Page images
PDF
EPUB

couronnes, et à flots pressés la procession s'avança vers la demeure des apôtres '.

Paul et Barnabé venaient d'apprendre le sacrilège qui les menaçait. Saisis d'horreur, ils déchirèrent leurs vêtements et s'élancèrent sur la foule : « Que faitesvous? s'écrièrent-ils, nous sommes des hommes comme vous, sujets aux mêmes infirmités que vous. Ce que nous vous prêchons, c'est que vous vous convertissiez de ces vaines superstitions au Dieu vivant qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu'ils contiennent. » Et ils leur parlèrent du Dieu suprême que ces païens méconnaissaient si grossièrement, excusant leur erreur toutefois par les ténèbres où ils avaient vécu jusqu'alors. Dieu en effet, « dans les générations passées, laissait les peuples marcher dans leurs voies »; bien que, sous ces ombres même, sa présence fût sensible. Il se révélait dans les biens prodigués aux hommes, car c'est « lui qui envoie du ciel la pluie et les saisons fécondes, lui qui remplit les cœurs de nourriture et de joie ».

Vaines paroles! la populace, entêtée de sa méprise, avait peine à s'en détacher. Que lui parlait-on de renoncer pour un Dieu invisible aux divinités qu'elle

ipsæ hostiæ et aræ, ipsi ministri ac sacerdotes eorum coronantur. » Tertullien, de Corona, x.

1 'Enì toùs πvλ@vaç paraît désigner, non les portes du temple de Jupiter, mais celles de la maison où se trouvaient les apôtres. Пv a fréquemment cette signification. (Luc., xvi, 20. Act., x, 17; xx, 13. — Jullius Pollux, Onomasticon, 1, 8, 77. — H. Étienne, Thesaurus, à ce mot.) Bon nombre de commentateurs adoptent cette interprétation, Cornelius a Lapide, Patrizi, Beelen, Plumptre, Alford, Lewin, Farrar.

venait de voir et de toucher? Comment sacrifier tous les biens qu'elle s'imaginait tenir avec Jupiter et Mercure? L'idée juive que le ciel fait des miracles à l'appui d'une doctrine était trop subtile pour ces esprits grossiers, ils n'envisageaient dans le prodige que la toute-puissance de ses auteurs et s'obstinaient à les adorer. Il fallut une vraie lutte et toute l'énergie de Paul pour conjurer ce sacrilège. La foule se retira domptée, mais gardant au fond du cœur un dépit dont les effets se firent bientôt sentir.

Sur ces entrefaites, des Juifs arrivèrent d'Antioche de Pisidie et d'Iconium; ils étaient envoyés par les Synagogues de ces villes dont la haine s'attachait aux pas des apôtres afin d'entraver partout leur zèle. Ils trouvèrent à Lystres un terrain favorable, le peuple incertain, mécontent qu'on eût repoussé son hommage. Ils lui persuadèrent aisément que les prodiges de ces étrangers n'étaient qu'imposture, leur parole si mensongère, que, rejetés d'Antioche par leurs compatriotes, ils n'avaient échappé à la lapidation qu'en fuyant d'Iconium. C'étaient donc deux impies que Lystres avait reçus, des criminels frappés par les lois de leur nation. L'esprit mobile' de ce peuple passa bientôt à la fureur: ils se jetèrent sur Paul, qui fut lapidé dans les rues mêmes de la ville; puis, le croyant mort, on le traîna hors des murs.

Toutefois la Bonne Nouvelle avait déjà germé dans

1 Le Scoliaste de l'Iliade (1v, 88-92) cite un témoignage d'Aristote sur le peu de fond qu'il convenait de faire des Lycaoniens. Cicéron (Ep. ad Att., v, 51) parle de ces populations avec grand mépris.

les cœurs et suscité le courage avec la foi. Si la violence faite à Paul n'avait pu être empêchée, du moins ses disciples s'empressèrent à lui rendre de pieux devoirs. Or, tandis qu'ils entouraient le corps sanglant, l'apôtre reprit ses sens; il se releva entre les mains des frères et rentra avec eux dans Lystres. Nombre de maisons lui demeuraient ouvertes; il choisit vraisemblablement celle qu'une femme juive, nommée Eunice, habitait avec sa mère Loïs et son jeune fils, Timothée. L'apôtre avait pénétré toute cette famille d'une vive foi nulle demeure ne lui était plus chère en ces lieux. Entouré de soins, consolé par le dévouement de ses disciples, Paul, dès le lendemain, avait recouvré assez de forces pour quitter Lystres. Huit heures de marche le menèrent à Derbé, petit bourg situé plus à l'est, près du lac d'Ak-Ghieul. En ce pays tout païen, les apôtres trouvèrent enfin le calme et la sécurité, car les Juifs, tenant sans doute leur ennemi pour mort, ne s'occupèrent plus de contrecarrer sa mission.

