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Nous donnons ici le bref d'Innocent XII, qui renferme le jugement définitif de l'Église catholique sur le quiétisme :

Condamnation et défense faite par notre très-saint pere Innocent, par la Providence divine, pape XII, du livre imprimé à Paris en 1697, sous ce titre: Explication des Maximes des Saints sur la vie inté rieure, etc.

INNOCENT pape XII, pour perpétuelle mémoire:

Comme il est venu à la connoissance de notre Siége apostolique, qu'un certain livre francois avoit été mis au jour sous ce titre; Explication des Maximes des Saints sur la vie intérieure ; par messire François de Salignac-Fénelon, archevêque-duc de Cambrai, précepteur de messeigneurs les ducs de Bourgogne, d'Anjou et de Berry: à Paris, chez Pierre Aubouin, Pierre Emery, Charles Clousier, 1697; et que le bruit extraordinaire que ce livre avoit d'abord excité en France, à l'oecasion de la doctrine qu'il contient, comme n'étant pas saine, s'étoit depuis tellement répandu, qu'il étoit nécessaire d'appliquer notre vigilance pastorale à y remédier; nous avons mis ce livre entre les mains de quelques-uns de nos vénérables frères les cardinaux de la sainte Eglise romaine, et d'autres docteurs en théologie, pour être par eux examiné avec la maturité que l'importance de la matière sembloit demander. En exécution de nos ordres, ils ont sérieusement et pendant un long temps examiné dans plusieurs congrégations, diverses propositions extraites de ce même livre, sur lesquelles ils nous ont rapporté de vive voix et par écrit ce qu'ils ont jugé de chacune, Nous donc, après avoir pris les avis de ces mêmes cardinaux et docteurs en théologie, dans plusieurs congrégations tenues à cet effet en notre présence; désirant, autant qu'il nous est donné d'en haut, prévenir les périls qui pourroient menacer le troupeau du Seigneur, qui nous a été confié par ce pasteur éternel: de notre propre mouvement, et de notre certaine science, après une mûre délibération, et par la plénitude de l'autorité apostolique, condamnons et réprouvons, par la teneur des présentes, le livre susdit, en quelque lieu et en quelque autre langue qu'il ait été imprimé, de quelque édition et de quelque version qui s'en soit faite, ou qui s'en puisse faire dans la suite; d'autant que par la lecture et par l'usage de ce livre les fidèles pourroient être insensiblement induits dans des erreurs déjà condamnées par l'Église catholique: et outre cela, comme contenant des propositions qui, soit dans le sens des paroles, tel qu'il se présente d'abord, soit eu égard à la liaison des principes, sont téméraires, scandaleuses, malsonnantes, offensent les oreilles pieuses, sont pernicieuses dans la pratique, et même erronées respectivement. Faisons défense à tous et un chacun des fidèles, même à ceux qui devroient être ici nommément exprimés, de l'imprimer, le décrire, le lire, le garder et s'en servir, sous peine d'excommunication, que les contrevenants encourront par le fait même et sans autre déclaration. Voulons et commandons, par l'autorité apostolique, que quiconque aura ce livre chez soi, aussitôt qu'il aura connoissance des présentes lettres, le mette sans aucun délai entre les mains des ordinaires des lieux, ou des inquisiteurs d'hérésie: nonobstant toutes choses à ce contraires. Voici quelles sont les propositions contenues au livre susdit, que nous avons condamnées, comme nous venons de

marquer, par notre jugement et censure apostoliques, traduites du françois en latin.

I. Il y a un état habituel d'amour de Dieu, qui est une charité pure et sans aucun mélange du motif de l'intérêt propre.... Ni la crainte des châtiments, ni le désir des récompenses n'ont plus de part à cet amour. On n'aime plus Dieu ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour le bonheur qu'on doit trouver en l'aimant'.

II. Dans l'état de la vie contemplative ou unitive, on perd tout motif intéressé de crainte et d'espérance 2.

III. Ce qui est essentiel dans la direction est de ne faire que suivre pas à pas la grâce avec une patience, une précaution et une délicatesse infinie. Il faut se borner à laisser faire Dieu, et ne porter jamais au pur amour, que quand Dieu par l'onction intérieure commence à ouvrir le cœur à cette parole, qui est si dure aux âmes encore attachées à elles-mêmes, et si capable ou de les scandaliser ou de les jeter dans le trouble 3.

IV. Dans l'état de la sainte indifférence, l'âme n'a plus de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt, excepté dans les occasions où elle ne coopère pas fidèlement à toute sa grâce ❝.

