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et les individus que comme des moyens, tandis qu'il n'est lui-même pour la société qu'un moyen d'ordre et une garantie de liberté.

En conséquence, si les conditions de la vie réelle étaient absolument les mêmes pour toute société civile, le droit aurait pu se développer d'une manière à peu près uniforme chez tous les peuples de la terre.

On ne sait que trop qu'il n'en est point ainsi.

Cependant on conçoit que la recherche d'un droit. spéculatif, général, est chose à la fois possible et rationnelle.

Les faits généraux de notre nature sont des données constantes, invariables, de tous les peuples et de toutes les époques. Les diverses conditions de la vie réelle, les erreurs humaines, les eirconstances particulières peuvent en modifier profondément les résultats; elles ne peuvent en détruire le principe.

Aussi, loin de nous toute pensée de mépris pour ces recherches spéculatives qui constituent une partie si essentielle de la haute philosophie.

Qui a jamais contesté l'importance des vérités mathématiques? Qui oserait les révoquer en doute par cela seul qu'elles supposent dans les corps une homogénéité et une continuité qui n'existent pas ? Le mensonge ne commencerait que lorsqu'on essaierait de nous persuader qu'il faut appliquer les formules abstraites sans tenir compte des frottements et des résistances de la matière.

Le droit spéculatif, en d'autres temes le dévelop pement hypothétique de l'humanité, représente, en

quelque sorte, une ligne droite et constante, dont l'espèce humaine mise à l'œuvre sous l'empire des diverses conditions de la vie réelle, s'est toujours plus ou moins écartée.

A côté du développement spéculatif s'est placé le fait, le fait que nous pouvons nous représenter, non par une ligne parallèle à la première, mais par une ligne ondoyante, se rapprochant ou s'éloignant de la ligne droite, selon le degré de civilisation et les circonstances de chaque peuple, aux diverses époques de son histoire.

C'est par la religion, par les mœurs, par les institutions civiles et par le droit proprement dit, soit coutumier, soit écrit, que se révèle la vie pratique des nations, ce qu'on peut appeler la loi de leur développement positif, par opposition à celle du développement hypothétique.

Il s'offre ainsi, à celui qui veut connaître la loi du développement social, deux grandes branches d'étude l'étude de la loi spéculative, de ce qui pouvait ou pourrait être, en d'autres termes, du résultat logique des données invariables de notre nature; l'étude de la loi positive ou pratique, de ce qui a été et de ce qui est, du résultat historique des éléments de la nature humaine.

Et comme, pour le service de la méthode, l'étude de la loi naturelle a été divisée en plusieurs branches, telles que la théologie naturelle, la morale personnelle, le droit international, le droit social public ou privé; de même l'étude rationnelle des faits se subdivise en plusieurs branches que se par

tagént entre eux l'archéologue, l'historien, le théologien, le jurisconsulte.

Il y a plus. En se concentrant dans l'étude des faits sociaux, on voit que cette étude peut être dirigée vers plus d'un but, envisagée sous des points de vue fort distincts. Selon le point de vue où l'on se place, les apparences changent, l'horizon s'agrandit ou se rétrécit. Le pays qu'on explore est toujours le même, la perspective est différente.

Au point de vue le plus élevé, on peut suivre dans toutes ses phases la marche des nations et s'élever, à l'aide d'un grand nombre d'observations, aux généralisations historiques. On prépare ainsi à l'homme d'État les moyens de conclure du passé à l'avenir, et au philosophe les moyens de pénétrer dans les recoins les plus cachés de notre nature, par la méthode de l'observation, ce contrôle si nécessaire des hardiesses de la synthèse. Ces grands travaux à la fois historiques et philosophiques forment l'anneau de communication entre la connaissance des faits et la science des principes, entre la philosophie et l'histoire, entre la théorie et la pratique.

Hautes et nobles études, lorsqu'on y apporte avec la patience, la sagacité et l'intelligence du véritable érudit, la hardiesse d'un penseur et l'esprit libre du philosophe; lorsqu'on n'en tire pas la prétention de renfermer l'esprit humain dans le cercle des faits consommés et qu'on ne veut pas trouver dans le passé la loi fatale de l'avenir. Il ne faut pas imiter l'enfant qui, placé devant un miroir fidèle,

croit avancer en s'élançant vers la représentation des objets qui sont derrière lui.

Envisagée de moins haut, l'étude des faits sociaux, en particulier du droit, se présente sous un autre aspect. Alors ce ne sont plus les grandes lignes, les sommités et les masses qui s'offrent principalement au regard de l'observateur; il aperçoit les détails, les sinuosités, les routes, les écueils. Il étudie le pays dans le but d'en jouir et d'en faire jouir les autres, sans crainte de chute ni d'erreur. Le connaître ce n'est pas assez; on veut l'occuper, le posséder, en sentir les avantages, en corriger les défauts, en retirer à la fois protection et puissance.

En d'autres termes, c'est l'étude des faits sociaux, de la religion, des institutions, du droit public et privé de son pays, faite dans le but de connaître les règles de la vie pratique, les principes sociaux qui nous régissent, les applications qui nous distinguent de toute autre société civile.

Pour ne parler ici que du droit, c'est essentiellement dans ce but que les diverses branches du droit positif sont enseignées dans nos écoles.

Gardons-nous cependant d'emprisonner notre esprit dans un cercle trop étroit, dans une étude trop spéciale. L'intelligence humaine, comme l'œil physique, ne se développe et ne se perfectionne que par l'exercice. L'esprit de celui qui n'a jamais essayé de planer sur le domaine de la science universelle et d'en saisir l'ensemble, finit par se rapetisser et s'engourdir. Ce qu'il y a eu d'incomplet dans une éducation intellectuelle reparaît toujours. L'homme

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fait regrette souvent, mais ne retrouve jamais ce qui a manqué à l'instruction de sa jeunesse.

Il est aussi vrai que de toutes les études spéciales, celle du droit positif, par la multiplicité de ses détails et la variété des matières, serait une des plus dangereuses pour l'éducation de notre esprit, si, en pénétrant dans ce dédale de faits particuliers, on brisait le fil de l'histoire et on perdait de vue les points culminants par lesquels la philosophie nous apprend à nous guider et à éclairer notre marche.

La jeunesse française n'est pas condamnée à des études imparfaites.

Toutes les sources lui sont ouvertes dans les diverses enceintes consacrées dans la capitale à la propagation des connaissances humaines.

Les études philosophiques et spéculatives, les études historiques, l'histoire du droit le droit ancien, en particulier celui de Rome, le droit international et les diverses branches du droit, positif national, offrent à l'esprit de la jeunesse une nourriture aussi variée que substantielle. Lors même qu'on pourrait dans cet ensemble apercevoir encore quelque lacune, ou qu'il resterait quelque chose à désirer sous le rapport de l'étendue, de la proportion, de la distribution des parties, toujours est-il que, par un choix intelligent, il est possible d'allier avec profit les études positives, aux études philosophiques.

C'est une branche particulière du droit positif, le droit public interne, aujourd'hui en vigueur, que nous devons expliquer.

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