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MÉDITATIONS

SUR L'ÉVANGILE'.

SERMON

DE NOTRE-SEIGNEUR SUR LA MONTAGNE.

Matth., chap. v, VI, VII.

· Abrégé du sermon. La félicité éternelle proposée sous divers noms dans les huit béatitudes. Matth., v, 1, 12.

Tout le but de l'homme est d'être heureux. Jésus-Christ n'est venu que pour nous en donner le moyen. Mettre le bonheur où il faut, c'est la source de tout le bien; et la source de tout le mal est de le mettre où il ne faut pas. Disons donc : Je veux être heureux. Voyons comment: voyons la fin où consiste le bonheur: voyons les moyens d'y parvenir.

La fin est à chacune des huit béatitudes car c'est partout la félicité éternelle sous divers noms. A la première béatitude, comme royaume. A la seconde, comme la terre promise. A la troisième, comme la véritable et parfaite consolation. A la quatrième, comme le rassasiement de tous nos désirs. A la cinquième, comme la dernière miséricorde qui ôtera tous les maux et donnera tous les biens. A la sixième, sous son propre nom, qui est la vue de Dieu. A la septième, comme la perfection de notre adoption. A la huitième, encore une fois, comme le royaume des cieux. Voilà donc la fin partout; mais comme il y a plusieurs moyens, chaque béatitude en propose un ; et tous ensemble rendent l'homme heureux.

Si le sermon sur la montagne est l'abrégé de toute la doctrine chrétienne, les huit béatitudes sont l'abrégé de tout le sermon sur la montagne.

Si Jésus-Christ nous apprend que notre justice doit surpasser celle des scribes et des pharisiens, cela est compris dans cette parole : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice. » Car, s'ils la désirent comme leur véritable nourriture, s'ils en sont véritablement affamés; vec quelle abondance la recevront-ils, puisqu'elle se présente de tous

1. Nous avons choisi les plus belles Méditations, et les plus importantes par nature de leur sujet.

côtés pour nous remplir ? Alors aussi nous regarderons jusqu'aux moindres des préceptes, comme des hommes affamés qui ne laissent rien, et pas même, pour ainsi parler, une miette de leur pain.

Si l'on vous recommande de ne pas maltraiter votre prochain de parole, c'est un effet de la douceur, et de cet esprit pacifique à qui est promis le royaume et la qualité d'enfant de Dieu.

Vous ne regarderez pas une femme avec un mauvais désir: « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur: » et vous l'aurez parfaitement pur lorsque vous l'aurez purifié de tous les désirs sensuels.

Ceux-là sont heureux, qui passent leur vie plutôt dans le deuil et dans une tristesse salutaire, que dans les plaisirs qui les enivrent.

<< Ne jurez point: dites: Cela est, cela n'est pas. » C'est encore un effet de la douceur: qui est doux, est humble: il n'est point trop attaché à son sens, ce qui rend l'homme trop affirmatif: il dit simplement ce qu'il pense, en esprit de sincérité et de douceur.

On pardonne aisément toutes les injures, si l'on est rempli de cet esprit de miséricorde, qui nous attire une miséricorde bien plus abondante.

On ne résiste pas à la violence, on se laisse même engager à plus qu'on n'a promis; parce qu'on est doux et pacifique.

On aime ses amis et ses ennemis, non-seulement à cause qu'on est doux, miséricordieux, pacifique; mais encore parce qu'on est affamė de la justice, et qu'on la veut faire abonder en soi-même, plus qu'elle n'est dans les pharisiens et dans les gentils.

Cette faim qu'on a pour la justice fait aussi qu'on la veut avoir pour le besoin, et non pour l'ostentation.

On aime le jeûne, quand on trouve sa principale nourriture dans la vérité et dans la justice.

Par le jeûne, on a le cœur pur, et on se purifie des désirs des sens. On a le cœur pur, quand on réserve aux yeux de Dieu ce qu'on fait de bien qu'on se contente d'être vu de lui; et qu'on ne fait pas servir la vertu comme d'un fard pour tromper le monde, et s'attirer les regards et l'amour de la créature.

Quand on a le cœur pur, on a l'œil lumineux, et l'intention droite. On évite l'avarice et la recherche des biens, quand on est vraiment pauvre d'esprit.

On ne juge pas, quand on est doux et pacifique; parce que cette douceur bannit l'orgueil.

La pureté de cœur fait qu'on se rend digne de l'Eucharistie, et qu'on ne prend pas comme un chien ce pain céleste.

On prie, on demande, on frappe, quand on a faim et soif de la justice on demande à Dieu les vrais biens, et on les attend de lui, quand on n'aspire qu'à son royaume et à la terre des vivants.

