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loi en certaines matières. Aussi la décision adoptée par ces juristes de grande valeur personnelle, les principes de droit par eux interprétés ou reconnus dans cette décision, serontils un puissant mobile pour entraîner la conviction des magistrats ultérieurement saisis, toutes les fois que l'application de ces mêmes. principes sera soumise à leur juridiction.

Sous ce rapport, quelle science plus approfondie de la législation, quelle connaissance plus intime de l'esprit des lois pourraiton invoquer que celle de l'éminent jurisconsulte (1) dont l'œuvre prodigieuse restera comme un véritable modèle d'érudition et d'exégèse ? ou bien encore quelle logique plus serrée, quelle dialectique plus nerveuse que celle de l'illustre avocat (2) dont la parole énergique décidait avec tant de précision les questions de droit soumises à sa puissante étude? Tous deux ont occupé le premier siége de la première cour de l'Empire; et l'on peut dire, sans flatterie, qu'ils lui ont donné plus d'éclat qu'ils n'en ont reçu.

(1) M. Troplong. (2) M. Delangle.

Aussi bien, au lieu de colliger à la manière des arrêtistes, ou de classer à la manière des cartographes de catalogues, les décisions rendues en la matière qui nous occupe, nous bornerons-nous, et en cela nous croyons faire un travail plus utile, à étudier la sentence des maîtres que nous venons de citer, et à rechercher, par la voie de l'analyse, l'esprit et le sens, le mobile, en un mot, de leurs décisions.

Nous serons alors assurés de trouver dans le dispositif des arrêts prononcés par ces éminents magistrats, sinon la solution désirable de toutes les difficultés qui peuvent s'élever sur la question d'État qui fait l'objet de la présente étude, tout au moins un texte conçu en termes tels, qu'il ne doive plus rester après lui aucune place à l'hésitation ni au doute.

Il faut cependant se garder d'oublier que les décisions à rendre ne doivent pas se modeler servilement sur celles qui les précèdent, et que la loi civile (1) défend expressément aux juges de prononcer par voie de disposition générale ou réglementaire; c'est-à-dire que, sur chaque

(1) Art. 5.

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affaire, ils doivent statuer par décision spéciale, et qu'ils ne peuvent déclarer que leur décision fera loi pour l'avenir, et sera désormais applicable à toutes les contestations qui pourraient s'élever par la suite en semblable matière.

Suivant l'ordre chronologique de la jurisprudence, nous devons citer d'abord un arrêt rendu le 19 mai 1851 parla première Chambre de la Cour d'appel de Paris, sous la présidence de M. le premier président Troplong, et dont le dispositif est remarquable par ses considé

rants.

Il s'agissait d'un legs universel fait aux Religieuses Carmélites établies alors rue de Vaugirard (1) legs attaqué comme fait par personnes interposées à une Communauté religieuse non autorisée; et la Cour, statuant sur l'appel du jugement de première instance qui avait maintenu la disposition testamentaire, déclare que les incapacités dont la loi du 24 mai 1825 frappe les Communautés religieuses autorisées, sont également applicables

(1) Aujourd'hui, avenue de Saxe, no 26.

et

aux Communautés religieuses non autorisées ; que les tribunaux sont aptes à apprécier les circonstances d'où peut ressortir l'interposition de personnes.

Voici en quels termes cet arrêt est conçu :

« La Cour,

» Considérant qu'il est constant, en fait, qu'une Communauté religieuse de Carmélites existe rue de Vaugirard, n° 70; que l'établissement de cette Communauté n'est pas autorisée; que les dix-huit femmes qui la composent sont soumises à des règles précises qui portent le caractère de la vie cloîtrée, et ne laissent aucun doute sur les conditions de leur existence comme Congrégation vouée à la Religion;

» Considérant que c'est cette Congrégation que Françoise-Camille de Soyecourt a voulu gratifier par son testament du 18 août 1841; que le legs universel fait conjointement aux trois sœurs de Melissent, Éléonore-Fleuriste Casset et Louise-Aglaé-Céphise Fouquet, ne s'adresse à elles qu'en apparence; mais qu'en réalité il est destiné à la Communauté elle-même, Communauté dont Françoise-Camille de Soyecourt

était la Supérieure; qu'elle avait relevée et rétablie, et dont elle voulait assurer l'avenir par ses libéralités ;

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Qu'il résulte des documents produits dans la cause..... qu'il s'agit, non pas d'un legs dont elles seraient investies privativement et ut singulæ; mais d'un fidéi-commis tacite ayant pour but, soit de transmettre au couvent par interposition de personnes la propriété de l'édifice dans lequel il est établi, soit de doter par le même moyen détourné ladite corporation de manière à perpétuer son existence;

» Considérant que le testament prend toute sa force dans la volonté du testateur;

Que, dans l'espèce, la testatrice n'a pas voulu gratifier les personnes qu'elle a nommées, et qu'elle n'a pas nommé, à dessein, la personne morale qu'elle voulait gratifier;

» Que sa disposition ne peut dès lors se soutenir; puisque cette personne morale n'ayant pas d'établissement légal, manque de capacité

pour recueillir;

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Que vainement objecterait-on que la Communauté des Carmélites composée de moins de vingt personnes n'a rien de contraire aux

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