Page images
PDF
EPUB

» Mort une partie de fes droits en baifant ces » lèvres livides & flétries. Bouche compatif» fante, qui, pendant ta vie, confolois ma douleur par tes difcours, qu'il me foit permis, avant mon départ, de me confoler par quelqu'un de tes chers baifers. Et peut-être alors, fi j'avois été affez hardie pour le demander, m'aurois - tu donné ce qu'il faut » maintenant que je vole. Qu'il me foit per

[ocr errors]

כם

mis de te preffer, & enfuite que je verfe » mon ame entre tes lèvres «! Où est la décence? où eft la Nature? où eft le pathétique?

Quelle peinture devoit être plus touchante & plus terrible que celle du défefpoir d'un Amant qui, pendant la nuit, tue, fans la reconnoître, une Maîtreffe adorée ? Voyez Tancrède, prêt à baptifer Clorinde, qu'il a blessie à mort. Il ne meurt pas, parce qu'il recueille en ce moment toutes fes forces, qu'il les met en garde auprès de fon cœur & que réprimant fa douleur, il s'occupe (1) à donner la vie avec l'eau, à celle qu'il a tuée avec le fer. Des François qui arrivent, le trouvent mourant & l'emportent avec Clorinde, (2) à peine vivant en foi, & mort en elle qui eft morte. Lorfqu'il revient à lui, & qu'il fe retrouve dans fa tente au milieu de fes amis, il fe répand en plaintes qui devroient arracher des larmes. Mais comment ne feroient-elles pas féchées par cette froide apostrophe à fa main ? (3) » Ah!

(1)

A darfi volfe
Vita con l'acqua a chi col ferro uccife.
(2) In fe mal vivo, e in lei morto che è morta,

(3) Ahi man timida, e lenta, &c.

Ch. XII, St. 75 & faiv.

دو

[ocr errors]

main timide & lente, toi qui fais tous les » moyens de bleffer, toi impiè, & infame mi»niftre de la mort, que n'ofes-tu maintenant trancher le fil de cette vie coupable? Perce ma poitrine, & fais avec ton fer barbare éprouver » un cruel fupplice à mon cœur ; mais peut-être » habituée à des actions atroces & impies, regardes-tu comme un acte de pitié de donner » la mort à ma douleur «. Après quelques mouvemens plus paffionnés, mais où l'on ne voir pas encore l'expreffion d'un véritable défefpoir; il demande où eft le corps de Clorinde; peutêre eft-il la proie des bêtes féroces ? » Ah! 35 trop noble proie! ah! trop douce, trop chère, & trop précieufe pâture! Ah! reftes » malheureux, contre qui les ombres & les fo» rêts ont irrité moi d'abord, & enfuite les bêtes fauvages ! J'irai où vous êtes, & je » vous aurai avec moi, fi vous exiftez enco»re, ô dépouilles chéries! Mais s'il arrive que fes membres fi délicats aient raffafi: des appetits féroces, je veux que la même gueule m'engloutiffe, je veux être enfermé dans le » ventre qui les renferme; tomb. honorable » & heureuse pour moi, quelque part qu'elle puiffe ête, s'il m'eft permis d'y être avec

33

[ocr errors]

» enx «!

Comment, lorfqu'on eft habitué aux beautés vraies d'Homère & de Virgile, pourroit - on pardonner de pareils traits d'efprit? Comment pourroit-on fe fentir ému par de pareilles plaintes, ou par celles-ci, qui viennent bientôt après ? O mes yeux, auffi impitoyables que ma » main! elle a fait les plaies, vous les regardez ! vous les regardez fans pleurer! Ah! gue "mon fang coule, puifque mes pleurs refufent » de couler «! Ou enfin par cette apoftrophe au

tombeau de Clorinde? » O marbre fi cher & fi » honoré (1), qui as au dedans de toi mą » flamme, & au dehors mes pleurs; non, tu n'es » point la demeure de la mort, mais des cen» dres vivantes où repofe l'amour, & je fens » que tu rallumes dans mon cœur fes feux ac » coutumés, moins doux, mais non moins brû»lans. Ah! prends mes foupirs, & prends ces

"

baifers que je baigne d'une eau douloureuse; » & puifque je ne le puis moi-même, donné»les du moins à ces reftes chéris, que tu as » dans ton fein, &c. &c.