On entre volontiers par la porte étroite, quand on s'estime heureux dans la pauvreté, dans les pleurs, dans les afflictions qu'on souffre pour la justice.

Quand on a faim de la justice, on ne se contente pas de dire de bouche: « Seigneur, Seigneur; » et on se nourrit au dedans de sa vérité.

Alors on bâtit sur le roc, et on trouve le solide pour affermir dessus tout son édifice.

Les béatitudes sont donc l'abrégé de tout le sermon ; mais un abrégé agréable parce que la récompense est jointe au précepte; le royaume des cieux, sous plusieurs noms admirables, à la justice; la félicité, à la pratique.

II®. - Première beatitude: Etre pauvre d'esprit. Matth., v. 3.

Pour venir au détail, Jésus-Christ commence en cette sorte: << Bienheureux sont les pauvres d'esprit, » c'est-à-dire, non-seulement ces pauvres volontaires qui ont tout quitté pour le suivre, et à qui il a promis le centuplé dans cette vie, et dans la vie future, la vie éternelle ; mais encore tous ceux qui ont l'esprit détaché des biens de la terre; ceux qui sont effectivement dans la pauvreté sans murmure et sans impatience; qui n'ont pas l'esprit des richesses, le faste, l'orgueil, l'injustice, l'avidité insatiable de tout tirer à soi. La félicité éternelle leur appartient sous le titre majestueux de royaume; parce que le mal de la pauvreté sur la terre, c'est de rendre méprisable, foible, impuissant; la félicité leur est donnée comme un remède à cette bassesse, sous le titre le plus auguste; qui est celui de royaume.

A ce mot: Bienheureux, le cœur se dilate; et se remplit de joie. Il se resserre à celui de la pauvreté; mais il se dilate de nouveau à celui de royaume, et de royaume des cieux. Car; que ne voudroit-t-on pas souffrir pour un royaume, et encore pour un royaume dans le ciel ; un royaume avec Dieu, et inséparable du sien, éternel, spirituel, abondant en tout, d'où tout malheur est banni.

O Seigneur, je vous donne tout, j'abandonne tout pour avoir part à ce royaume; puis-je être assez dépouillé de tout pour une telle espérance! Je me dépouille de cœur et en esprit: et quand il vous plaira de me dépouiller en effet, je m'y soumets.

C'est à quoi sont obligés tous les chrétiens. Mais l'humble religieuse se réjouit d'être actuellement dessaisie, dépouillée, morte aux biens du monde, incapable de les posséder. Heureux dépouillement, qui donne Dieu !

III. Seconde beatitude: Être doux. Matth., v. 4.

<< Bienheureux ceux qui sont doux. Apprenez de moi que je suis doux',» sans aigreur, sans enflure, sans dédain, sans prendre avantage sur personne, sans insulter aux malheureux, sans même choquer le superbe, mais tâchant de le gagner par douceur; doux même à ceux qui sont aigres n'opposant point l'humeur à l'humeur, la violence à la violence; mais corrigeant les excès d'autrui par des paroles vraiment douces.

Il y a de feintes douceurs, des douceurs dédaigneuses; pleines d'une

1. Matth., XI, 20.

fierté cachée: ostentation et affectation de douceur, plus désobligeante. plus insultante que l'aigreur déclarée.

Mais considérons la douceur de Jésus-Christ dont le Saint-Esprit parle ainsi dans Isaïe: « Mon Fils, mon serviteur que j'ai élu, mon bien-aimé où j'ai mis ma complaisance : je mettrai en lui mon esprit, et il annoncera la justice aux nations: Il ne sera point contentieux: il ne criera point, et on n'entendra point sa voix dans les places publiques; il ne briserä päs lẽ roseau cassé, et n'éteindra pas la mèche qui fume encore. C'est ce qu'Isafe à vu en esprit; c'est ce que saint Matthieu ǎ trouvě si beau, si remarquable, si digne de Jésus-Christ; qu'il prend soin de le relever 2.

11 est doux envers les plus foibles : quoiqu'un roseau déjà foible soit rendu encore plus foible en le brisant; loin de prendre aucun avantage sur cette foiblesse, il se détournera pour ne pas appuyer le pied dessus. Faites-en autant envers votre prochain infirme. Loin de chercher l'occasion de lui nuire, prenez garde que par mégarde, et comme en passant, vous ne marchiez sur lui, et n'acheviez de le rompre. Mais quel est ce prochain infirme, si ce n'est le prochain en colère et le prochain qui s'emporte? Il est brisé par sa propre colère, et ce foible roseau s'est cassé en frappant; n'achevez pas de le rompre en le foulant encore aux pieds. C'est encore ce que veut dire « la mèche fumante.» Elle brûle : c'est la colère dans le cœur; elle fume: c'est quelque injure que le prochain irrité profère contre vous. Gardez-vous bien de l'éteindre avec violence; écoutez ce que dit saint Paul 3 : « Ne Vous vengez point, ne vous défendez point, mes bien-aimés; mais donnez lieu à la colère. Laissez-la fumer un peu, et s'éteindre comme toute seule. Si elle fume, c'est qu'elle s'éteint: ne l'éteignez pas avec force; mais laissez cette fumée s'exhaler et se perdre inutilement au milieu de l'air, sans vous blesser ni vous atteindre.