Paul et Barnabé usèrent de cette liberté pour redoubler leurs efforts. Ils firent à Derbé beaucoup de disciples, et créèrent ainsi, dans les principales villes de Lycaonie, des chrétientés composées presque entièrement de païens convertis. Aucune de ces petites Églises ne formant une métropole comme l'était Antioche de Syrie, Paul prit l'habitude d'en appeler les fidèles «<les Galates », du nom de la province romaine à laquelle ils appartenaient. Toutes ces régions avaient fait partie de la monarchie d'Amyntas à sa

1

1 Douze tétrarques gouvernaient les Galates à l'origine; mais

mort, elles constituèrent la province de Galatie, laquelle, outre « le pays galatique1» proprement dit, comprenait la Phrygie montagneuse, la Pisidie, la Lycaonie et l'Isaurie 2. Cette contrée avait donc été sur toute son étendue, d'Antioche de Pisidie à Derbé, le théâtre de la prédication apostolique; par suite son nom devint, dans le langage de l'apôtre, celui des Églises qu'il y laissait, toutes nées dans le même temps, et animées d'un même esprit 3.

leur nombre diminua peu à peu, et, au temps de Pompée, Déjotare, tétrarque des Tolistoboies, régnait seul sur toute sa nation. Son secrétaire, Amyntas, qui lui succéda, fut le dernier roi de ce pays. Appien, Bel. Civ., II, 71. Dion Cassius, XLIX, 32; L, 13; LI, 2. Strabon, XII, v, 4; vi, 1-4; VII, 3.

[ocr errors]

1 Act., XVI, 6.

[ocr errors]

15

2 Strabon, XII, v, 1; vI, 5; VII, 3; XIV, v, 6; XVII, 1, 25. Dion Cassius, LIII, 26. Pline, Hist. nat., v, 23. Voir, sur les changements de limites que subit cette province, Marquardt, Römische Staatsverwaltung, t. I, ch. 11, p. 358 et suiv., GALATIA.

3 Le sentiment des modernes (Mynster, Niemeyer, Thiersch, Hausrath, etc.), qui identifie les Églises de Galatie auxquelles S. Paul écrivit et les chrétientés fondées par lui en sa première mission, paraît si plausible, que nous n'hésitons pas à l'adopter. Les Actes, en effet, rapprochés de l'Épître aux Galates, mettent hors de doute que les fidèles auxquels cette lettre est adressée avaient reçu la foi avant le concile de Jérusalem (Act., XIII-XV; Gal., 1, 11). Or, Paul ne visita « le pays galatique » proprement dit (Act., xvI, 6) qu'après cette réunion des apôtres, dans son second voyage en Asie Mineure. De plus Barnabé, dont l'autorité sur ces chrétiens est manifeste (Gal., II, 1, 9, 13), ne fut le compagnon de S. Paul que dans la première mission de Lycaonie; au second voyage il s'était séparé de l'apôtre. Une considération non moins décisive est que l'Épître aux Galates suppose un commerce intime, un long séjour parmi les chrétiens auxquels parle l'apôtre. Tout s'explique et concorde avec le récit des Actes, si le mot de Galates désigne les fidèles de Pisidie et de Lycaonie; au contraire,

Paul garda toujours une tendresse particulière à ces chrétientés, les premières qui lui appartinssent en propre, les premières où il put donner à sa prédication la forme pure de tout alliage que nous retrouvons dans l'Épitre aux Galates. En ce pays de gentils, à l'exception des grandes villes où les Juifs avaient pris pied, le mosaïsme était comme inconnu; l'apôtre y prêcha donc l'Évangile dans toute sa simplicité, «< tel qu'il l'avait reçu du Seigneur, sans y mêler rien de l'homme ». C'était là une importante nouveauté, car en Palestine, en Syrie même, le christianisme s'était développé jusqu'alors au sein d'Israël, et, par suite, apôtres, fidèles, prosélytes avaient conservé les formes extérieures du judaïsme. En Lycaonie, la foi naissait sur une terre vierge: Paul n'eut garde d'imposer aux païens qu'il convertissait la circoncision, les observances légales qu'il estimait << aussi

l'embarras est inextricable s'il s'agit de la Galatie proprement dite, car nulle trace n'est restée que l'apôtre y ait exercé un long apostolat. Deux fois il traverse cette région (Act., xvi, 6; xviii, 23), prêchant, fondant des Églises sans doute, mais sans y demeurer. Les communautés établies alors dans « la Phrygie et le pays galate » (Act., xvi, 6) formèrent avec celles de Lycaonie « les Églises de Galatie » (Gal., 1, 2) auxquelles l'apôtre écrivit sa lettre. Il l'adressait à toutes ensemble, mais la destinait particulièrement aux chrétientés fondées lors de la première mission dans la région d'Antioche de Pisidie, d'Iconium et de Derbé, vraisemblablement parce que le judaïsme y exerçait plus de ravages. On trouvera longuement exposé, dans l'Introduction au Nouveau Testament du Père Cornély (p. 415-422) l'ensemble des preuves dont nous ne pouvons ici que donner quelques traits. Cf. Renan, Saint Paul (p. 51, note 3).

Gal., I, 11, 12.

« PreviousContinue »