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tituer un mobile nouveau au mobile d'entraînement et d'enthousiasme qui devait s'affaiblir sous le Consulat, lorsqu'à des guerres d'idées et à des guerres nationales allaient succéder des guerres de cabinet; il fallait d'ailleurs quelque chose qui rattachât davantage celui qui décernait les récompenses à ceux qui les obtenaient. Il s'appuya sur l'article 87 de la Constitution de l'an VIII pour fonder la Légion d'honneur. « En exécution de l'article 87 de la Constitu>>tion, concernant les récompenses militaires, dit » l'article 1o de la loi du 29 Floréal an X, et pour >> récompenser aussi les services et les vertus civiles, >> il sera formé une Légion d'honneur. » Il y avait là une extension de l'esprit de la loi constitutionnelle. Cependant, c'était rendre hommage à la constitution que de l'invoquer.

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Mais la Légion d'honneur était fondée par un grand capitaine et chez un peuple militaire; il n'est pas étonnant dès lors qu'elle fût organisée militairement. La Légion d'honneur avait un grand conseil d'administration composé de sept grands officiers, et quinze cohortes, comme qui dirait quinze bataillons, comprenant des grands officiers, des commandants, des officiers et des légionnaires. Des biens nationaux devaient être affectés à chaque cohorte pour fournir des traitements et établir des hospices et des logements pour recueillir soit les membres de la Légion que leur vieillesse, leurs infirmités ou leurs blessures auraient mis dans l'impossibilité de servir l'État. Il y avait là une organisation faite à l'instar des corps militaires et quelques

réminiscences des anciens ordres de chevalerie. On pensera ce qu'on voudra de l'institution de la Légion d'honneur et de tous les ordres, mais quoiqu'on en puisse penser, personne ne révoquera en doute qu'il n'y ait eu là un mobile extrêmement puissant, qui a produit surtout ce que son auteur voulait produire, l'attachement des légionnaires au fondateur de l'ordre, l'union intime des légionnaires avec Napoléon. Mais il y a ensuite un fait historique irrécusable, c'est l'effet magique que produisit la création de la Légion d'honneur, surtout sur la partie militaire de ln nation.

La Restauration trouva la Légion d'honneur tellement enracinée dans le pays que, bien qu'elle revînt escortée de ses anciens ordres de chevalerie, elle ne songea pas même à toucher à celui-là. Elle le confirma par la Charte, article 72, et par l'ordonnance du 19 juillet 1814 qui, du reste, modifia l'institution et lui enleva surtout la forme militaire et aussi les droits politiques attachés au titre de membre de la Légion. Il n'y eut donc plus là qu'une distinction honorifique, ne conférant aucun droit ni capacité.

En 1830, deux ordonnances, celles du 13 et du 25 août, ont modifié la décoration et substitué les drapeaux tricolores aux fleurs de lis. C'était une application de l'article 63 de la nouvelle Charte : « La Légion d'honneur est maintenue. Le roi déter>> minera les règlements intérieurs et la décora>>tion. >>>

DIX-NEUVIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Exception au principe de l'égalité civile: système colonial; esclavage.— Colonies dans le monde ancien et dans le monde moderne. - Cinq systèmes

de colonies modernes : colonies agricoles;

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de planteurs; de mines;

colonies pénales. - Comment s'est étaDécouvertes des Portugais et des Espa

gnols au xve siècle : partage fait par le pape.·

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Conquête des Anglais et des Hollandais. Établissements français. - Colbert. - Organisation du système colonial,

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MESSIEURS,

Après avoir examiné le principe fondamental de notre organisation sociale, le principe de l'égalité civile, tel qu'il est posé dans l'article 1er de notre loi constitutionnelle, nous avons parlé de certains faits tels que la noblesse et les distinctions honorifiques; nous avons vu que ces faits ne sont au fond que la traduction légale de certaines inégalités de condition et de rang qui ne portent pas atteinte au principe de l'égalité civile, de l'égalité devant la loi.

Mais il y a un autre fait qui n'admet pas la même explication et qui est cependant consacré par un ar

A

ticle de la Charte constitutionnelle, par l'article 64 qui reconnaît un régime spécial, particulier, pour les colonies. « Les colonies françaises, dit cet article, seront régies par des lois particulières. » La Charte de 1814 contenait quelque chose de plus, elle disait: <<< Les colonies seront régies par des lois et des réglements particuliers. » Dans la Charte de 1830 le mot règlement a disparu. Avant la révolution de 1830, les colonies pouvaient être régies ou par des lois proprement dites, ou par de simples ordonnances royales appelées règlements; aujourd'hui elles doivent être régies par des lois. C'est là, sans doute, un changement important sur lequel nous reviendrons bientôt en examinant le régime colonial; nous verrons alors la distinction faite par la loi de la puissance législative et administrative dans les colonies.

Quoi qu'il en soit, que les colonies soient régies par des lois ou par des règlements, toujours est-il que le système colonial n'est pas le système français, toujours est-il que les colonies ne sont pas régies uniquement et exclusivement par le droit français, qu'il y a là un droit particulier qui n'est pas le droit commun de la France. On ne peut pas se dissimuler qu'il y a, dans le fait des colonies, une exception au principe de l'égalité civile et, jusqu'à un certain point même, au principe de l'unité nationale. Encore une fois, le droit des colonies n'est pas en tout et pour tout le droit commun des Français.

Il est vrai que, s'il est des êtres humains qui puissent avoir le droit de se plaindre de cette situation exceptionnelle, ce ne sont guère 'les colons eux-mê

mes. Car avant de se plaindre que le droit commun de la France ne soit pas le droit commun des colonies, avant, dis-je, d'avoir le droit de se plaindre de cette exception pour eux-mêmes, les colons devraient renoncer à la plus choquante des exceptions, au plus choquant de tous les priviléges, à un fait que je n'ose pas, que je n'oserai jamais appeler un droit, à ce fait en vertu duquel un colon est ce qu'aucun roi de l'Europe n'est plus, c'est-à-dire un propriétaire d'hommes.

Oui, il y a des colonies et dans ces colonies il y a des esclaves; il est des terres qu'on doit appeler françaises, et sur ces terres il y a des esclaves; il est des hommes qui ont respiré en naissant l'air que respirent les Français, et ces hommes sont des esclaves; il est des hommes dont le français est la langue maternelle, et ces hommes sont des esclaves; il est des hommes régis par la loi française, et ces hommes sont des esclaves; il est des hommes qui adorent le Dieu des Français, avec les formes du culte français, et ces hommes sont des esclaves. On les a faits chrétiens, mais on n'a pas songé d'abord à les faire hommes.

Nous nous connaissons à l'heure qu'il est, Messieurs, et vous êtes bien convaincus, j'espère, que nul plus que moi ne hait les vaines déclamations. Nul plus que moi ne comprend le péril de ces déclamations, et la prudence que tout homme qui se respecte doit apporter en traitant de pareilles questions. Mais le fait de l'esclavage, de l'esclavage existant au milieu de nous, au XIXe siècle, est un fait

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