Page images
PDF
EPUB

interposés d'ordinaire entre le ghetto et la gentilité de chaque cité, prévenaient les chocs, ou en amortissaient la violence. Barnabé et Saul, trouvant peu d'accès chez les païens, furent réduits « à annoncer la parole de Dieu dans les synagogues des Juifs ». Marc les aidait2, achevant d'instruire, baptisant les fils d'Israël que la prédication des apôtres avait gagnés au Christ 3.

1

5

De Salamis les trois missionnaires se dirigèrent vers Paphos. La route qu'ils suivirent traverse l'île du levant au couchant. Outre les deux villes principales que nous venons de nommer, quinze cités s'y élevaient et dans chacune d'elles apparemment se trouvait une communauté juive, car Hérode le Grand, en affermant les mines de cuivre de cette région, y avait attiré en foule ses compatriotes". Les apôtres évangélisaient ces fils éloignés d'Israël, quand un message du gouverneur les appela à Paphos.

Ce centre à la fois politique et religieux était la plus considérable des colonies fondées par les Phéniciens sur la rive méridionale. Les Sémites recherchant les hauts lieux pour y adorer, leur temple d'Aphrodite fut érigé sur une colline voisine de la mer; par suite la

1 Act., XIII, 5.

2 Id.

3 I Cor., 1, 14-17.

4 Cette voie est marquée sur la Table de Peutinger.

5 Pline, Historia naturalis, v, 35.

6 Josèphe, Antiq. Jud., XVI, IV, 5. C'est de Cypre que ce mé. tal a pris son nom, dans les langues grecque et latine: Kúлpos, cuprum.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

ville primitive entoura le sanctuaire, et longtemps demeura attachée à ces sommets, où les invasions des pirates étaient moins à craindre. Mais, dès que Rome eut purgé la Méditerranée, la rive reprit ses attraits, et une ville nouvelle, Néa Paphos, s'éleva à trois heures de la cité consacrée à Vénus. De là partaient les processions licencieuses qui, plusieurs fois l'an, montaient aux bosquets de l'ancienne Paphos : l'affluence des pèlerins et l'accroissement du commerce donnèrent à ce port une telle importance, que les gouverneurs romains y fixèrent leur séjour.

Au temps qui nous occupe, Cypre, province impériale dans l'origine, avait passé aux mains du Sénat2 et était administrée par un proconsul, magistrat investi de pouvoirs annuels 3. Un Romain de noble race, Ser

1 Aujourd'hui Baffo. Néa Paphos, dévastée quelque temps auparavant par un tremblement de terre, avait été rebâtie par Auguste, qui lui donna le titre de Cité Auguste. Dion Cassius, LIV, 23. Boeckh, Corp. Inscript., no 2629.

2 Quand Auguste (en 27 av. J.-C.) partagea les provinces entre lui et le Sénat, Cypre fut au nombre des provinces impériales (Dion Cassius, LIII, 12. Strabon, XIV, VI, 6). Plus tard, voyant qu'un corps d'armée était inutile en cette province, il la rendit au Sénat et prit en échange la Dalmatie (Dion Cassius, LIV, 4). Ce fait, attesté par Dion Cassius, est confirmé par les médailles et les inscriptions découvertes à Curium et à Cittium. Aucune, à la vérité, ne mentionne le nom de Sergius Paulus, mais le titre de proconsul y est donné à Cominius Proclus, Julius Cordus, L. Aunus Bassus, qui l'ont précédé ou suivi immédiatement. Eckhel, III, 84. Akerman, Numism. illustr., pp. 39, 42. Bockh, Corpus Inscript., 2631, 2632. Il reste douteux si le proconsul Paulus. mentionné dans une inscription de Soli, est le même personnage que le Sergius Paulus des Actes (Cesnola, Cyprus, p. 495).'

3 A l'origine le nom de proconsul était donné aux anciens con

gius Paulus, exerçait cet office; c'était un homme d'intelligence, dit S. Luc, le même apparemment que le savant naturaliste dont Pline cite le nom'. Dans le désœuvrement de sa lointaine résidence, Sergius sentit plus vivement qu'à Rome quel vide laissait dans son âme la foi de ses pères disparue, et le besoin de retrouver quelque accès au monde surnaturel. Or, nulle région n'en semblait plus proche que l'Orient: astrologues, devins, interprètes de songes y fourmillaient, tous à l'envi promettant d'initier leurs adeptes aux plus hauts mystères. A Cypre surtout, l'imposture était pour séduire même les bons esprits, car les magiciens n'y opéraient pas en charlatans vulgaires. Conservant à leur art les formes didactiques dont les mages de Perse l'avaient revêtu, ils avaient établi deux écoles << la plus récente était cypriote », dit Pline 2, par où sans doute il faut entendre qu'on y recourait aux

«

suls, qui, après avoir exercé leur charge, recevaient le commandement d'une armée ou d'une province. Ce titre fut accordé indistinctement, sous Auguste, à tous les gouverneurs des provinces sénatoriales, qu'ils eussent rempli ou non les fonctions consulaires. Les pouvoirs de ces magistrats étaient annuels (Dion, LIII, 13. Suétone, Octav., 47). Cette règle toutefois avait ses exceptions. Voir Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. I, P. 544, note 6.