C'est ce que fait le Sauveur, lorsqu'il souffre tant d'injures sans s'aigrir. Vous êtes possédé du malih esprit, » lui dit-on. « Qui est-ce qui songe à vous faire mourir ? Et il répond sans s'émouvoir: « Je ne suis point possédé du malin esprit; mais je rends honneur à mon Père, et vous me déshonorez . » Et encore en un autre endroit, lorsqu'on lui fait le même reproche: «Vous vous fâchez contre moi, parce que j'ai fait un miracle le jour du sabbat, pour guérir un homme. » Vous le voyez, il n'éteint pas la mèche fumante; mais il la laisse s'évaporer, pour voir si ces malheureux, lassés d'accabler d'injures un homme si humble et si doux, ne reviendront point en leur bon sens.

Telle a été en général la conduite du Fils de Dieu; en particulier dans sa passion. « Quand on le maudit, il né máudit pas; quand on le frappe, il ne se plaint pas ". »

« Si j'ai mal parlé, dit-il à celui qui lui donnoit un soufflet, faites

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le moi connoître; si j'ai bien dit, pourquoi me frappez-vous? » Il lui appartient de dire : « Apprenez de moi que je suis doux'. » Il est comparé à un agneau, le plus doux des animaux, qui se laisse nonseulement « tondre, » mais encore « mener à la boucherie sans se plaindre 2. »

On est bien heureux dans sa douceur, « et on possède la terre » La terre sainte promise à Abraham est appelée << une terre coulantè de lait et de miel 3. » Toute douceur y abonde; c'est la figure du ciel et de l'Eglise. Ce qui rend l'esprit aigre, c'est qu'on répand sur les autres le venin et l'amertume qu'on a en soi-même. Lorsqu'on a l'esprit tranquille par la jouissance du vrai bien et par la joie d'une bonne conscience, comme on n'a rien d'amer en soi, on n'a que douceur pour les autres; la vraie marque de l'innocence, ou conservée, ou recouvrée, c'est la douceur.

L'homme est si porté à l'aigreur, qu'il s'aigrit très-souvent contre ceux qui lui font du bien. Un malade, combien s'aigrit-il contre ceux qui le soulagent? Presque tout le monde est malade de cette maladielà c'est pourquoi on s'aigrit contre ceux qui nous conseillent pour notre bien, et encore plus contre ceux qui le font avec autorité, que contre les autres. Ce fond d'orgueil qu'on porte en soi en est la cause. « Bienheureux donc ceux qui sont doux, ils posséderont la terre, » où abonde toute douceur, parce que la joie y est parfaite.

IVe.

Troisième béatitude: Être dans les pleurs. Matth. v. 5.

<< Bienheureux ceux qui pleurent 4; » soit qu'ils pleurent leurs misères, soit qu'ils pleurent leurs péchés, ils sont heureux, et ils recevront la consolation véritable, qui est celle de l'autre vie, « où toute affliction cesse, où toutes les larmes sont essuyées 5. »

Abraham disoit au mauvais riche : « Tu as reçu tes biens en ce monde, et Lazare a reçu ses maux : c'est pourquoi il est consolé, et tu es dans les tourments. » Il est heureux, car il a souffert avec patience son état pénible le forçoit souvent à pleurer des maux extrêmes, et il n'avoit point de consolation du côté des hommes: le riche impitoyable ne daignoit pas le regarder. Mais parce qu'il a souffert avec patience, il est consolé : Dieu l'a reçu dans le lieu où il n'y a point de douleur et de peine.

« Le monde se réjouira, et vous serez affligés: mais votre tristesse era changée en joie '. » C'est la promesse du Sauveur à ses disciples. La tristesse et la joie viennent tour à tour: qui s'est réjoui sera afigé; qui s'est affligé sera réjoui : « Bienheureux donc ceux qui pleurent, car ils seront consolés.

Mais parmi tous ceux qui pleurent, il n'y en a point qui soient plus tôt consolés que ceux qui pleurent leurs péchés. Partout ailleurs la douleur, loin d'être un remède au mal, est un autre mal qui l'aug

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