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Non loin de la grève, où se réchauffaient les naufragés, se trouvait un domaine appartenant au gouverneur de Malte, nommé Publius. Cet homme, honoré du titre de « premier de l'île », l'administrait sous l'autorité du proconsul de Sicile. Apprenant qu'un centurion et des soldats romains venaient d'être jetés à la côte, il vint à eux, les recueillit et pendant trois jours donna à tous l'hospitalité. « Or, il se trouva que le père de Publius était couché, souffrant beaucoup de la fièvre et de la dysenterie. Paul, étant entré près de lui, pria, lui imposa les mains et le guérit. » Ce miracle attira près de l'apôtre tout ce que l'île contenait de malades il les remit en santé, et sans doute là, comme partout, il annonça la Bonne Nouvelle, s'efforçant d'éclairer et de purifier les âmes. Parvint-il dès ce premier séjour à y éveiller la foi au Christ? Nous en doutons. Ces insulaires gardaient probablement de l'Afrique, leur lieu d'origine, la vie sensuelle et de basses superstitions. Ils se montrèrent reconnaissants envers Paul; tout le temps de son séjour,

1 Deux inscriptions, l'une grecque, l'autre latine, trouvées dans l'ile, à Citta- Vecchia, donnent lieu de croire que c'était là un titre officiel, Α. Κλ.υιος. Κυρ. Προυδηνς ιππευς· Ρωμαίων πρωτος" Meditaιwv (Boeckh, Corp. Inscrip. t. III, no 5754). MEL. PRIMUS. (Smith's Voyage and Shipwrek, p. 113-114.) Publius était vraisemblablement le chef, le princeps du municipe. Nous trouvons en grand nombre dans les inscriptions des titres analogues, tous puement municipaux : << primus principalis splendidissimæ coloniæ.....; princeps coloniæ;..... princeps loci;..... princeps patriæ suæ..... princeps municipii Riditarum., » etc. Orelli, 3866, 512. Renier, Inscriptions romaines de l'Algérie, 3695, 3844. Henzen, 5273.

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ils lui rendirent, à lui et à ses amis, de grands honneurs, leur fournirent même au départ ce qui était nécessaire pour le voyage'; mais nous ne voyons pas dans les Actes qu'aucun d'eux ait cru et reçu le baptême.

On passa trois mois dans l'île, du milieu de novembre à la mi-février. Aux approches de mars, les vaisseaux qui ne faisaient que de courts trajets le long des côtes se risquaient à reprendre la mer. Julius en trouva un dans le port de Malte qui appareillait pour Pouzzoles. C'était un navire d'Alexandrie à l'enseigne de Castor et Pollux2. Contraint d'hiverner dans l'ile, il avait hâte de porter son chargement à destination. Le centurion y embarqua prisonniers et soldats, et l'on fit voile vers Syracuse, où l'on demeura trois jours, pour quelque trafic apparemment. Le vent n'était point favorable au sortir de cette escale; on côtoya la Sicile afin de profiter du courant qui longe les rives du détroit de Messine3, et l'on vint toucher à Reggio.

1 Act., XXVIII, 10.

2 L'image des divinités tutélaires du navire était habituellement peinte ou sculptée sur la proue. Virgile, Æneid., x, 209. —Perse, Satir., VI, 30. Castor et Pollux, les Dioscures, étaient particulièrement honorés par les marins. Horace, I Od., III, 2; XII, 28.

3 « Il existe sur les deux bords opposés du détroit de Messine, mais ne se faisant sentir que dans une zone assez étroite, ne dépassant pas un mille de largeur, des contre-courants qui portent au nord, lorsque le courant principal qui suit le milieu du canal porte au sud, et vice versa, car le courant principal se renverse comme les marées. Les navires s'aident de ces contre-courants lorsque le courant principal leur est contraire, et, à cet effet, se tiennent à petite distance des côtes. Ainsi fit le Castor et Pollux pour atteindre Rhège. » Trèves, une Traversée.

Le lendemain, un bon vent de sud s'étant levé, le détroit fut franchi; deux jours plus tard, le Castor et Pollux abordait, dans la baie de Naples, aux quais de Pouzzoles.

