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mina, vous le savez, par le succès de l'entreprise de cet homme qui vit pendant trois jours, dans une cour du château de Canossa, l'empereur d'Allemagne seul, pieds nus, dans la neige, jeûnant et se morfondant, pour obtenir l'indulgence de Rome. Et il y avait tellement là l'action d'un principe inexorable, que ce même empereur fut ensuite dépouillé par une main qu'on pourrait appeler parricide, qu'il demanda, sans pouvoir l'obtenir, la permission de remplir l'office de clerc dans une église, et qu'après sa mort son cadavre demeura sans sépulture pendant cinq ans.

Tel fut le triomphe du principe théocratique. Et dès lors, remarquez-le, le règne exclusif de la féodalité fut déjà impossible, parce que dès lors l'Église se posait fièrement devant la féodalité comme une puissance non-seulement indépendante, mais supérieure; et c'était, il faut bien le reconnaître, c'était au fond le triomphe de l'élément populaire, qui se déguisait sous les noms de prêtre et de moine. Mais il en arriva de tous ces triomphes comme de tous les triomphes dont on abuse, il en arriva de ces prétentions comme de toutes les prétentions qu'on exagère ; par l'excès même de son triomphe et de ses prétentions, Rome fut amenée peu à peu et même assez vite à déserter sa véritable cause, qui était la cause du peuple et de l'égalité, et à se préparer des résistances et des revers. Elle n'avait pas compris que, dans ce mouvement qui s'était manifesté en sa faveur, il y avait au fond autre chose qu'un simple dévouement au sacerdoce, qu'il y avait au fond l'élément de

liberté qui s'agitait dans ces peuples, qui se réveillait quand Rome résistait au principe de l'aristocratie féodale. L'Église ne le comprit pas, elle se laissa enivrer de sa puissance et se perdit.

Quoi qu'il en soit, il est vrai de dire que, sous l'égide de Rome triomphant ainsi et à l'aide même de la bourgeoisie naissante, se développa la royauté française. L'Église prêchait le droit de la royauté, la soutenait de son influence morale et de sa parole. On reconnaissait que tout fief sans héritier devait revenir au roi. L'Église ébranlait l'édifice féodal par l'appel au roi, et en ébranlant ainsi l'édifice féodal, elle l'ébranlait au bénéfice de la bourgeoisie, mais en même temps au profit de la royauté. Louis le Gros était, en quelque sorte, le roi des bourgeois et des couvents. Innocent III écrivait à Philippe-Auguste : « Ton royaume est si uni avec l'Église, que l'un ne peut souffrir sans que l'autre souffre également. » Et dans un certain sens la proposition était vraie, parce qu'ils avaient pour ennemi commun la féodalité. Les évêques assistaient les rois de France dans leurs entreprises. A la bataille de Bouvines, l'épiscopat était venu en aide à la royauté.

Jusque-là on est dans l'ordre naturel des choses. Mais cette paix, cette harmonie, pouvaient-elles durer longtemps avec les prétentions et les principes établis par Hildebrand? Évidemment elles ne pouvaient durer que jusqu'au jour où cette royauté, dont on favorisait les commencements, aurait un tel sentiment d'elle-même et une telle confiance en ellemême qu'elle aussi dirait : Je ne relève pas de Rome.

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Les prétentions romaines sur le gouvernement des choses du monde devaient donc amener une lutte, et cette lutte devait éclater le jour où une force sociale aurait pris la place de la féodalité. La féodalité avait lutté dans la personne des empereurs d'Allemagne ; elle avait succombé. La royauté, implantée au sein des bourgeoisies nouvelles venant à grandir, le jour où cette royauté nouvelle se sentirait assez grande et assez forte pour repousser le rôle de vassale, ce jourlà devait commencer la lutte avec Rome, et ce jour-là Rome avait à opter entre plusieurs rôles, entre le rôle de puissance morale et spirituelle, ou bien, si elle voulait se mêler des choses de ce monde, et si elle ne parvenait pas à dompter la royauté comme elle avait dompté la féodalité, elle avait à opter, pour exprimer l'idée par deux mots bien connus, entre le rôle de Guelfe et le rôle de Gibeline. Et Rome, après avoir longtemps soutenu le premier rôle, à la tête de la ligue lombarde, finit par adopter le second, et ne se douta pas qu'en se faisant Gibeline, elle ne faisait que devenir l'alliée et l'alliée subalterne du pouvoir absolu.

TREIZIÈME LEÇON

SOMMAIRE

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La lutte de la royauté française contre la cour de Rome n'avait pas le même caractère que la querelle entre la papauté et l'empire. Avénement des Valois; consécration du principe qui exclut les femmes de la couronne. Philippe VI et Jean le Bon. - Désastres de Crécy et de Poitiers. - États généraux. Jacquerie. Réaction contre la bourgeoisie. Traité de Brétigny. Charles V. Charles VI. Insurrection des communes flamandes; massacre de Rosebeke et réaction violente contre les libertés communales. Invasion anglaise. Charles VII. Jeanne d'Arc délivre la France en révélant au peuple le sentiment de sa force. - Le peuple opprimé par les grands se jette dans les bras de la royauté. Transformation de la royauté féodale en monarchie marchant vers le pouvoir absolu.

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MESSIEURS,

La royauté féodale mise en relief par Louis le Gros, par Philippe-Auguste, par saint-Louis, fut encore, ainsi que nous l'avons dit, consolidée par Philippe le Bel. C'est par Philippe le Bel que fut détruite au profit de la royauté et aussi au profit de l'unité, cette grande individualité des Templiers. Ce fut aussi sous Philippe le Bel qu'il s'établit une lutte entre la royauté française et la papauté. Mais ne nous y trompons pas, malgré les apparences, cette lutte

avec la papauté n'était pas la même que celle qui s'était élevée entre les empereurs d'Allemagne et Rome, entre Henri et Grégoire. Sans doute, du côté des pontifes, la querelle dérivait du même principe, de la prétention de constituer l'Europe en une unité soumise au pape et gouvernée par des rois qui n'auraient été en quelque sorte que ses délégués. Mais, de l'autre côté, la royauté française ne faisait pas valoir vis-à-vis du pape, de Rome et de l'Italie cette espèce de seigneurie, de domination, à laquelle prétendaient les empereurs d'Allemagne, qui se regardaient comme les successeurs et les héritiers des empereurs de Constantinople.

Si les prétentions des empereurs d'Allemagne eussent eu quelque succès, ils auraient fait du pape, en quelque sorte, leur aumônier. Ce n'était pas là le sens de la lutte qui s'élevait entre la royauté française et la cour de Romé. La royauté française, par ses résistances, préludait à cette lutte qui a ensuite exercé tant de nobles esprits, hommes d'État, publicistes, jurisconsultes, théologiens, canonistes, à cette lutte qui a eu pour résultat, non encore une fois d'abaisser le pontificat, mais de séparer le spirituel du temporel, de tirer une ligne de démarcation entre la puissance publique et l'autorité spirituelle. C'était donc de la part de la royauté une lutte défensive plutôt qu'offensive.

A ne considérer que le règne de Philippe le Bel, à voir les succès qu'il avait obtenus dans ses tentatives despotiques, on pourrait croire que, dès ce moment, la royauté en France s'élançait, pour ainsi dire, ailes

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