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finiftre vint interrompre leurs défirs & leurs projets.

Madame de Ferlang, que l'abandon de fon mari avoit long temps profondément affectée & dont le chagrin avoit beaucoup altéré la conftitution délicare, mourut prefque fubitement dans les bras de la jeune Pauline. On s'empreffa d'écrire à M. de Ferlang & à fon fils; mais M. de Ferhang vine feal; encore trouva-t-il en anivant fa femme déjà morte.

Il est impoflible de rendre la douleur de Pauline. Quand elle perdit la mère, qui l'abandonna fi étourdiment à l'âge de quatre ans, fes regrets enfantins touchèrent tous les cœurs mais en perdant la femme qui Tavoit adoptée, cette feconde, cette véritable mère, fon chagrin fut encore bien plus profond; & quoiqu'elle en donnât moins de fignes extérieurs, elle gémiffoit continuellement en fecret, & n'ofoit penfer fans frémir à la deftinée qui l'attendoit.

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Monfieur de Ferlang cherchoit cependant à la confoler, mais fans lui parler de l'al liance projetée par fa femme. Pauline voyant bien alors qu'il ne falloit plus penfer à cette alliance, & d'ailleurs n'ayant jamais vu l'époux qu'on lui avoit destiné, demanda à M. de Ferlang la permiflion de fe retirer dans un Couvent. » Y fonges-tu » bien, mon enfant, lui dit M. de Ferlang? » Pour se mettre au Couvent, il faut avoir au moins de quoi payer fa penfion : d'ail

leurs la vie cloîtrée t'ennuyeroit à la mort; il en eft une plus douce pour toi, & la feule que tu puiffes raifonnablement choifir. J'y ai réfléchi depuis long-temps. Je t'aime comme ma fille. Il faut fuivre mes confeils. Je ferai ton bonheur " Il accompagna cès mots d'un baifer familier, & de quelques difcours ambigus que, malgré fon innocence, Pauline ne comprit que trop bien.

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Accablée de honte, de frayeur, elle fe retira dans fa chambre, cù elle s'enferma trois jours, fans ofer fortir, fans prendre aucune nourriture, fans pouvoir goûter aucun repos, & fans ceffe occupée à ré pandre des larmes. Cependant, au bout de ce temps-là, il fallut fe rendre aux ordres de M. de Ferlang, qui la faifoit férieufement demander.

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Pauline, lui dit en ricanant cet homme » infenfible & libertin, avez-vous bien penfé à ce que je vous ai dit? - Que trop, Monfieur. A quoi êtes-vous réfolue? A mourir. Prends-y garde, » mon enfant; il vaut mieux m'en croire. Jamais, jamais ! Eh bien! Mademoifelle, préparez-vous à retourner dans » l'Hôtel où ma femme vous a prife. Je vous y remenerai moi-même «. En même temps il donna des ordres à fes gens. Sa chaife de pofte fut bientôt prête. Alors la malheureuse orpheline fe jeta à genoux; elle implora la pitié de M. de Ferlang; elle

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invoqua la mémoire de fa bienfaitrice; elle dit adieu de la manière la plus touchante aux lieux, aux perfonnes qui avoient vu élever fon enfance. Tous les Domeftiques étoient en larmes; mais rien ne put fléchir le barbare. Il fit mettre Pauline dans la voiture, & ils partirent pour Paris.

Je ne répéterai point tous les difcours qu'il lui tint dans la route, pour tenter de la féduire. Il me fuffit de dire que tous fes difcours furent vains, & qu'il remit Pauline dans l'Hô el garni de la rue de Richelieu. Là,tout étoit bien changé depuis douze ans. Ses anciens hôtes avoient été remplacés par des héritiers, qui ne connoiffoient que par tradition l'aventure de Pauline, & qui lui donnèrent une chambre commn à une étrangère dont ils fe méfioient ue peu. Elle s'y renferma toujours feule, gémiffante, & ne fachant que devenir avec un petit paquer de hardes & une vingtaine d'écus dans fa bourse..

Pauline ignoroit que des milliers de femmes arrivent à Paris, avec moins de beauté, moins de talens, & moins de fortune qu'elle, & que ces femmes y mènent bientôt une vie fplendide; elle ignoroit combien une jolie perfonne peut trouver de reffources dans cette ville corruptrice; mais quand elle l'auroit fu, elle n'en auroit pas été plus contente.

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Il y avoit prefque une femaine entière que pauvre Pauline fe défefpéroit dans fon

Hôtel, lorsqu'on y vit defcendre d'une magnifique berline une Dame affez âgée. Scs gens répandirent dans la maifon, que leur Maîtreffe venoit de Flandre; & elle-même demanda, un ou deux jours après fon arrivée, fi ce n'étoit pas par hafard l'endroit où avoit autrefois logé Madame Vindrek? A la réponse qu'on lui fit, on crut qu'elle Le pâmeroit de joie; & lorfqu'elle fur que Pauline étoit dans l'Hôtel, elle courut ellenrême à fa chambre, & lui fauta au cou, en l'appelant fa chère nièce. - » Voilà » difoit elle, voilà le vrai portrait de mon» frère. Pauvre frère ! il mourra de plaifir » en revoyant fa fille « ! Pauline crut d'abord que c'étoit un fonge: mais les vifs embraffemens de la Dame la raffrèrent & la pauvre enfant lui rendit tendrelle pour tendrelle.

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Au bout de deux ou trois jours, la Dame raconta à Pauline qu'elle avoit écrit à fon frère pour l'engager à venir joindre fa fille retrouvée ; & qu'en attendant elle alloit louer une maifon, où elles demeureroient enfemble, parce qu'elles pafferoient l'hist à Paris. En effet, la maifon fut bientôt vne & agréée, & la nouvelle tante & la nièce s'y établirent.

Là elles vécurent d'abord d'une marière affez retirée; mais bientôt elles reçurent la vifite de plufieurs perfonnes de haute qualité. Madame Rouart, car c'est infi que fe nommoit la tante, Madame.

Rouart avoua à Pauline qu'elles étoient elles mêmes d'une grande Maifon, & quefa chère nièce devoit prétendre à un mariage très-avantageux. Elle n'étoit plus occupée que de cette enfant; elle vouloit la doter de tout fon bien; elle lui faifoit fans ceffe cadeau de quelque parure nouvelle; elle la conduifoit aux Spectacles, aux Bals, aux Promenades, par tout où elle croyoit que Pauline s'amuferoit.

Parmi les afpirans au cœur de Pauline, étoit un jeune homme nommé M. de Vaulamon, qui l'ayant vue à l'Opéra, en étoit devenu éperdument amoureux. Il fe fit préfenter chez Madame Rouart : bientôt après il déclara fa paffion, & il eut le plaifir d'entendre l'ingénue Pauline lui avouer qu'elle n'y étoit pas infenfible. Mais en même temps elle confeffa tout à Madame Rouart. Madame Rouart étoit bonne, généreufe, approuvant tout ce qui plaifoit à fa nièce, & elle fut enchantée de cet aveu. Elle affura même que fon frère ne manqueroit pas d'y donner les mains, & que les deux Amans pouvoient d'avance fe regarder comme époux.

J'ai oublié de dire que Madame Rouart, diftraite par fes affaires, avoit laiffé quel-: quefois Pauline en tête à tête avec des Meffieurs qui lui rendoient vifite; que ces Meffreurs avoient offert très refpectueulement à la jeune perfonne, leur main & des pleines bourfes d'or, & qu'elle en avoit été

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