1 Pline, Historia naturalis, lib. 1. Elenchos (liste des auteurs des livres II, et xvi). Il semble, du reste, que le culte de la science fût une tradition de cette noble famille, car, un siècle plus tard, Galien (t. II, p. 218, éd. Kühn), donne des éloges à un philosophe nommé Sergius Paulus, aussi illustre par ses recherches expérimentales que par ses savantes théories.

2 << Est et alia factio a Mose et Jamne et Jotape Judæis pendens, sed multis millibus post Zoroastrem. Tanto recentior est Cypria. » Pline, Historia naturalis, xxx, II, 6.

maléfices propagés par les Phéniciens dans leurs colonies, impures et sanglantes pratiques qui révélaient le sombre génie de Canaan; la plus ancienne, toute juive, prétendait remonter aux devins d'Égypte, qui luttèrent contre Moïse, ou plutôt à ce prophète luimême. Quelle que fût dans cette école la part de l'imposture, les doctrines mosaïques y maintenaient leur autorité, conservant aux magiciens d'Israël une élévation de parole et de sentiments qu'on ne trouvait pas chez les devins du paganisme. Ces enseignements mêlés d'habiles prestiges captivèrent tellement Sergius, qu'il voulut garder près de lui le maître qui l'avait initié à de si profonds mystères. C'était un Juif appelé Bar-Jésus, plus connu sous le nom prétentieux qu'il s'attribuait d'Elymas (Élim) « le Sage ». Il occupait près du gouverneur la situation que nombre de patriciens donnaient alors au devin qui leur dévoilait l'avenir, au philosophe qui éclairait et guidait leur conscience. Table, logement, libéralités étaient offerts à ces hommes qui, demeurant au sein de la famille, y exerçaient souvent un puissant empire.

La faveur de Bar-Jésus montait au comble, quand on apprit à Paphos que trois Juifs descendus dans l'île remuaient les synagogues par leurs prédications. L'avide curiosité qui attachait Sergius au magicien lui fit souhaiter d'entendre les nouveaux venus; il les manda

Le mot Mage par lequel S. Luc traduit Élymas est tiré de la langue des Perses. Les Hébreux le traduisaient par hakam « sage » (Jer., L, 35. Is., XLIV, 25. Dan., II, 12, 18, 24, 27). — Porphyre, (de Abst., 4). En arabe, la racine alîm a le même sens, et le pluriel oulema désigne les docteurs de la loi.

donc, en leur témoignant son désir d'entendre la parole du Seigneur. Bar-Jésus fut en grande alarme à cette nouvelle; prévoyant sa ruine, il mit tout en œuvre pour discréditer la foi dans l'esprit du proconsul. Le texte des Actes laisse entendre qu'une controverse publique s'engagea, où le faux prophète s'efforça de confondre les apôtres, de montrer que leur enseignement n'était que folie. Il ne s'agissait plus ici de lutter dans les synagogues; la parole d'imposture s'adressait aux gentils de la contrée et attaquait le Christ sur une terre, dans une demeure païenne; c'était le propre domaine de Saul : à l'instant il prit le pas sur ses deux compagnons et fit face à Bar-Jésus. Fixant sur lui ce regard' que la maladie rendait étrange et qu'enflammait l'Esprit de Dieu : « O homme, plein de toute fraude et de toute méchanceté, dit-il, fils du diable, ennemi de toute justice, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies droites du Seigneur? Et maintenant voici, la main du Seigneur est sur toi, et tu seras aveugle, sans voir le soleil pour un temps 2. » « Aussitôt l'obscurité et les ténèbres tombèrent sur Elymas, et se tournant de tous côtés, il cherchait quelqu'un qui lui donnât la main. A la vue de ce qui arrivait, le proconsul crut, saisi par la doctrine du Seigneur 3. »

Ce premier acte des missions de S. Paul nous le montre dans le vif et la rudesse de sa nature juive, comme Jean-Baptiste et Élie, comme tout fils de l'Orient, je

[blocks in formation]
« PreviousContinue »