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sez, par tous vos égarements, que vous ne pouvez être éclairés que par une lumière qui vous vienne du dehors et d'en haut; et si vous êtes lumière, c'est seulement en Notre-Seigneur.

O lumière incompréhensible par laquelle vous illuminez tous les hommes qui viennent au monde, et d'une façon particulière ceux de qui il est écrit : « Marchez comme des enfants de la lumière 1, » outre l'hommage que nous vous devons, de vous rapporter toute la lumière et toute la grâce qui est en nous, comme la tenant uniquement de vous qui êtes le vrai Père des lumières; nous vous en devons encore un autre qui est que notre lumière, telle quelle, doit se perdre dans la vôtre, et s'évanouir devant vous. Oui, Seigneur, toute lumière créée, et qui n'est pas vous, quoiqu'elle vienne de vous, vous doit ce sacrifice, de s'anéantir, de disparoître en votre présence, et disparoître principalement à nos propres yeux; en sorte que, s'il y a quelque lumière en nous, nous la voyions, non point en nous-mêmes, mais en celui que vous nous avez donné « pour nous être sagesse, et justice, et sainteté, et rédemption 2; » afin « que celui qui se glorifie, se glorifie » non point en lui-même, mais uniquement « en Notre-Seigneur 3. »

Voilà, mon Dieu, le sacrifice que je vous offre, et l'oblation pure de la nouvelle alliance, qui vous doit être offerte en Jésus-Christ et par Jésus-Christ dans toute la terre. Je vous votre 8 Dieu vivant et éternel! autant de fois que je respire, je veux vous offrir; autant de fois que je pense, je souhaite de penser à vous, et que vous soyez tout mon amour, car je vous dois tout. Vous n'êtes pas seulement la lumière de mes yeux; mais si j'ouvre les yeux pour voir la lumière que vous leur présentez, c'est vous-même qui m'en inspirez la volonté.

O Seigneur, de qui je tiens tout, je vous aimerai à jamais, je vous aimerai, ô Dieu, qui êtes ma force. Allumez en moi cet amour; envoyez-moi du plus haut des cieux, et de votre sein éternel, votre Saint-Esprit, ce Dieu amour, qui ne fait qu'un cœur et qu'une âme de tous ceux que vous sanctifiez qu'il soit la flamme invisible qui consume mon cœur d'un saint et pur amour, d'un amour qui ne prenne rien pour soi-même, pas la moindre complaisance, mais qui vous renvoie tout le bien qu'il reçoit de vous.

O Dieu, votre Saint-Esprit peut seul opérer cette merveille; qu'il soit en moi un charbon ardent, qui purifie de telle sorte mes lèvres et mon cœur, qu'il n'y ait plus rien du mien en moi, et que l'encens que je brûlerai devant votre face, aussitôt qu'il aura touché ce brasier ardent que vous allumerez au fond de mon âme, sans qu'il m'en demeure rien, s'exhale tout en vapeurs vers le ciel, pour vous être en agréable odeur. Que je ne me délecte qu'en vous, en qui seul je veux trouver mon bonheur et ma vie, maintenant et aux siècles des siècles. Amen, Amen.

1. Ephes. v, 8.

2. I Cor. 1, 30.

3. Il Cor. x, 17.

INSTRUCTION

SUR LES ÉTATS D'ORAISON1.

