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Mais, au contraire, agissait-on au nom de ces deux principes, en professant un haut et profond respect pour ces deux principes? Vous le savez, dans ce cas-là, la France a beaucoup toléré, beaucoup pardonné, beaucoup oublié, jusqu'à sa liberté. Mais c'est qu'on respectait les deux biens auxquels elle était si vivement attachée; on respectait les deux dogmes essentiels, capitaux de sa religion nouvelle. La Convention sauvait l'unité nationale, l'empire respectait l'égalité. La France, je le répète, a beaucoup toléré, beaucoup pardonné, beaucoup oublié, trop peut-être, mais toujours quand on respectait ces deux bases fondamentales: l'unité nationale et l'égalité civile.

Cette grande et belle restauration de l'humanité est désormais irrévocablement acquise à la France, et par elle au monde civilisé. La France a ouvert la carrière; tôt ou tard, par des voies qui ne nous sont pas connues, le monde suivra. Établir l'édifice social sur les fondements de l'égalité civile et de l'unité nationale, voilà le résumé, voilà la religion déclarée, proclamée par la France. C'est un système nouveau, en tant que système politique et réel; c'est un système éminemment français, un système dont la France a été à la fois le révélateur et l'apôtre.

Système nouveau et éminemment français, car portez vos regards sur la surface du monde, où le trouvez-vous? A peine commence-t-il à se naturaliser dans les pays qui ont voulu imiter la France.

Je ne parle pas des pays organisés par le pouvoir absolu. Mais même dans les pays où la liberté a déjà

son drapeau, où trouvez-vous ce système nouveau véritablement implanté ?

En Angleterre? Il faut le dire, l'Angleterre nous a précédés dans le développement de certaines libertés ; mais a-t-elle même aujourd'hui l'unité nationale? Y a-t-il union entre ses diverses parties, entre l'Irlande et l'Angleterre, par exemple, comme entre les diverses provinces de la France? Et le principe de l'égalité civile a-t-il véritablement étendu ses racines en Angleterre ? C'est là le travail anglais aujourd'hui ; il ne faut pas se faire illusion, l'Angleterre y marche aujourd'hui ; elle fait ses efforts pour y marcher sans déchirement, et nous devons tous faire des vœux pour que ses efforts soient couronnés de succès. Mais elle n'en est encore qu'à faire des efforts pour marcher vers cette égalité civile que la France possède.

En Amérique ? Sans doute, il y a égalité civile; mais y a-t-il une forte et compacte unité nationale, comme en France? Les éléments qui la composent sont-ils liés entre eux d'une manière indissoluble? N'y a-t-il pas à craindre quelque grand déchirement prochain ou éloigné? Et quand je dis qu'il y a égalité civile, je tire un voile officieux sur un grand fait, sur un fait bien déplorable, l'esclavage qui existe aux États-Unis, non comme une exception reléguée au fond d'une colonie, tirant à sa fin comme chez nous, mais établi au sein même du territoire de la confédération. Et en mettant même de côté ce fait lamentable, on ne saurait dire que l'égalité civile soit établie là comme en France.

En Suisse? L'égalité civile ne date en Suisse que de

1798 pour quelques cantons, et de 1831 pour les autres. Et même, si on y regardait de bien près, on verrait que cette égalité n'est pas absolue; on trouverait encore certains priviléges possédés par les villes aux dépens des campagnes; on en trouverait d'autres dérivant de la religion qu'on professe. Hâtons-nous d'ajouter, toutefois, que ce ne sont là que de faibles exceptions. Quant à l'unité nationale, on ne saurait la trouver forte et compacte dans cette réunion de petits États qui forment la confédération suisse. Je ne blâme pas ce système. Cela peut être une nécessité dans un pays de montagnes comme la Suisse, mais il n'est pas moins vrai que cette organisation n'offre pas la même force que le système unitaire.

Ainsi, je le répète, c'est un principe véritablement français; c'est une nouveauté véritable dans l'organisation des États que cette organisation sociale fondée sur les deux bases de l'égalité civile et de l'unité nationale. C'est la France qui l'a proclamée, et c'est sur l'exemple de la France que le monde entier entrera dans la pratique de ce système.

DIX-SEPTIÈME LEÇON

SOMMAIRE

L'égalité civile.

- Elle existe lorsque, sous le rapport des faits et des droits garantis par le droit privé et par le droit public, la loi sociale est la même pour tous. Elle ne doit pas être confondue avec l'égalité des conditions. Quels seraient les résultats de l'égalité des conditions établie comme règle.

La conciliation du principe de l'égalité civile avec le fait de l'inégalité des conditions est le problème des temps modernes. - L'égalité civile est également distincte de la somme des droits publics et de l'étendue des droits politiques, quoique les trois idées soient liées par des rapports intimes. L'égalité civile est fondée sur les principes constitutifs de l'humanité; ce qui explique l'assentiment obtenu par tous les pouvoirs qui ont travaillé à sa réalisation. Elle est posée en tête de notre constitution comme principe fondamental et plusieurs autres dispositions n'en sont que des corollaires.

MESSIEURS,

L'égalité civile, l'égalité devant-la loi, ce principe fondamental, nous l'avons dit, a fermé chez nous l'histoire du droit public ancien, et l'on peut dire qu'elle a ouvert celle du droit nouveau. Ainsi de tous ces faits d'une autre époque, de toutes ces divisions de peuples en castes ou en classes séparées par des priviléges infranchissables, de tous ces efforts de la conquête, il ne reste plus de traces sensibles. Chez nous, le règne du privilége a cessé, celui du droit commun a commencé; il n'y a en France que des

Français et des Français égaux devant la loi. Examiñons cependant ce principe de plus près; il est important d'en saisir avec la dernière exactitude le sens et la portée.

Tout homme est doué de liberté et d'activité personnelle, vous le savez, ce sont là des principes constitutifs de notre nature. Pour chacun de nous, l'action de ces principes, de cette liberté, de cette activité personnelle produit certains résultats relatifs à notre bien-être, certains résultats relatifs à notre développement, et ces résultats, nul ne l'ignore, ne sont pas les mêmes pour chacun de nous; ces résultats, pour chaque individu, se proportionnent à ses forces, à ses moyens, aux circonstances au sein desquelles il se trouve placé, à l'énergie qu'il sait déployer, Mais, il n'est pas moins vrai que, quelle que soit la mesure des forces individuelles, quelle que soit l'énergie de ce ressort que tout homme porte en luimême, il n'est pas moins vrai, dis-je, que d'un côté, le devoir commande à chacun de nous d'employer cette énergie, de déployer ce ressort pour le développement et le perfectionnement de notre nature, comme il est vrai, d'un autre côté, que quelle que soit cette diversité de forces, chacun de nous a en même temps le droit de pouvoir développer les moyens qu'il possède, le droit de ne pas être empêché dans l'exercice légitime de ses facultés, le droit de ne pas être arbitrairement dépouillé des résultats de son énergie personnelle.

Tel est, dis-je, le devoir d'un côté, le droit de l'autre. Or, où l'homme trouve-t-il les moyens néces

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