V. Dans cet état de la sainte indifférence, on ne veut rien pour soi; mais on veut tout pour Dieu: on ne veut rien pour être parfait ni bienheureux pour son propre intérêt; mais on veut toute perfection et toute béatitude, autant qu'il plaît à Dieu de nous faire vouloir ces choses par l'impression de sa grâce 5.

vi. En cet état on ne veut plus le salut, comme salut propre, comme aélivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts; mais on le veut d'une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu'il veut, et qu'il veut que nous voulions pour lui ".

VII. L'abandon n'est que l'abnégation ou renoncement de soi-même, que Jésus-Christ nous demande dans l'Evangile, après que nous aurons tout quitté au dehors. Cette abnégation de nous-mêmes n'est que pour l'intérêt propre.... Les épreuves extrêmes, où cet abandon doit être exercé, sont les tentations, par lesquelles Dieu jaloux veut purifier l'amour en ne lui faisant voir aucune ressource, ni aucune espérance pour son intérêt propre, même éternel'.

VIII. Tous les sacrifices que les âmes les plus désintéressées font d'ordinaire sur leur béatitude éternelle sont conditionnels.... Mais ce sacrifice ne peut être absolu dans l'état ordinaire. Il n'y a que le cas de ces dernières épreuves, où ce sacrifice devient en quelque manière absolu.

IX. Dans les dernières épreuves une âme peut être invinciblement persuadée d'une persuasion réfléchie, et qui n'est pas le fond intime de la conscience, qu'elle est justement réprouvée de Dieu.

X. Alors l'âme, divisée d'avec elle-même, expire sur la croix avec Jesus-Christ, en disant: «O Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné?» Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité 10.

XI. En cet état une âme perd toute espérance pour son propre intérêt; mais elle ne perd jamais, dans la partie supérieure, c'est-à-dire

1. Explic, des Max., etc. p. 10, 11, 15, etc.,
3. Ibid., p. 35. - 4. Ibid., p. 49. 50.- 5. Ibid.,
7. Ibid., p. 72, 73. 8. Ibid., p. 87.

- 9. Ibid.

2. Ibid., p. 23, 24, etc.

p. 52.-6. Ibid., p. 52, 53. 10. Ibid., p. 90.

dans ses actes directs et intimes, l'espérance parfaite, qui est le désir désintéressé des promesses !.

XII. Un directeur peut alors laisser faire à cette âme un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre, et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu 2.

XIII. La partie inférieure de Jésus-Christ sur la croix ne communiquoit pas à la supérieure son trouble involontaire 3.

XIV. Il se fait, dans les dernières épreuves, pour la purification de l'amour, une séparation de la partie supérieure de l'âme d'avec l'inférieure.... Les actes de la partie inférieure dans cettte séparation sont d'un trouble entièrement aveugle et involontaire, parce que tout ce qui est intellectuel et volontaire est de la partie supérieure ".

XV. La méditation consiste dans des actes discursifs qui sont faciles à distinguer les uns des autres.... Cette composition d'actes discursifs et réfléchis est propre à l'exercice de l'amor intéressé.

XVI. Il y a un état de contemplation si haute et si parfaite, qu'il devient habituel; en sorte que toutes les fois qu'une âme se met en actielle oraison, son oraison est contemplative et non discursive. Alors elle n'a plus besoin de revenir à la méditation, ni à ses actes méthodiques".

XVII. Les âmes contemplatives sont privées de la vue distincte, sensible et réfléchie de Jésus-Christ en deux temps différents.... Premiè rement, dans la ferveur naissante de leur contemplation.... Secondement, une âme perd de vue Jésus-Christ dans les dernières épreuves'.

XVIII. Dans l'état passif.... on exerce toutes les vertus distinctes, sans penser qu'elles sont vertus: on ne pense en chaque moment qu'à faire ce que Dieu veut, et l'amour jaloux fait tout ensemble qu'on ne veut plus être vertueux (pour soi), et qu'on ne l'est jamais tant que quand on n'est plus attaché à l'être.

XIX. On peut dire en ce sens que l'âme passive et désintéressée ne veut plus même l'amour en tant qu'il est sa perfection et son bonheur; mais seulement en tant qu'il est ce que Dieu veut de nous ".

XX. Les âmes transformées.... en se confessant doivent détester leurs fautes, se condamner et désirer la rémission de leurs péchés, non comme leur propre purification et délivrance, mais comme chose que Dieu veut, et qu'il veut que nous voulions pour sa gloire 10.

XXI. Les saints mystiques ont exclu de l'état des âmes transformées les pratiques de vertu ".

XXII. Quoique cette doctrine « du pur amour » fût la pure et simple perfection de l'Evangile marquée dans toute la tradition, les anciens pasteurs ne proposoient d'ordinaire au commun des justes que les pratiques de l'amour intéressé proportionnées à leur grâce 2.