Le principal instrument de la tradition de l'Eglise est renfermé dans ses prières, et, soit qu'on regarde l'action de la liturgie et le sacrifice, ou qu'on repasse sur les hymnes, sur les collectes, sur les secrètes, su les postcommunions, il est remarquable qu'il ne s'en trouvera pas un seule qui ne soit accompagnée de demandes expresses; en quoi l'Églis a obéi au commandement de saint Paul: Qu'en toutes vos supplica tions vos demandes soient portées à Dieu avec action de grâces. C'es une chose étonnante que l'Église ne fasse pas une seule prière, je dis encore un coup, pas une seule sans demande, en sorte que la de mande soit pour ainsi dire le fond de toutes ses oraisons, et qu'il y ai de ses enfants qui fassent profession de ne plus rien demander. La conclusion solennelle de toutes les oraisons de l'Église, par JésusChrist, et en l'unité du Saint-Esprit, fait voir la nécessité de la foi expresse en la Trir en l'incarnation et en la médiation du Fils de Dieu. Ce ne sont ici des actes confus et indistincts envers les personnes divines, même envers les attributs divins; on trouve partout la toute-puissance, la miséricorde, la sagesse, la providence trèsdistinctement exprimées. La glorification de la divinité dans la Trinité, et l'action de grâces ne sont pas moins répandues dans les prières ecclésiastiques; mais partout, selon l'esprit de saint Paul, elle se termine en demande, sans y manquer une seule fois; témoins ces deux admirables glorifications: « Gloria in excelsis» et « Te Deum laudamus. Tout y a pour but la gloire de Dieu, ce que l'Église déclare par ces admirables paroles: « O Seigneur, nous vous rendons grâces à cause de votre grande gloire Gratias agimus tibi, etc. Les demandes viennent ensuite: « ayez pitié de nous, écoutez nos vœux: miserere nobis, etc. Suscipe deprecationem, » etc. On revient à la glorification : « Parce que vous êtes le seul saint, le seul Seigneur, » et le reste.

Tel est l'esprit de la prière chrétienne, qui unit en soi ces trois choses la glorification de Dieu en lui-même, l'action de grâces et la demande; selon cet esprit, quand même on les sépare dans l'exercice, on doit toujours les unir selon l'intime disposition du cœur, et en "enir à l'exclusion de l'une des trois, comme font les nouveaux mystiques, c'est éteindre l'esprit d'oraison. Quand l'Eglise invoque Dieu,

1. Nous donnons seulement le sixième livre, qui peut être considéré comme un Traité de l'amour de Dieu, et qui contient la doctrine de Bossuet sur la Prière. Les autres livres de cet important ouvrage sont consacrés entièrement à la réfutation de Mme Guyon et des nouveaux mystiques,

2. P. IV, 6

comme elle fait partout, sous le titre de miséricordieux ou de ToutPuissant, et ainsi des autres, elle montre que les demandes qui suivent se terminent à le glorifier dans ses divines perfections, et plus encore pour ce qu'il est que pour ce qu'il donne. Ainsi c'est une erreur manifeste et injurieuse à toute l'Église, de regarder les demandes comme intéressées, et d'en suspendre l'usage dans les parfaits.

Les demandes de l'Eglise se rapportent à trois fins, que chacun désire obtenir pour soi dans cette vie : la rémission des péchés; la grâce de n'en plus commettre, ce qui comprend la persévérance; l'augmentation de la justice et ces trois fins particulières se terminent à la grande fin à laquelle toutes les autres sont subordonnées, qui est l'accomplissement des promesses dans la vie future. L'Eglise montre cette intention dans toutes ses prières, et je me contente de la marquer dans celle-ci : << Donnez-nous, ô Dieu tout-puissant, l'augmentation de la foi, de l'espérance et de la charité, et, afin que nous obtenions ce que vous avez promis, faites-nous aimer ce que vous avez commandé. » Toutes les autres prières sont du même esprit, et si ces actes sont intéressés, c'est une chose horrible à penser que l'Eglise ne songe pas une seule fois à nous en faire produire d'autres. Pour s'éloigner de tels actes, il faut renoncer à dire Amen sur la demande qu'on vient d'entendre, et en même temps sur toutes les autres, puisqu'elles sont toutes de même intention. C'est une règle constante de la foi, qu'on prie selon ce qu'on croit, et que « la loi de prier établit celle de croire Ut legem credendi lex statuat supplicandi. » Les papes et les conciles nous ont enseigné que la doctrine de la prière est inséparable de la doctrine de la grâce. « La grâce, dit le concile de Carthage dans sa Lettre synodique au pape saint Innocent', est déclarée manifestement par les prières des saints: Gratia Dei sanctorum evidentiùs orationibus declaratur. » Voilà ce qu'on écrit à saint Innocent, et ce grand pape répond « Si nous n'avons pas besoin du secours de Dieu, pourquoi le demandons-nous tous les jours? car soit que nous vivions bien, nous demandons la grâce de mieux vivre; et si nous nous détournons du bien, nous sommes encore dans un plus grand besoin de la grâce. Comme donc on disoit alors aux pélagiens, qui nioient la grâce : « Comment la demandez-vous si vous l'aviez?» Je dirai à nos faux dévots: « Comment cessez-vous de la demander si vous croyez en avoir besoin? » L'erreur est égale, ou de nier ce qu'on demande, ou de ne demander pas ce qu'on croit absolument nécessaire.

