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l'effet de cette convention. L'armateur à qui il est dû, qui ne court plus, pour avoir droit de l'exiger, la chance de la navigation, peut-il se le faire assurer? Il est évident que ce fret n'est pas une créance exposée aux dangers de la mer, et c'est le motif qui ne permet pas de l'affecter à un prêt à la grosse. Mais l'armateur court, comme tout créancier, les risques de l'insolvabilité de l'affréteur; et puisque nous avons vu, n. 829, que le cautionnement donné au créancier, moyennant un prix payé par lui, étoit une assurance, rien ne s'oppose à ce que le fret, promis payable à tout évènement, ne puisse être assuré.

Quant à l'assureur qui a promis de payer le fret de ses marchandises, même en cas de perte, il est évident qu'il peut se le faire assurer; et l'obligation que l'assureur contracteroit de payer le fret ainsi promis, à sa décharge, n'auroit rien de contraire aux principes.

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843. On ne peut faire assurer le profit espéré des marchandises, ni les loyers des gens de mer,

Com. 347€ tant que dure le voyage pour lequel ils se sont engagés, ni des prises à faire; ce n'est que lorsqu'ils sont acquis que ces objets sont susceptibles d'être assurés, comme d'être affectés à un prêt à la grosse.

Par suite des mêmes principes, l'emprunteur d'une somme à la grosse ne peut faire

assurer, soit cette somme elle-même, s'il l'a chargée sur un navire pour aller faire des achats outre-mer, soit les marchandises qu'il a achetées ou les dépenses qu'il a acquittées avec ces sommes, puisque nous avons vu qu'il n'en couroit pas les risques. S'il avoit cette faculté, il seroit, en cas de perte, déchargé de toute obligation envers le prêteur, et recevroit de l'assureur l'indemnité d'un accident qui seroit supporté par un autre. On peut dire même qu'il seroit, en quelque sorte, intéressé à la perte des choses à la fois affectées au prêt et assurées.

Mais faut-il en tirer la conséquence qu'il ne puisse, moyennant une prime convenue, charger un tiers d'acquitter la somme en principal et intérêts, qu'il sera obligé de payer si le chargement arrive à bon port. Par exemple, Pierre a emprunté à Paul 3000 francs à la grosse sur tel chargement, à vingt-cinq pour cent; il devra par conséquent, si les objets affectés arrivent à bon port, 3750 francs; peut-il convenir avec Jacques, moyennant une prime quelconque, que celui-ci paiera ladite somme au prêteur, en cas d'heureuse arrivée? Cette convention a évidemment, entre Pierre et Jacques, le caractère essentiel aux assurances; ce dernier a promis une prime; il court le risque de la perdre, même en perdant tout ce qui est affecté au prêt; il n'a de chance favorable que la possibilité d'une heureuse arrivée. On peut objecter,

il est vrai, que ce seroit violer la règle essentielle qui s'oppose à ce que l'assurance soit un moyen de profit pour l'assuré. En effet, s'il y a heureuse arrivée, Pierre conservera ses marchandises affectées au prêt, et ne paiera ni les 3000 francs qu'il a empruntés, ni-les 600 francs promis pour profit maritime, mais seulement une prime d'assurance, qu'il peut même avoir encore fait assurer, comme nous avons dit, n. 838.

Néanmoins, de ce que le résultat de ces opérations offre un tel avantage à l'emprunteur à la grosse, nous ne saurions conclure qu'elles soient illégales; chacune a son caractère propre, et nous ne voyons pas de bonnes raisons pour les interdire. Le principe que l'assurance ne doit jamais être un moyen de gain, s'entend de l'assureur à l'assuré, en ce sens, que ce dernier ne doit se faire garantir que ce qu'il court le risque de perdre. Mais nous avons vu, en traitant des assurances de prime, que par les combinaisons de contrats successifs, certaines chances peuvent procurer à l'assuré des gains qui sont le prix du risque d'une perte particulière et plus considérable, qu'il éprouveroit si la chance contraire arrivoit. Nous en verrons un autre exemple dans le chapitre II, relativement aux réassu

rances.

844. L'objet de l'assurance étant de se mettrc en garde contre une perte, il s'ensuit nécessai

rement qu'on ne peut faire assurer une chose déjà assurée; mais cette règle doit être sainement entendue. Sans doute celui à qui appartiennent des effets qu'il vient de faire assurer, ne peut les faire assurer de nouveau, puisqu'il n'en court plus les risques, il a seulement le droit de faire assurer la solvabilité de l'assureur, comme nous l'avons dit n. 829; car le seul risque qu'il courre est celui de n'être pas payé, de la somme promise par ce dernier, en cas de perte.

Mais ce ne seroit pas faire assurer des choses une seconde fois, que de faire assurer partiellement et successivement, par différentes personnes, une quantité totale de marchandises' dont les assurances réunies n'excéderoient pas la valeur. De même, on peut faire assurer une chose pour certains risques, et une seconde fois pour d'autres risques. Ainsi un chargement de 30,000 francs ayant été assuré par une première police, avec la clause franc d'avaries, dont l'effet est, comme nous le verrons ci-après, que l'assureur ne soit tenu que des sinistres majeurs, on peut le faire assurer pour les autres risques.

A plus forte raison on peut faire assurer les dépenses extraordinaires que l'on a faites en route pour réparer un navire déjà assuré. Soit que le capitaine les ait acquittées avec les fonds que lui a donnés l'armateur, ou avec le prix des marchandises qu'il a vendues ou engagées,

soit que l'armateur ait acquitté les lettres de change que le capitaine a tirées sur lui; c'est une augmentation de mise qui peut, en cas de sinistre, être une perte pour lui. Supposons, en effet, un navire estimé à son départ 100,000 fr., et assuré pour cette somme; le capitaine, après une tempête, est obligé de faire un radoub montant à 10,000 francs: si le navire arrive à bon port, l'armateur aura à la vérité droit de se faire rembourser de ces 10,000 francs par son assureur; mais s'il vient à périr postérieurement au radoub, comme il ne pourra toujours demander à cet assureur que la somme primitive de 100,000 francs, il sera en perte des 10,000 francs employés au radoub, et qu'il auroit pu mettre hors de ses risques par un emprunt; cette chance suffit pour lui donner le droit dé faire assurer cette dépense.

Au surplus, il ne faut pas perdre de vue que lorsqu'une chose non susceptible d'être assurée l'a été avec d'autres qui en sont susceptibles, le contrat n'est pas entièrement nul, mais seulement réductible, suivant les règles que nous donnerons dans le chapitre dernier.

SECTION II.

Des Risques dont se charge l'Assureur. 845. L'assureur se met au lieu et place de l'assuré; il se charge de tous les risques

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