C'était dans ce port, l'un des plus fréquentés d'Italie, que les navires alexandrins' déchargeaient habituellement le blé d'Égypte eux seuls avaient droit d'y entrer, leurs voiles de hune déployées2, par juste privilège d'honneur, car ils apportaient le pain de Rome. Les Israélites affluaient sur ce grand marché3, venant d'Alexandrie ou en commerce actif avec l'importante juiverie de cette ville. Du milieu d'eux apparemment était sortie la communauté chrétienne que l'apôtre trouva à Pouzzoles. La joie de cette rencontre fut d'autant plus vive qu'elle était inattendue. Paul, pressé par ces frères de rester quelques jours près d'eux, l'obtint sans peine de Julius, qui l'estimait trop pour lui refuser cette faveur. On passa une semaine entière aux belles rives du golfe.

Ce temps écoulé, on se mit en marche vers Rome. La nouvelle y était venue de Pouzzoles qu'un centurion amenait l'apôtre captif; l'émotion fut grande parmi les chrétiens de la capitale, auxquels Paul, de

1 Pline, Hist. nat., XXXVI, 14. Suétone, Augustus, 98.

2 Sénèque, Epist., 77.

3 Josèphe, Ant. jud., XVII, xi, 1.

4 L'existence de cette chrétienté, l'influence des Juifs à Pouzzoles et à Alexandrie et les relations constantes entre ces deux villes appuient la tradition recueillie par Eusèbe (Hist. eccles., I, 24; III, 14, 21) que dès ce temps la Bonne Nouvelle était répandue en Égypte. Voir Saint Pierre, chap. xx

puis sa lettre, était mieux connu et plus cher. Julius et sa petite troupe cheminaient sur la voie Appienne quand, à quarante-trois milles de Rome, près d'un bourg de matelots et de cabaretiers, appelé Forum d'Appius', un groupe de fidèles vint saluer le prisonnier et se mettre à sa suite; dix milles plus loin, au lieu nommé « les Trois-Tavernes », nouvelle députation. A ces témoignages redoublés de respect et d'affection, la joie éclata sur le visage de l'apôtre et s'épancha en actions de grâces vers Dieu, car se sentir aimé l'exaltait. Entouré de ses frères, appuyé sur eux, il entra dans Rome d'un pas ferme, comme pour un triomphe. On était au mois de mars de l'an 62. Depuis huit ans, Néron gouvernait le monde.

1 « Forum Appi differtum nautis, cauponibus atque malignis. Horace, I Sat., v, 4. Aujourd'hui San-Donato.

* Cicéron, Ad Attic., п, 10, 13. D'après les Actes apocryphes de Pierre et de Paul, l'apòtre avait passé la nuit à Aricia, à seize milles de Rome (Acta Petri et Pauli, s. 20).

ÉPILOGUE.

Seize ans se sont écoulés depuis le jour où Paul sortait d'Antioche pour sa première mission en terre païenne. Ce court espace de temps lui a suffi pour affranchir le christianisme. La foi nouvelle, resserrée jusque-là en d'étroites limites, a pris, grâce à lui, un essor de plus en plus libre, et la transformation s'est trouvée aussi rapide que soudaine; car, Dieu lui révélant plus nettement qu'à tout autre l'universalité de l'Évangile, l'apôtre marcha droit au but sans tâtonnements ni scrupules.

Pierre sans doute, au temps où Paul entreprit l'apostolat des gentils, avait déjà eu sa vision de Joppé. Aux frères de Judée, scandalisés d'apprendre qu'il baptisait des païens, il avait fait cette réponse admirable de foi et d'humble candeur: « A peine commençai-je de leur parler, que l'Esprit Saint tomba sur eux comme il est tombé sur nous aux premiers jours... Si donc Dieu leur a fait le même don qu'à nous qui avons cru au Seigneur Jésus-Christ, qui étais-je, moi, pour l'interdire1? »

Cette parole du chef de l'Église jetait sur l'avenir

1 Act., XI, 15, 17.

SAINT PAUL, SES MISSIONS.

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