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fe fervoient Ménandre & Térence, ou plu» tôt Aristophane (1), & qui étoient ici beau » coup moins convenables «.

Il continue de jouer fur cette idée des armes, fur le carquois d'Ovide, dont il peut décocher les traits,, & qui eft du moins préférable aux inftrumens de cuifine que Térencemet à la main de ceux qui affiègent la maison: de Thais (2). Il quitte enfin ce ftyle métapho→ rique, pour fe jeter dans des fophifmes, fur lefquels le préambule qu'il vient de faire, montre affez qu'il ne fe faifoit pas illufion..

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Si l'on defire un aveu plus pofitif, le voici dans cette réponfe naïve & touchante qu'il fait à des reproches affaifonnés de toute la dureté & de toute la hauteur académique. Moi qui fouffre volontiers, mais non fans quelque » douleur, qu'on veuille me guérir de mon ignorance, je dirai au Médecin Je fuis ma"lade pour avoir trop goûté dans mon jeune nage la douceur des alimens de l'efprit, & » parce que j'ai pris l'affaifonnement pour la » nourriture (3). Cependant vos remèdes font "trop défagréables; je crains qu'ils ne me » trompent pas affez pour que je veuille les. prendre. Quel nouvel art de guérir, & quel » nouvel artifice que de frotter le vale aved. » du fiel, au lieu de miel, pour qu'il ne foit "pas rejeté par le malade (4) « 2.

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(1) C'est-à-dire, celles de la plaifanterie & du farcalme.

(2) Voyez Terence, Eunuch. A&t. IV, Sc. VII.. (3) Prendendo il condimento per nudrimento. (4) Allufion à la belle comparatfon de Lucrèce,,

On peut juger dès à préfent s'il faut regar der comme un Chef-d'œuvre fans défauts, un Ouvrage où l'Auteur lui-même voyoit tant d'imperfections, & que dans un âge plus avancé, il nommoit les jeux de fa jeuneffe (1`. On peut juger fi Boileau, avec la jufteffe & la févérité de fon goût, mérite des reproches pour avoir apperçu dans la Jérufalem délivrée, lef traces de ce goût exceffif pour la douceur des ali mens de l'efprit, & de cette habitude dange reufe de prendre Paffaifonnement pour la nourriture. Jetons maintenant un coup-d'œil rapide fur chacune de fes accufations: voyons fi le Mitre & l'ami de Racine a bien ou inal ap¬ précié Le Taffe.

1°. Le bon fens n'eft pas toujours ce qui domine chez lui. Le bon fens eft cette fageffe qu'Ho race appelle le principe & le fondement de FArt d'écrire (2); c'cft ce jugement exquis ennemi de tout excès, de toute affectation, de toute recherche, qui retient toujours dans de juftes bornes l'efprit le plus fubtil & l'imagination la plus féconde; c'eft enfin cette qua. lité précieufe dont il paroît que la Nature avoit fait l'un des principaux attributs de l'homme & qu'il ne parvient même à étouffer qu'à force

qu'il avoit déjà fi heurcufement employée dans fon premier Chant:

Cosi a l'egro fanciul, &c.

(1) Gli Sherzi dell'età più Giovanile.

Au commencement de fon Difcours intitulé Del Giuditio.

(2) Scribendi reétè fapere eft principium & fons, De Art. Post.

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de foins & d'étude. Le bon fens brille d'un doux éclat dans tous les bons Auteurs de P'Antiquité, parce que les Anciens vivoient plus près de la Nature, qu'ils la confultoient feule, & qu'ils n'empruntoient, pour la peindre, d'antres couleurs que celles qu'elle leur fournissois elle même : mais il ne fe trouve que rarement parmi les Modernes, parce que dans toutes les Nations, les Auteurs fuivent plutôt le goût national que la voix de la Nature, & que ce goût y eft, comme les mœurs un composé bizarre de corruption, de préjugés, & de barbarie.

