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gnes, rivales de l'Athos en hauteur, fournissent un bon couvert contre les vents du sud; le mouillage y est excellent, et en eau paisible.

Aucun Grec ne naviguait en ces parages sans vénérer les cimes, d'où Neptune avait suivi les combats de Troie ', beaucoup même pénétraient dans les chênaies de la montagne pour participer aux mystères de Samothrace, les plus obscurs de l'antiquité. Qu'étaient, d'où venaient les Cabires, divinités de ces hauts lieux? Nul ne le savait, mais comme l'initiation à ce culte mystique passait pour préserver de tout danger2, on y accourait: Éleusis seule était plus fréquentée. L'apôtre et ses compagnons connurent-ils la grande dévotion des païens à cette ile sacrée? Nous en doutons. Paul, comme tous les Juifs, peu curieux de mythologie, n'en étudiait dans chaque lieu que les détails utiles à sa prédication. Il ne passa qu'une nuit aux rives de cette terre sans y aborder mystères et Cabires lui demeurèrent étrangers.

Dès l'aube suivante on fit voile vers la Macédoine où les appelait l'Esprit de Dieu. Une journée suffit de Samothrace pour pénétrer dans la baie de Thasos et gagner Neapolis. La situation de ce port à l'est du

1 Homère, Iliad., x, 10-15.

2 On prétendait que jamais initié n'avait fait naufrage. Scoliaste d'Aristide, Panathen, p. 324. Scoliaste d'Aristophane, Pac., Hermann, Lehrbuch der gottesdienstlichen Alterthümer der Griechen, § 65.

278.

3 Pauly's Real Encyclopädie, CABIRI et SAMOTHRACE.

berg, Dictionnaire des Antiquités, Cabiri.

Darem

4 La Voie Egnatienne était ainsi nommée d'Egnatia, le port d'Apulie, où aboutissait la voie Appienne ( Pauly's Real Encyclo

golfe est médiocre point de havre, une rade de bon ancrage, mais battue par les vents de sud-ouest, tellement que dans les grosses mers il faut l'abandonner et se réfugier à l'abri de Thasos. Cette station, toute défectueuse qu'elle fût, ne laissait point d'être fréquentée, parce que la voie Egnatienne' y longeait la mer. Les Romains, traçant cette route à travers la Macédoine, en avaient fait le grand chemin qui rattachait à l'Orient Dyrrachium, et, au delà de l'Adriatique, Egnatia, Brindes et toute l'Italie. Au lieu de la suivre dans toute sa longueur, les voyageurs pressés de couper au plus court vers la côte d'Asie s'embarquaient à Néapolis.

Cette ville parut à Paul peu différente de Troas : même concours de Grecs, de Levantins, de marchands avides qui se pressaient à toutes les échelles de la Méditerranée. Ce n'était point là le peuple de Macédoine que la vision céleste lui avait montré comme le propre objet de ses travaux. Il résolut de gagner Philippes 2,

pädie, VIA APPIA). La continuation de la route d'Orient sur la rive opposée de l'Adriatique reçut de cette ville d'Italie le nom d'Egnatienne. Partant de Dyrrachium et d'Apollonie, elle traversait l'Épire jusqu'à Thessalonique, puis la Macédoine et la Thrace, pour aboutir à Byzance.

1 Aujourd'hui Cavala, échelle turque assez importante. Cousinery (Voyage de Macédoine, vol. II, p. 116) place Néapolis à trois lieues de là, au sud-ouest, à Eski Cavala, où se trouve un bon et vaste port; mais cette hypothèse a contre elle les distances marquées sur les itinéraires entre Philippes et Néapolis, les inscriptions, les débris antiques trouvés à Cavala, l'éloignement d'Eski Cavala de la Voie Egnatienne. Voir Lewin, Life of S. Paul, t. I, p. 201, note 22. Tafel, de Via Egnatia, II, p. 12 et suiv. Heuzey, Mission de Macédoine, p. 11 et suiv.

2 Il ne reste que des ruines sur l'emplacement de Philippes. Le

cité considérable séparée de la mer par la chaîne du Pangée, mais l'une des étapes de la voie Egnatienne. Les apôtres s'élevèrent donc le long des pentes de cette route taillée en plein roc au-dessus de Néapolis 1, et, au débouché du chemin qui coupe profondément la crête, ils aperçurent à perte de vue la belle plaine de Philippes2. En face d'eux, par delà les marais qui baignent le pied du Pangée, la ville s'avançait du nord sur une colline formant promontoire 3. Vaste, florissante alors, elle en couvrait tout le sommet, puis descendant sur le versant méridional débordait aux alentours dans la plaine. La voie Egnatienne, traversant cette dernière partie de Philippes, divisait au midi la ville basse avec son forum et ses quartiers populeux de la cité haute où se trouvaient l'acropole, le théâtre, les temples des divinités".

