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dans la première période historique, relativement à la formation des États, sous le rapport de la forme exté

rieure.

Si nous passons en Europe, nous retrouvons également les trois systèmes : la tribu les États fédératifs et les États unitaires proprement dits.

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La tribu et même la tribu nomade, je n'ai pas besoin de le dire, existait encore dans les parties de l'Europe qu'aucune idée de civilisation n'avait encore abordées.

Les fédérations... mais ce nom vous rappelle de grands souvenirs historiques. Sans parler ici du Latium et de l'Étrurie, il n'est pas un de vous à qui le nom d'État confédéré ne rappelle la Grèce. Il faut le dire, l'idée d'une unité politique ferme et compacte n'entrait pas dans le génie grec. L'unité politique dans le monde ancien, supposait un calme, une persévérance, une sorte d'immobilité qui se trouvaient dans l'Inde, en Égypte, qui caractérisaient particulièrement le génie oriental, mais qui, fort heureusement pour l'intelligence humaine, ont toujours été repoussés par le génie grec. Le prêtre égyptien, le satrape de l'Asie ne pouvaient pas se naturaliser au milieu d'un peuple aussi varié que l'étaient son sol et son climat, au milieu d'un peuple dominé avant tout par son imagination, au milieu d'un peuple qui a Constamment sacrifié son repos à l'honneur et même, disons-le, à la vanité, les intérêts matériels à la passion, l'avenir au présent.

Tels étaient les caractères dominants du peuple grec. Il était éminemment le peale des arts. Or, ces

institutions qui pouvaient en Asie et en Afrique fonder une sorte d'unité politique, ne pouvaient se naturaliser au milieu du peuple grec. On dirait qu'il y a eu une sorte de divorce, dans l'antiquité, entre le développement du génie individuel, de l'intelligence humaine, surtout dans le domaine de l'art, et le génie politique proprement dit. D'un côté, vous trouvez des États qui, en tenant compte de toute la différence des temps et des difficultés dont ils étaient environnés, offrent cependant des exemples d'unité politique assez ferme et compacte et d'une pensée politique assez élevée, mais là vous ne voyez pas ces grands éclats de l'intelligence, ces immenses conquêtes dans le domaine de la pensée et de l'art, qui ont à jamais honoré le peuple grec. Au contraire, ces grands prodiges de la pensée et de l'art, vous les trouvez chez ce peuple grec pour qui la haute pensée politique n'a jamais été en première ligne, qui cédait à ses passions plutôt qu'à cette pensée politique dont les Romains ont donné plus tard un exemple si mémorable.

Déjà, du temps du siége de Troie, qu'était-ce qu'Agamemnon, si ce n'est un chef de tribu élu entre ses égaux. La voix même du prêtre est impuissante à contenir ces individualités toujours en révolte les unes contre les autres. Reconnaissez-vous là le prêtre égyptien avec sa puissance et son autorité? Et, s'il y a du vrai dans le récit du siége de Troie, est-ce véritablement un lien religieux ou politique qui a retenu ces hommes sur les plages de l'Asie? Non, Messieurs, c'est l'honneur national, c'est un sentiment, c'est la passion, c'est le désir de la vengeance, c'est aussi la

cupidité, le désir de la proie, mais ce n'est pas un lien religieux et politique tel qu'on le trouve dans les États de l'Asie ou en Égypte.

le

Ainsi, point d'unité en Grèce, mais des États unis par un lien fédéral même assez lâche. Je dis même assez lâche, car plus tard, lorsque la forme républicaine a remplacé la royauté, le passage à la forme républicaine n'a pas diminué le morcellement de l'État grec. Qu'avaient de commun entre eux ces États sous le rapport politique? Sans doute ils avaient un génie commun, une langue commune, mais sous rapport politique, qu'y avait-il? Il y avait le conseil des Amphictyons, mais ce n'était pas là une assemblée politique, comparable au congrès américain, au grand conseil suisse, traitant les affaires du pays. C'était un conseil spécialement chargé de la surveillance du temple et de l'oracle de Delphes. C'était ce lien religieux, plutôt que politique, qu'il était appelé à maintenir chez le peuple grec, et ce n'est qu'indirectement qu'il pouvait exercer de l'influence sur l'État.