Pen d'Auteurs ont affez de force pour s'ifoler de leur Nation & de leur Siècle. Dans le fiècle où Le Taffe écrivoit, l'Italie étoit infectée de bel efprit & de philofophie fcholaftique. Pétrarque avoit créé pour ainfi dire, un fpiritualifine, une myfticité d'amour, fur lefquels on fe piquoit encore de renchérir. Les Petrarquiftes, qui n'avoient pas le génie de leur modele, ontrèrent fes défauts, au point d'être le plus fouvent inintelligibles pour eux-mêmes. Pétrarque & fes imitateurs avoient fait paffer dans leur Langue une foule d'expreffions précieuses & recherchées, qui peut-être alors étoient trop fréquentes pour ne pas fembler naturelles mais dont l'Italie elle-même eft bien défabufée aujourd'hui. Les premières Poéfies du Taffe, prouvent affez que, malgré la fupériorité de fon efprit, il fut loin de fe. garantir des défauts brillans de fon Siècle.

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En commençant fa Jerufalem, il fe propofa fans doute de changer fa manière & d'imiter dans fon ftyle, comme dans plufieurs de fes inventions, & dans le tiffu de fa Fable, Homere & Virgile qu'il étudioit fans ceffe, & dont il ne

parloit qu'avec enthoufiafme. Mais on fait fe pouvoir qu'ont fur l'efprit comme fur le corps, les premières habitudes. Malgré tous fes efforts on ne voit que trop fouvent dans fon Poëme au milieu des plus grandes beautés de ftyle, de malheureux veftiges de fon vice originel.

Les Poëmes Romanefques ou Romans Epis ques, qui avoient inondé l'Italie, depuis le Morgante jufqu'au Roland furieux, avoient auffr femé dans la Langue & dans les imaginations italiennes, une foule d'expreffions & d'idées, ennemies du bon goût & du bon fens. Nourri dès fa jeuneffe, de la lecture de ces Ouvrages, au point d'avoir pu lui-même, dès l'âge de 17 ans, figurer parmi les Poëtes Romanciers malgré les notions faines qu'il acquit enfuite fur la véritable Epopée, il lui fut impoffi ble de ne pas conferver dans un Poëme Epique quelques-uns des défauts qu'il s'étoit habitué à excufer, & même à imiter, dans les Ro mans de Chevalerie.

La philofophie du Taffe étoit celle d'Ariftote réunie à celle de Platon. Il avoit appris, dans le premier de ces Philofophes, toutes les fineffes & même les fubtilités de la dialectique : Parme du fophifme lui étoit familière. Dans fes Ouvrages en rofe, il s'en fert quelquefois d'une manière que l'Ecole avoue peutêtre, mais que le bon fens réprouve. Il eft affligeant, par exemple, qu'un auffi beau génie defcende à des puérilités telles que celle-ci. Pour élever le Roland furieux au rang des Poëmes héroïques, l'Académie avoit pris le parti de dire » Poëme héroïque & Roman, c'est tout un. Ce qui n'eft ni tout ni un, répond Le Taffe ne peut être tout un or le 2 Poëme de l'Ariofte n'eft ni tout ni un donç

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il ne peut être tout un avec un Poëme heroïque (1). Lorfque dans un Ouvrage de difcuffion, & dans la maturité de l'âge (2), un Auteur fe permet de raifonner ainfi, il n'eft pas étonnant que dans un âge plus tendre, & dans un Ouvrage de pure imagination, il ait pu fe fouftraire quelquefois aux févères loix du bon feas.

Il avoit appris de Platon à fe livrer aux méditations contemplatives, & fon ame naturellement élevée avoit facilement reçu l'empreinte du bean moral, tel que l'avoit fi bien conçu & fi éloquemment exprimé le plus grand des Philofophes. Ce fut à fon exemple qu'il compofa des Dialogues, où l'on trouve fouvent des beautés dignes de fon Maître; mais qui plus fouvent encore font défigurés par des pointilleries fcholaftiques, dont ceux de Platon même ne font pas toujours exempts. Son Poëme eft rempli des traces du Platonifme on les reconnoit fouvent à la nobleffe, à la beauté idéale de fes penfées & de fes maximes; mais. on les reconnoit aufli à cette métaphyfique amoureuse que Pétrarque avoit mife à la mode,

(1) L'Infarinato, chargé par l'Académie de répliquer au Taffe, fe moque affez plaifamment de ce mauvais fophifme, par un autre plus bizarre & plus mauvais encore, mais qui n'en va que mieux à fon but. Pour Fentendre, il faut le rappeler que Taffo, en Italien, fignifie auffi un blaireau: » Vous » êtes il Taffo, dit l'Académicien, cependant vous » n'êtes ni il ni Taffe; car fi vous étiez il, vous » feriez un article, & fi vous étiez Taffo, vous » feriez une bête «.

(2) Il avoit alors 41 ans..

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