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VINGTIÈME LEÇON

SOMMAIRE

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État

Commerce des nègres encouragé par les gouvernements et réglementé. Dispositions principales de la législation connue sous le nom de Code noir. Esclaves envoyés en France; marché d'esclaves à Paris. des colonies au moment de la révolution de 1789. - Influence de l'opinion sur l'application des lois. - Ligne de démarcation établie par la différence de couleur de la peau. Anecdotes à ce sujet.

MESSIEURS,

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Nous avons vu comment s'est formé, quant aux possessions elles-mêmes, le système colonial moderne. Mais ici arrive un fait nouveau, et c'est là le fait important pour nous. Les plantations, ou l'exploitation des mines dans les colonies exigeaient des travaux auxquels la population transportée d'Europe était loin de suffire, et les faibles débris de la population indigène qui avaient survécu aux atteintes de la férocité espagnole, n'étaient pas de nature à pouvoir supporter les fatigues qu'imposait l'insatiable avidité des exploiteurs de mines et des planteurs. Les malheureux indigènes avaient souffert plus de maux que l'imagination n'en peut rêver, des maux tels que

je n'en voudrais de ma vie relire l'histoire, car je ne connais pas de torture morale plus grande que cette lecture. Ils finirent par trouver un avocat zélé, un homme de religion et d'humanité qui ne craignit pas de plaider leur cause. Vous avez tous compris que je veux parler de Las Casas. Eh bien, voyez la combinaison étrange des choses humaines. Cet esclavage, qui est encore aujourd'hui la plaie de notre civilisation, est dû en grande partie à l'humanité de Las Casas. Il voyait exiger des Indiens des travaux qui étaient décidément au-dessus de leurs forces, il voyait les débris de cette misérable population prêts à disparaître du sol américain, il voyait le jour où il ne resterait pas un homme pour pleurer sur le tombeau de l'ancienne Amérique, et il conçut l'idée de remplacer le faible bras de l'Indien par le bras vigoureux de l'Africain; il conçut l'idée de transporter le nègre aux Antilles.

Le commerce des nègres est antérieur à la découverte de l'Amérique; il est dû en partie aux Portugais, qui avaient formé des comptoirs sur la côte d'Afrique. Au lieu de s'opposer à la cupidité des petits rois africains qui vendaient leurs sujets pour de l'eau-de-vie ou pour quelques morceaux de clinquant, ils se prêtaient à ce commerce, et lorsque ces petits rois faisaient ce que nous pourrions appeler la presse des esclaves, les comptoirs portugais s'ouvraient pour recevoir ces esclaves et en payer le prix.

Le commerce des esclaves s'établit donc aux Antilles. C'est surtout à partir de 1517 qu'il devint ré

gulier et permanent. Charles-Quint donna à son favori La Bressa, le monopole du transport annuel de 4,000 esclaves; celui-ci le vendit aux Génois qui recevaient les esclaves des Portugais. Mais un fait nouveau vint surtout donner de l'agrandissement à ce commerce. En 1641 on transporta du Brésil à l'île de Barbade la culture de la canne à sucre, et cet essai ayant dépassé toutes les espérances, décida de la culture des Antilles. On résolut d'y cultiver principalement la canne à sucre; on se persuada de plus en plus qu'il fallait pour cela le bras des nègres, et le commerce des esclaves en prit une extension déplorable. Les gouvernements ne résistèrent point à la cupidité des spéculateurs, l'esclavage fut toléré, encouragé même, et en le réglementant on le légitima, je veux dire qu'on lui donna une existence légale, car je n'entends pas dire qu'il soit au pouvoir de personne de rendre légitime l'asservissement d'une classe d'hommes par une autre.

C'est ainsi que l'esclavage fut rétabli au sein de notre civilisation, dans des pays chrétiens; et Rome qui lançait des interdits lorsqu'on osait toucher à un couvent, ou lorsqu'on osait permettre l'impression d'un ouvrage qui lui déplaisait, Rome grut probablement que la loi du Christ n'avait point été prêchée pour les angles faciaux étroits et les peaux noires. Et l'on vit pendant trois siècles les gouvernements chrétiens réglementer l'esclavage comme auraient pu le faire Ælius Sentius, Claude et Adrien.

La France réglementa comme les autres. Louis XIV rendit au mois de mars 1685, le fameux édit connu

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sous le nom de Code noir et qui avait pour objet de régler la discipline des esclaves nègres des îles de l'Amérique française. Et ce code noir, dont on ne peut lire aujourd'hui certaines parties sans frissonner, ce code noir a été, dans son temps, un progrès, une amélioration, une garantie pour les malheureux esclaves.

Il y avait deux origines pour les esclaves des colonies. Les uns provenaient de cet abominable commerce qu'on appelle la traite, et faisaient partie de ces cargaisons d'hommes qu'on allait chercher sur la côte d'Afrique et qui étaient livrés par les petits tyrans du pays; les autres étaient les enfants des premiers, nés dans la colonie, et que le malheur de leur naissance faisait esclaves comme leurs pères.

Les uns et les autres sont la propriété absolue de leurs maîtres; tout ce qui peut venir aux esclaves par industrie, ou par la libéralité d'autres personnes ou autrement, à quelque titre que ce soit, est acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs père et mère, leurs parents ou tous autres, libres ou esclaves, puissent rien prétendre par succession, disposition entre vifs ou à cause de mort. Il résulte cependant d'une autre disposition du même édit, que les esclaves pouvaient obtenir de leurs maîtres la permission de faire un trafic à part et de se constituer un pécule avec leurs gains.

L'esclave est considéré comme meuble, il entre donc dans la communauté, n'est pas sujet à hypo

thèque et sa saisie se fait dans la forme des saisies de choses mobilières.

Les esclaves ne peuvent être pourvus d'aucunes fonctions publiques, ni être constitués agents par d'autres que leurs maîtres, pour agir ou administrer aucun négoce; ni être arbitres-experts, ou témoins tant en matière civile que criminelle, et en cas qu'ils soient entendus en témoignage, leurs dépositions ne peuvent servir que de mémoires, pour aider les juges à s'éclairer, sans qu'on en puisse d'ailleurs tirer aucune présomption, ni conjecture, ni adminicule de preuve.

Le maître a le droit de faire enchaîner son esclave et de le faire battre de verges ou de cordes. Mais il ne peut lui donner la torture ni lui faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation de l'esclave et de poursuite extraordinaire contre le maître. Celui qui aurait tué un esclave doit être poursuivi criminellement et puni selon l'atrocité des circonstances; mais il peut y avoir lieu à absolution même dans ce cas.

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L'esclave qui aura frappé son maître ou la femme de son maître, sa maîtresse ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, est puni de mort. L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lis sur une épaule; s'il récidive un autre mois, il sera marqué sur l'autre épaule et aura le jarret coupé; la troisième faute est punie de mort. L'esclave puni de mort, sur la dénonciation de son maître, doit être estimé avant l'exécution

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