XXIII. Le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure, et devient alors l'unique principe et l'unique motif de tous les actes délibérés et méritoires 13.

Au reste, nous n'entendons point, par la condamnation expresse de ces propositions, approuver aucunement les autres choses contenues au même livre. Et afin que ces présentes lettres viennent plus aisément à la connoissance de tous, et que personne n'en puisse prétendre

1. Exempl. des Max., p. 90, 91. -2. Ibid., p. 91. - 3. Ibid., p. 122.
4. Ibid., p. 121, 123. 5. Ibid., p. 164, 165. 6. Ibid., 176.
7. Ibid., p. 194, 195.3. Ibid., p. 223, 225.
10. Ibid., p. 241.

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9. Ibid., p. 226.

11. Ibid., p. 253. 12. Ibid., p. 261. 13. Ibid., p. 272.

cause d'ignorance, nous voulons pareillement, et ordonnons par l'autorité susdite, qu'elles soient publiées aux portes de la basilique du prince des apôtres, de la chancellerie apostolique, et de la cour générale au Mont-Citorio, et à la tête du Champ-de-Flore dans la ville, par l'un de nos huissiers, suivant la coutume, et qu'il en demeure des exemplaires affichés aux mêmes lieux: en sorte qu'étant ainsi publiées, elles aient envers tous et un chacun de ceux qu'elles regardent le même effet qu'elles auroient étant signifiées et intimées à chacun d'eux en personne; voulant aussi qu'on ajoute la même foi aux copies, et ax exemplaires même imprimés, des présentes lettres, signés de la main d'un notaire public et scellés du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, tant en jugement que dehors, et par toute la terre, qu'on ajouteroit à ces mêmes lettres représentées et produites en original.

Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, sous l'anneau du pêcheur, La douzième jour de mars M. DC. XCIX, l'an huitième de notre pontificat Signé J. F. CARD. ALBANO.

ÉLÉVATIONS A DIEU

SUR LES MYSTÈRES 1.

PREMIERE SEMAINE.

ÉLÉVATIONS A DIEU SUR SON UNITÉ ET SA PERFECTION.

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De toute éternité Dieu est, Dieu est parfait, Dieu est heureux, Dieu est un. L'impie demande : Pourquoi Dieu est-il? Je lui réponds: Pourquoi Dieu ne seroit-il pas ? Est-ce à cause qu'il est parfait et la perfection est-elle un obstacle à l'être ? Erreur insensée: au contraire, la perfection est la raison d'être. Pourquoi l'imparfait seroit-il, et le parfait ne seroit-il pas ? C'est-à-dire pourquoi ce qui tient plus du néant seroit-il, et que ce qui n'en tient rien du tout ne seroit pas ? Qu'appelle-t-on parfait ? Un être à qui rien ne manque. Qu'appelle-t-on imparfait ? Un être à qui quelque chose manque. Pourquoi l'être à qui rien ne manque ne seroit-il pas, plutôt que l'être à qui quelque chose manque? D'où vient que quelque chose est, et qu'il ne se peut pas faire que le rien soit, si ce n'est parce que l'être vaut mieux que le rien, et que le rien ne peut pas prévaloir sur l'être, ni empêcher l'être d'être ? Mais par la même raison, l'imparfait ne peut valoir mieux que le parfait, ni être plutôt que lui, ni l'empêcher d'être. Qui peut donc empêcher que Dieu ne soit: et pourquoi « le néant de Dieu que l'impie veut imaginer dans son cœur insensé2, » pourquoi, dis-je, ce néant de Dieu l'emporteroit-il sur l'être de Dieu et vaut-il mieux que Dieu ne soit pas, que d'être?

O Dieu! on se perd dans un si grand aveuglement. L'impie se perd dans le néant de Dieu qu'il veut préférer à l'être de Dieu : et lui-même cet impie ne songe pas à se demander à lui-même pourquoi il est. Mon âme, âme raisonnable, mais dont la raison est si foible, pourquoi veux-tu être, et que Dieu ne soit pas ? Hélas! vaux-tu mieux que Dieu ? Ame foible, âme ignorante, dévoyée, pleine d'erreur et d'incertitude dans ton intelligence, pleine dans ta volonté de foiblesse, d'é

1. Nous ne donnons que la première et la septième Semaine. La première, parce qu'elle roule sur des questions philosophiques d'une nature très-géné rale; la septième, parce qu'elle contient la doctrine de Bossuet sur le péché originel. Les autres Elévations doivent être plutôt considérées comme des ou vrages de piété.

2. Ps. XIII, 1.

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