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quelques maîtres qui ne voulaient pas d'affranchissement. Croit-on que l'affranchissement de 820,000 esclaves puisse se faire sans quelques petits désordres? Non, sans doute; mais il faut reconnaître que le travail d'affranchissement s'accomplit avec facilité, avec plus de facilité même qu'on n'aurait osé l'espérer. Il y a même des colonies où l'apprentissage de six années a été supprimé comme inutile, et où les esclaves sont devenus libres avant le temps fixé par la loi. On a tout lieu de croire que le reste de l'œuvre ne tardera pas à s'accomplir avec la même prudence, la même mesure et la même équité, trois conditions nécessaires pour que l'œuvre soit réelle et durable, et alors pourra se vérifier la prophétie d'un grand orateur du parlement anglais. Permettez-moi de finir par cette anecdote :

C'était en 1792. Il s'agissait de l'abolition de la traite des nègres, et tous les plus grands orateurs s'étaient donné rendez-vous sur ce riche et vaste terrain. Vous savez que le parlement anglais tient ses séances le soir, et que dans les affaires importantes elles se prolongent quelquefois jusqu'au matin. Le grand orateur dont je parle prononça à cette occasion un des plus magnifiques discours qu'ait produits l'éloquence parlementaire moderne. Il avait retracé les misères des esclaves et les heureux résultats qu'on devait attendre du nouveau bill, et à la fin, tournant ses regards vers l'Afrique, il prédisait qu'un jour la civilisation européenne, au lieu de se transformer en brigand dévastateur pour aller dépouiller cette terre de ses enfants, irait lui porter ses lumières, ses lois et

son Dieu. Et, fidèle aux habitudes classiques de l'Angleterre, il récitait ces deux vers de Virgile :

Nos...... primus equis Oriens afflavit anhelis,

Illic sera rubens accendit lumina vesper.

A ce moment même, le matin paraissant, un rayon de soleil perça les vitraux de la salle et inonda l'assemblée, comme pour justifier la prophétie de l'orateur et garantir sa promesse.

Peut-être la France, par une récente conquête, estelle appelée à jouer un grand rôle dans l'accomplissement de ces paroles prophétiques.

VINGT-TROISIÈME LEÇON

SOMMAIRE

Admissibilité de tous les citoyens à tous les emplois civils et militaires. Égalité des charges. — Impôt. Sa légitimité. Il doit peser également sur tout le monde. - Double injustice produite dans l'ancien régime par l'exemption d'impôts pour certaines classes. Difficultés que présente l'application du principe de l'égalité en fait d'impôt. Impôt proportionnel et impôt progressif.

MESSIEURS,

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Pour terminer notre commentaire sur le principe fondamental de notre organisation sociale, l'égalité devant la loi, nous vous présenterons quelques observations aux articles 3 et 2 de la Charte constitutionnelle.

Dans l'article 3, il est dit : « Ils (les Français) sont >> tous également admissibles aux emplois civils et >> militaires. >>

Ainsi que nous l'avons fait remarquer, cet article est un des corollaires de l'article 1, et désormais, je n'ai plus besoin de vous faire remarquer que c'est un article pour ainsi dire essentiellement historique. Le législateur, non content d'avoir posé le

principe de l'égalité devant la loi, a cru devoir ajouter cet article, parce qu'il n'avait pas oublié quel était à cet égard l'état des choses dans l'ancien régime, lorsque certaines carrières publiques, entre autres la haute carrière militaire, se trouvaient à peu près complétement fermées pour ceux qui n'appartenaient pas à l'ordre de la noblesse. Ainsi le véritable sens de l'article 3 est qu'aujourd'hui les emplois civils et militaires, les fonctions publiques dans l'un et l'autre ordre, ne sont plus, ne peuvent plus être le privilége d'une classe, le privilége exclusif d'une portion quelconque de la société; tout citoyen a droit d'y aspirer. Ce qui ne veut pas dire que, pour y arriver, ils ne doivent pas remplir les conditions de capacité que la loi peut d'ailleurs exiger ́ pour telle ou telle fonction, mais ce qui veut dire que tout citoyen, quelle que soit sa naissance, quelle que soit sa classe, quel que soit le rang de sa famille dans l'État, s'il réalise d'ailleurs ces conditions de capacité, peut aspirer également à tous les emplois, ce qui est une traduction législative de ce mot que, dans la carrière militaire, tout soldat a le bâton de maréchal dans sa giberne, si sa capacité, et un peu aussi son bonheur lui facilitent la route; bref, qu'il n'y a plus d'autre barrière infranchissable que celle qui existe pour ceux qui ne rempliraient pas les conditions de capacité que la loi exige, conditions dont nous parlerons en temps et lieu.

J'arrive à l'article qui précède dans la Charte, et dont nous parlons en deuxième lieu, je veux dire l'article 2 « Ils contribuent indistinctement, dans la

>> proportion de leur fortune, aux charges de l'État. >>

Cet article aussi est en partie, comme nous l'avons déjà fait remarquer, un résultat de l'histoire de France. C'est aussi une déclaration explicite dont le but essentiel est de bien faire voir que, par le principe de l'égalité devant la loi, on abolissait entre autres priviléges celui qui existait jadis en faveur d'une certaine classe de la société, l'exemption d'impôt. Aujourd'hui l'impôt est une dette commune de tous les Français : je ne reviens pas sur ce fait comme fait historique, nous l'avons assez développé.

L'impôt est un des moyens indispensables à l'existence de tout État; qu'on établisse une contribution sous une forme ou sous une autre, c'est un moyen indispensable à la vie, à l'action de toute association quelconque. L'impôt se légitime donc tout naturellement quand il est contenu dans de justes limites, il se justifie comme moyen indispensable à l'existence de la société, à l'existence de l'ordre social, au développement de la société elle-même. Et si on veut le considérer sous le point de vue économique, l'impôt, je parle toujours de l'impôt dont on n'abuse pas, se présente à l'esprit, non comme une consommation improductive, mais comme une rétribution à une certaine classe de travailleurs et un emploi utile du capital social.

Sans entrer, en effet, dans des définitions qui n'appartiennent pas strictement à notre cours, il suffit d'une simple remarque pour se convaincre de l'exactitude de cette observation. Et pour exprimer ma pensée, je me servirai d'un exemple trivial. Un pro

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