surtout au nord, n'a jamais prétendu ni pu prétendre au gouvernement du pays. Différences sous ce rapport avec les villes italiennes et avec quelques villes du midi de la France. Guerre des Albigeois. Accroissements de la royauté. Le pouvoir royal appuyé à la fois sur le principe féodal de l'hérédité et sur les anciennes traditions, et soutenu par l'influence de l'Église, s'est développé surtout par le rôle qu'il a joué comme médiateur et comme protecteur des faibles. - Louis le Gros. Suger. — Philippe-Auguste. Saint Louis.

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MESSIEURS,

Nous l'avons dit, dans le régime féodal il n'y avait ni égalité civile, ni unité nationale. Il n'y avait pas d'unité nationale, il n'y avait ni l'unité matérielle, puisqu'il y avait autant de petites principautés que de suzerains, de seigneurs feudataires, ni cette unité morale, intime qui résulte de l'égalité devant la loi dont jouissent les membres du même État.

Nous l'avons vu également, les croisades ont été, sans doute, un immense événement, un fait qui a exercé la plus grande influence sur les esprits, les opinions, les sentiments, les mœurs, l'industrie et les

connaissances de l'Europe. Elles ont été le fait révélateur d'une grande pensée, de la pensée même de l'unité, mais un fait qui n'entraînait avec lui aucun changement radical immédiat dans l'organisation de l'État et du gouvernement politique, un fait préparateur, nullement organisateur.

Enfin nous avons parlé de la commune, de la résurrection de l'élément populaire, de ces communes où se préparait la matière, pour ainsi dire, qui devait plus tard occuper l'État tout entier, des communes qui commençaient cette élaboration, ce travail séculaire d'où devait sortir plus tard le peuple français dans toute sa force, travail qui devait amener à la fois l'égalité civile et l'unité nationale. Et ce travail séculaire devait se faire au travers de grandes et diverses vicissitudes et par une lutte souvent violente, sanglante. On le conçoit, ce n'était pas facilement ni sans combats que cette grande et nouvelle force pouvait arriver, et, pour parler comme on parle aujourd'hui, se poser au sein d'une société qui était tout autrement organisée.

Mais il faut aussi ne pas l'oublier, quels que fussent les germes que cette institution renfermait, quel que fût l'avenir qui lui était réservé, au moment de son établissement elle ne faisait, en quelque sorte, qu'introduire au profit d'une classe nouvelle des priviléges, des inégalités. Comme il y avait les priviléges des fiefs, les priviléges de l'Église, il y eut les priviléges des communes, les franchises communales, les privileges et franchises des corporations qui se formaient.

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C'est ainsi que se développait une nouvelle classe d'hommes, jouissant d'un droit à eux, et n'étant plus soumis à la puissance personnelle d'un autre. Et la commune du moyen âge, tout en réunissant ces caractères, n'a pourtant jamais pu arriver ni prétendre au gouvernement du pays. Elle ne s'est pas emparée alors complétement du sol de la France, ni du gouvernement de la France. Il n'est pas arrivé pour la commune du moyen âge dans ce pays, ce qui est arrivé dans d'autres pays où le développement municipal, communal fut beaucoup plus énergique et aspira à devenir une puissance politique. Les communes du moyen âge en France, surtout si on regarde au nord (on pourrait trouver une exception dans les communes ou dans plusieurs des communes et des grandes villes du midi), étaient plutôt des corporations défensives que des associations politiques. Elles ne songeaient pas à gouverner, elles songeaient à se défendre contre leurs oppresseurs. Ce qu'elles voulaient c'était de repousser ce que la seigneurie féodale avait d'odieux et de vexatoire, ce qu'elles voulaient c'était de trouver, à l'abri de leurs murailles et de leurs chartes, la sûreté personnelle, la sûreté pour leur industrie, l'affranchissement de la servitude personnelle. Dans une grande partie du pays qui constitue aujourd'hui la France, l'organisation féodale était trop forte pour que la commune pût aspirer à un but plus élevé que celui dont je viens de parler, pour que la commune pût aspirer au gouvernement du pays. Elle n'était pas de force à mettre, pour ainsi dire, à la porte le seigneur féodal ou bien à le contraindre à

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