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blent plutôt appartenir aux Nations que nous appelons barbares, qu'à des hommes qui fe piquent de connoître les Loix de la Nature & de la Juftice. Nous n'en citerons qu'un affez récent.

En 1767, fix vaiffeaux de Bristol, de Liverpool & de Londres, ancrés dans la rivière du Vieux Kalabar, trouvèrent les Nègres divifés, & s'étant concertés avec l'un des partis, ils engagèrent les Chefs de l'autre, notamment Ephraim Robin Jean & les frères, à venir à bord, fous prétexte de les réconcilier avec leurs adverfaires.. Ces malheureux Chefs ayant accepté l'invitation, les Anglois tombèrent fur eux, en malfacrèrent un grand nombre, & li vièrent le refté à la faction ennemie, qui en récompenfe leur fournit des Efclaves à bon marché.

Les Européens ne malfacrent pas, ne d'robent pas toujours eux-mêmes des Nègres; mais ils engagent quelques Chefs ftupides & égarés à commettre toute forte d'atrocités. Ils leur font déclarer la guerre à leurs voilins, brûler des villes entières pour en faifir quelques Habitans, ou vendre leurs propres fujets. Il y a maintenant à la Côte d'or une troupe de Negres, appelés Fantins, qui, dévoués à cet exéciable trafic, forprennent par rufe ou par force leurs malheureux compatriotes, & les livrent aux Européens. Il y a dans la rivière Formofe, un Pirate nominé Lema

ma-Lemma, qui commande une flotte de plufieurs canois, & qui fait fans celle dés defcentes pour enlever des Nègres du Bemin, bien sûr de pouvoir les vendre aux vaiffeaux d'Europe.

Et après que ces infortunés ont été ravis à leur famille, à leur Patrie, à leurs habitudes les plus chères, on les enchaîne, on les engouffe dans les cales infectes des vaiffeaux, & ils font tranfportés en Amé rique, vendus comme de vils animaux, & condamnés à l'esélavage & à des travaux continuels, eux & les enfans qui ont le malheur de naître d'eux.

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Il nous eft impoffible de rapporter ici tous les traitemens qu'on fait endufer aux Nègres pendant qu'ils font dans les navires; traitemens qui les conduifent fouvent au fuicide, à la folie, au plus affreux défefpoir. Il faut lire ces détails dans l'Ouvrage même de M. Froffard, qui les cite d'après ce qu'en ont déclaré, au Parlement d'Angleterre, MM. Stanfield & Falconbridge, long-temps employés en Guinée.

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Mais M. Froflard he fe contente point de dévoiler toutes les hofteuts du commerce qu'on fait des Africains; il s'élève avec force contre le prétendu droi qu'oh a de les retenir efclaves en Amérique. Il prouve qu'il feroit non feulement juffe, anais avantageux, d'adoucir d'abord leur ferwithde, & de leur donner fuccellivement In liberté. Oui, fans doute, un fi grand la

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bienfait feroit digne du Monarque qui veut rendre à la France tous fes droits, du Monarque dont notre amour affermit bien mieux la puissance, que ne pourroit l'affermir le defpotifme le plus abfolu. Et les Nègres affervis à fes fujets des Colonies, & des peuples nombreux qui n'ont point encore entendu prononcer fon nom, lui devroient la ceffation de leurs maux. Nou, l'on ne peut manquer de le voir éclore avant peu, ce moment libérateur qui doit confoler, les deux Mondes. C'eft en vain que par mille raifonnemens fpécieux, une avarice cruelle s'efforce d'en reculer l'époque; ne craignons pas de le dire: Quiconque aime à poffeder des Efclaves, ne mérite pas d'être libre.

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M. Clarkfon, & un Philofophe illuftre qui s'eft caché fous le nom du Pafteur Schwartz, avoient déjà écrit pour démontrer combien l'Efclavage des Nègres eft impolitique & nuifible aux Colonies; & quoi qu'en difent ceux qui font oppofés à cette opinion, elle n'en paroît pas moins certaine. D'abord l'Efclavage arrête prefque entiérement la population: au lieu que files Nègres de nos Colonies n'étoient point Elclaves, ils fe fervient bientôt multipliés, & on n'auroit plus befoin d'en tirer d'Afrique. Enfuite les épidémies, les empoisonnemers encore plus fréquens, qui ruinent tant de Colons, cefferoient d'être à craindre,

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Les trois objections principales qu'on oppole à l'affranchillement des Nègres, font la pareffe naturelle de ce Peuple, qui, devenu libre, ne voudroit plus travailler; l'injuftice de ruiner les Propriétaires qui ont acheté des Efclaves fous la fanction du Gouvernement; & enfin l'impoffibilité prétendue de cultiver les grandes habitations fans Efclaves. Mais ces objections font également mal fondées.

Certainement les Nègres travailleroient dès qu'ils auroient befoin de travailler pour vivre, & pour fe procurer les objets de commodité ou de luxe qu'en leur porteroit d'Europe, & qu'ils aiment avec paffion. On pourroit d'ailleurs les exciter au travail, en leur infpirant de l'émulation & des fentimens, dont on fe plaît trop à dire qu'ils ne font point fufceptibles.

Il feroit effectivement injufte de ruiner les Propriétaires des Efclaves; mais on peut, fans nuire à ces Propriétaires, commencer pat diminuer l'étendue d'un defpotifme féroce & deftructeur, & accorder graduellement aux Nègres leur affranch flment. Il en eft plufieurs moyens faciles, tels que celui de fixer une époque où un Nègre laborieux, où une Négreffe, mere féconde & honnête, recevra la liberté; celui de dorner aux Efclaves le pouvoir de fe racheter pour une fomme fixée; celui d'affurer à un certain âge la manumiflion des enfans nés dans la fervitude; & enfin celui de

punir le Maître trop cruel, ttop barbare, en affranchiffat fon Elclave,

Quant à l'impoflibilité de cultiver les denrées de l'Amérique fans Etclaves, elle n'eft nullement prouvée. I eft au contrai e très sûr qu'on peur recueillir du café, du coton, de ind go, à très-peu de frais, & avec peu de monde comme avec beaucoup. A Siam, à la Chine, & dans toute l'Inde, ce font des mains liores qui fabriquent le fucre (1). Eh! qu'importe que nos plantarions d'Amérique aient peu de grandes manufac tures, ou de petites manufactures en plus grand nombre, pourvu que le produit total foit le même ? Faut-il que pour enrichir quelques centaines d'avides Propriétaires, on faffe périr tous les ans des millions d'Efclaves? Au lieu d'excéder les Nègres, nuit & jour, fans relâche, de travail & de châtimens, on ne les fera travailler que pendant le jour, ou s'ils travaillent la nuit,

(1) M. Poivre, dont la véracité, les lumières & les travaux font fi bien connus, dit que la Cochinchine feule cultive tant de fucre, qu'on en exporte chaque année 800 millions de livres pefant; & malgré cela, on en eonfomme dans le pays une immenfe quantité, parce que les Cochinchmois regardant le furre comme très - fain, en mêlent à tous leurs alimens, & d'ailleurs nourriffent, de cannes leurs Eléphans, leurs Buffles, leurs Chevaux, &c, M. Poivre a va lui-même ce qu'il avance. Lifez les Voyages d'un Philofophe

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