Pour établir cette doctrine, saint Augustin, dans ses derniers livres tant autorisés par le saint-siége, a dit qu'il étoit « constant, constat, que comme il y a des grâces que Dieu donne sans qu'on les demande, par exemple, le commencement de la foi (et l'esprit même de la prière): aussi y en a-t-il d'autres qu'il n'a préparées qu'à ceux qui les demandent, telle qu'est la persévérance dans le bien ; » c'est pourquoi

1. Ep. Conc. Carth. ad Innoc. . ap. Aug. Ep. CLXXV. al. xc, n. 6, tom. II, col. 620.

2. Ibid., ep cxxxi, al. xcı, n. 5, col. 636.

3. De don. persev., cap. xvi, n. 39, tom. X, col. 842.

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il étoit d'accord avec les semi-pélagiens qu'on la pouvoit et qu'on la devoit « mériter par d'humbles supplications, suppliciter emereri: » d'où il s'ensuit clairement que ceux qui ne veulent pas la demander ne veulent pas l'avoir, et qu'en évitant la demande on perd la grâce. De là vient que ce saint docteur enseigne encore, comme une vérité constante, qu'il n'y a aucun des saints qui ne demande la persévérance: ceux donc qui ne la demandent pas, selon lui, ne sont pas saints; et il ajoute, selon la doctrine de saint Cyprien, que, loin qu'on ne doive pas demander la persévérance, « on ne demande presque autre chose que ce grand don dans l'Oraison dominicale. >>

Ces deux grands saints, je veux dire saint Cyprien et saint Augustin, ne connoissent point le mystère du nouveau désintéressement, qui persuade à nos faux mystiques à ne rien désirer pour eux-mêmes, puisqu'ils tournent tous deux à eux-mêmes toutes les demandes de l'Oraison dominicale, et entre autres celle-ci : « Que votre nom soit sanctifié; » car, disoit saint Cyprien et saint Augustin après lui3, << nous ne demandons pas que Dieu soit sanctifié par nos oraisons, mais que son nom (saint par lui-même) soit sanctifié en nous : car qui peut sanctifier Dieu, lui qui nous sanctifie? mais à cause qu'il a dit Soyez saints comme je suis saint, nous lui demandons qu'ayant été sanctifiés dans le baptême, nous persévérions dans la sainteté qui a été commencée en nous. Nous prions donc nuit et jour que cette sanctification demeure en nous. » C'est donc pour nous que nous demandons cette demande : « Votre nom soit sanctifié, » regarde Dieu en nous, et ne l'en regarde pas moins en lui-même, parce que toute notre sanctification se rapporte à lui.

Ainsi, encore une fois, ce désintéressement tant vanté par les faux mystiques, qu'on fait consister à ne rien demander pour soi, est inconnu à saint Cyprien et à saint Augustin; il l'est à Jésus-Christ même qui nous commande de dire : « Pardonnez-nous, ne nous induisez pas, délivrez-nous. » C'est à nous que les péchés doivent être pardonnés, c'est nous qui voulons être délivrés du mal, et, comme l'Eglise l'interprète à la fin de l'Oraison dominicale, « du mal passé, du mal présent et du futur : ab omnibus malis præteritis, præsentibus et futuris » ce qui enferme la persévérance dans le bien, puisque, comme dit saint Augustin, si nous sommes véritablement délivrés du mal, << nous persisterons dans la sainteté que nous avons reçue par la grâce.» Non-seulement nous y persisterons, mais encore nous y croîtrons, en disant avec les apôtres 5 : « Augmentez-nous la foi; » et en cela nous aurons l'effet de cette demande : « Votre volonté soit faite, »> parce que la volonté de Dieu, c'est notre sanctification, » comme dit saint Paul, dans laquelle nous devons croître, selon cet exprès commandement : « Que celui qui est juste se justifie encore, et que celui qui est saint se sanctifie encore';: c'est pour cela, continue saint Au

1. De don. persev., cap, vi, n. 10, col. 826. - 2. Ibid., cap. II, n. 4, col. 824 3. Cypr., De or. Dom., p. 207; Aug., loc. mox cit.