C'est aux mines qui l'entourent que Philippes dut son

village turc de Filibedjik, qui conservait encore le nom de cette ville, a disparu.

1 Ce passage traverse le mont Symbolum des anciens. Dion Cassius, XLVII, 35.

2 La distance de Néapolis à Philippes est de trois à quatre lieues. Heuzey, Mission de Macédoine, p. 19.

3 « Un massif de montagnes peu élevées s'avance, en forme de coin, dans la plaine, à la rencontre du mont Pangée. Au sommet de l'apre colline qui fait le tranchant de ce coin, des tours ruinées se dressant sur un promontoire signalent de loin l'emplacement de la ville antique. Une distance de neuf kilomètres sépare encore ce promontoire de Philippes des derniers contreforts du Pangée; mais l'espace intermédiaire est barré presque tout entier par un lac marécageux dont les cartes ne font pas assez comprendre l'importance.» Heuzey, Mission de Macédoine, p. 33 et 34.

Heuzey, Mission de Macédoine, p. 67 à 90.

origine. Elles avaient un renom fabuleux dans l'antiquité1; l'or enlevé par la pioche y renaissait, disait-on, aussi vite que l'herbe coupée dans les champs. De telles ressources ne pouvaient échapper à la cupidité des rois de Macédoine. Le père d'Alexandre, Philippe, s'empara de toute la région minière, y organisa le travail, et, pour le protéger, éleva la place forte qu'il appela de son nom2. L'occupation romaine ne fit que donner à ce poste militaire une vie plus active. Octave en avait reconnu l'importance, quand il vint en ces lieux gagner la bataille de Philippes. Dès qu'il fut maître de l'empire, il y envoya une colonie et en assura la puissance en lui conférant le jus italicum3.

Débris du parti d'Antoine, vieux soldats, habitants de l'Italie, ces émigrants apportèrent aux frontières de Macédoine et de Thrace la probité, le sérieux, l'austérité de vie qui régnaient encore dans les légions et les campagnes du Latium*. Les déités rustiques de la vieille Rome furent amenées par eux à ces plages lointaines; Sylvain y eut un collège, chargé de son culte, et composé de membres dont les noms se retrouvent dans les Actes et les Épîtres, Crescens, Secundus, Trophimus, Aristobulus, Pudens, Urbanus, Clemens. Ces dieux nouveau-venus se mêlèrent à ceux de la région; près de leurs temples, en effet, nous retrouvons les sanctuaires

1 Strabon, VII, Fragm., 34.

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Hérodote, vi, 46, 47; v, 23, 126. - Thucydide, 1, 100. Diodore de Sicile, xvi, 3.

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2 Diodore de Sicile, XVI, 8.

3 Dion Cassius, LI, 4.

▲ Mission de Macédoine, p. 74-78.

Id., p. 72.

de Minerve, de Diane, de Mercure, d'Hercule, du Men asiatique'. Nous connaissons à Philippes mieux qu'ailleurs le détail de ces dévotions populaires, car les ves tiges en demeurent dans la haute cité. Des roches de marbre blanc y perçaient le sol et le rendaient sur beaucoup de points inhabitable. Quelques-uns de ces blocs furent taillés à l'image des dieux; d'autres creusés en niches pour de petites statues, ou couverts de bas-reliefs et d'inscriptions. A parcourir ce curieux musée des dieux de Philippes, il est visible que, si les colons importés par Auguste dominaient, un fonds de population macédonienne avait subsisté.

Nulle race d'ailleurs n'était mieux faite pour s'allier à la romaine des deux parts même génie, mêmes mœurs, des hommes de labeur et de pâturage, rudes, braves, d'une fidélité proverbiale, aussi fiers que fidèles, aimant l'ordre, l'autorité, qui les groupait en phalange invincible. Comme Rome et avant elle, ils avaient subjugué le monde, non plus en l'inondant de multitudes asservies, ainsi que les monarques d'Assyrie et d'Égypte, mais par la discipline, l'art militaire, la valeur de quelques légions. Autant que Rome, ils méprisaient leurs voisins de Grèce; autant et plus qu'elle peut-être, ils gardaient le culte de la famille, le respect de la femme. Les inscriptions macédoniennes nous montrent la mère et l'épouse plus honorée en ces régions que la matrone romaine. Elle y est saluée de maîtresse de la maison; jouit d'un droit de propriété; son nom, comme ailleurs celui du père, atteste la des

1 Mission de Macédoine, p. 79-86.

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