Quel moment pour l'expreffion & pour le pathétique, que celui où Armide eft quittée pare Renaud Elle qui naguère avoir à fes ordres rout l'empire d'amour, qui vouloit être aimée, & qui haiffoit les Amans, qui n'aimoit qu'elle, ou qui n'aimoit en autrui que l'effet du pouvoir de fes yeux, maintenant méprifée, trahie, abandonnée, fuit celui qui la fuit & la méprife, & tâche d'orner par fes larmes le don de fa beauté refufé pour lui-même. Ni la glace, ni les rochers efcarpés ne peuvent arrêter fes pieds délicats. Elle envoie devant elle fes cris pour messagers; & elle ne le joint que lorfqu'il a joint le rivage (2). Forcenée, elle s'écrie: O toi qui emportes avec toi une par»tie de moi-même, & qui en laiffes une partie, » ou prends l'une, ou rends l'autre, ou donne

(1) O faffo amato, ed honorato tanto Che dentrohai lemie-fiamme e fuori il pianto. Ibid. St. 96 & 97.

(2) E invia per messagieri inanzi i gridi

Ne giunge lui, prià ch'ei fia giunto a i lidi.

» en même temps la mort à toutes les deux. Elle arrive auprès de Renaud, & avant de lui parler, elle foupire (2), » comme un Muficien

[ocr errors]

כן

habile, qui, avant de chanter, prélude tout » bas ,pour préparer l'attention de fes Auditeurs. Elle le prie de l'emmener captive. Que ton camp, lui dit-elle, ajoute à tes autres éloges (3) celui de t'être joué de celle qui s'étoit jouée de toi. Je te fuivrai dans les combats: je ferai ce que tu voudras, ton Ecuyer, ou » ton écu (4) ∞. Renaud s'arrête, mais il réfifte & remporte la victoire: (5); l'Amour trouve » en lui l'entrée fermée; & les larmes, la fortię. L'Amour n'entre pas pour renouveler » d'anciennes flamnies dans fon fein que la raifon » a glacé «. Il répond avec douceur, mais avec fagelle; auffi Armide lui dit elle: » (6) Ecoutez » comme il me confèille : écoutez ce chafte Xé » nocrate comme il parle d'amour «! Ce nom d'un Philofophe Grec ne fied-il pas bien dans la bouche d'Armide?

Je fais que la plus grande partie de cette Scène

(1) O prendi l'una, ò rendi l'altra, è morte Da infieme ad ambe.

(2) Qual mufico gentil, &c.

(3) Che la tua fchernitrice habbia fchernito.

(4) Ecu, bouclier, fcudo.

(5)

Sarò qual più vorrai fcudiero ò fcudo.
E inlui trova impedita
Amor l'entrata, il lacrimar l'ufcita.
Non entra amor a rinovar, nel feno
Che ragion congelò, la fiamma antica.
(6) Odi, come configlia, odi il pudico
Senocrate, d'amor come ragiona..

Dƒ/

eft écrite différemment, & qu'on en pourroi citer plufieurs tirades affez longues, où la paf fion parle fon véritable langage; mais la plupar font imitées de Virgile, & l'on pardonne d'autant moins au Talle d'avoir dans quelques-uns de fes vers fait fi mal parler Armide, qu'il avoi alors Didon fous les yeux ou dans la mémoire.

5. Il est plein d'images trop feuries, de tours affectes, de pointes & de penfees frivoles Ce peu de mots me fourniroit bien des pages fi je voulois feuilleter la Jerufalem délivrée d'us bout à l'autre, & citer tout ce qui les juftifie Je me contenterai de quelques exemples.

Images trop fleuries. Armide, à qui Godefro refufe le fecours qu'elle lui demande verfe des larmes, telles que celles qui font produites par la colere mêlée à la douleur. » Ses larmes naiffantes reffembloient(1) à du criftal & à de perles frappés des rayons du foleil. Ses joues humides(2)étoient comme des fleurs vermeille » & blanches tout enfemble, qu'arrofe un nuag de rofée, lorfqu'au point du jour elles ou vrent leur fein au doux zéphyr, & que l'Aub

(1) E le nafcenit la grime a vederle Erano a'rai del fol cristalli e perle.

(2) Parean vermigli insieme e bianchi fiori,
Se pur gli irriga un rugiadofa nembo,
Quando fu l'apparir de' primi albori
Spiegano a l'aure liete il chiufo grembo ;
E l'alba, che gli mira e fe n'appaga,
D'adornarfene il fen diventa vaga.

« PreviousContinue »