4. De don. persev. cap. v, n. 9, col. 826. - 5. Luc. XVII, 5. 6. I Thess. IV, 3. 7. Apoc. XXII, 11.

gustin, que « Dieu commande à ses saints de lui demander la persévérance 1; » et nos faux contemplatifs osent dire qu'il ne le commande pas aux parfaits, comme si les parfaits n'étoient pas saints.

Ce qu'a dit saint Augustin de cette demande, est expressément défendu dans le second concile d'Orange par ce chapitre : « Il faut que les saints implorent sans cesse le secours de Dieu, afin qu'ils puissent parvenir à une sainte fin, et persister dans les bonnes œuvres 2; » et en dernier lieu par le concile de Trente, lorsque après avoir défini qu'on ne peut avoir ce grand don que de Dieu seul, il conclut que nous ne pouvons l'obtenir « que par des travaux, des veilles, des aumônes, des prières, des oblations et des jeûnes 3. »

On voit encore, par cette doctrine, que l'Oraison dominicale est supposée être l'oraison d'obligation de tous les fidèles; ce qui est confirmé par les décisions du concile de Carthage, où l'on suppose, comme un principe de foi, que les plus grands saints, et fussent-ils aussi saints « que saint Jacques, que Job et que Daniel, » ont besoin de faire cette demande : « Pardonnez-nous nos péchés; » et que ce n'est point par humilité, mais en vérité qu'ils la font: « non humili «ter, sed veraciter. »

Le concile de Trente suppose aussi que cette demande n'est pas << seulement humble, mais encore sincère et véritable, » et que l'Oraison dominicale, où elle est énoncée, est d'une commune obligation pour tous les chrétiens, même pour les plus parfaits, puisqu'elle l'est pour tous ceux qui n'ont plus que de ces péchés de fragilité, dont personne n'est exempt.

Telle a donc été la doctrine définie par toute l'Église contre les pélagiens; et par là on voit qu'il est de la foi catholique d'éviter ce prétendu désintéressement, qui empêche nos faux parfaits de rien demander pour eux, parce que ce n'est qu'orgueil et une manifeste transgression des exprès commandements de Dieu.

Pour entendre maintenant que cette foi est aussi ancienne que l'Eglise, il ne faut que lire quelques passages de saint Clément d'Alexandrie, dont l'autorité est considérable par deux endroits : l'un, qu'elle a été révérée dès la première antiquité; puisqu'il a été dès le second siècle, après le grand Pantenus, et devant le grand Origène, le théobgien et le docteur de la sainte et savante Église d'Alexandrie : et l'autre, qu'il nous propose ce qui convient aux plus parfaits; qu'il appelle Les gnostiques; » c'est-à-dire selon le langage assez commun de son temps, et dérivé de saint Paul, les parfaits et les spirituels qui sont parvenus à l'habitude consommée de la charité.

Des hommes si parfaits et si élevés, dit saint Clément, « au-dessus de l'état commun des fidèles, « demandent à Dieu, non pas les biens apparents, comme font les imparfaits; « mais les vrais biens qui sont ceux de l'âme ': » ainsi les demandes qu'il met dans la bouche de son

1. De don. persev. cap. vi, n. 11, col. 897. 2. Ibid., cap. x.

3. Sess. VI, c. 13.

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4. Conc. Carth.. cap. VII, VIII.

5. Sess. VI, c. 11. — 6. Strom., lib. IV, p. 519, etc., edit. 1629. 7. Ibid., lib. VII, p. 721.

BOSSUET

IV

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