Que serait-il arrivé chez un peuple prédisposé à l'unité politique? Peu à peu le conseil des Amphictyons se serait emparé du gouvernement des affaires. Mais comme le caractère et le génie grecs n'étaient nullement prédisposés à cette fusion, à cette unité, comme le principe de la variété dominait dans le pays, le conseil des Amphictyons, au lieu de devenir une assemblée politique, est devenu une assemblée dont l'importance a diminué de jour en jour.

Le lien national en Grèce, le lien matériel ne se

trouvait donc, au fond, que dans les fêtes périodiques et dans les jeux nationaux dont le rôle a été plus grand encore peut-être que celui des fêtes ellesmêmes. Le sentiment de l'art était en Grèce aussi puissant pour entretenir la nationalité que le sentiment religieux. On était grec, concitoyen, frère, parce que, dans ces grandes fêtes, dans ces jeux solennels, il n'y avait que les Grecs qui fussent en état d'apprécier, de sentir les beautés des récits d'Homère, des tragédies de Sophocle, des odes de Pindare, tandis que ces prodiges de l'art étaient pour ainsi dire lettres closes pour le barbare. Et c'était là un lien, un lien puissant à la vérité, mais un lien cependant qui n'était pas de nature à former des États grecs, un tout, une unité vraiment politique.

La pensée de l'unité politique a été un jour apportée en Grèce, mais par qui? par l'élève d'Aristote, par Alexandre. La civilisation grecque parut en quelque sorte se personnifier dans ce conquérant, et destinée à faire ainsi le tour du monde. Aujourd'hui on est d'accord pour ne pas voir dans Alexandre uniquement un guerrier, un homme violent, s'abandonnant à ses caprices et livrant des batailles, uniquement pour le plaisir de faire la guerre. Aujourd'hui l'étude de ces grands faits historiques a conduit à des conclusions plus rationnelles. On s'accorde en général, aujourd'hui, à reconnaître que, soit qu'il l'ait eue d'abord, soit qu'elle ait été développée en lui, à mesure de ses succès, Alexandre avait conçu une grande pensée politique. Il voulait que l'Europe, l'Asie et l'Afrique, dans les parties qui lui étaient connues,

la

qui étaient abordables à ses armes, se tendissent en quelque sorte la main à travers la Méditerranée. Il voulait ainsi constituer une grande unité dont Alexandrie aurait relié les diverses parties sous le rapport commercial, sous le rapport maritime, tandis que capitale réelle aurait été Babylone. C'était là, certes, une grande conception; l'histoire d'Alexandre prouve qu'il n'y avait chez lui aucun préjugé national, qu'il regardait de très-haut le résultat de ses conquêtes. Le soin qu'il apportait à ne pas blesser les Asiatiques dans leurs mœurs, à concilier la force et la rudesse des Macédoniens avec le talent des Grecs, tout cela prouve qu'il avait conçu une pensée grande, gigantesque peut-être, précoce surtout, quand on se reporte à son siècle et aux obstacles qu'il devait rencontrer.

Quoi qu'il en soit, la mort d'Alexandre ne tarda pas à dissiper tous ces projets. La pensée d'unité politique qu'il avait conçue n'a été réalisée qu'un moment et n'a pu laisser de traces dans l'histoire de l'humanité. Elle a seulement servi de prétexte à des déchirements et à des bouleversements sans nombre. Le monde ancien n'était pas préparé pour un pareil projet, l'unité politique n'y était pas même possible au delà d'une certaine mesure.

Nous en trouvons cependant un autre exemple dont la grandeur peut saisir l'imagination: je veux parler de Rome. Certes, dans l'histoire du monde ancien, Rome nous offre le modèle d'une grande unité nationale. L'aristocratie romaine avait tous les vices et toutes les qualités que donnent les institu

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