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du feu (1), & que le Poëte s'ecrie: » O miracle >> d'amour, qui tire des étincelles, des larmes, » & qui enflamme les cœurs dans l'eau ! Ses ruses mettent en fen tout le camp des Chrétiens. Elle intimide les uns, encourage les autres, » & enflammant leurs défirs amoureux, >> enlève la glace qu'avoit amassée la crainte (2) c. Enfin les faisant à chaque instant changer d'état, elle les tient toujours dans la glace & >> dans le feu, dans les ris & dans les pleurs, » entre la crainte & l'efpérance (3) «.

Senape, Roi d'Ethiopie, étoit éperdument amoureux de sa femme, & dans lui (4) » les > glaces de la jaloufie égaloient les feux de l'a

mour : mais voici bien autre chose. La Reine étoit noire, elle accouche d'une fille blanche; cette fille eft Clorinde, à qui le vieil Arfète raconte cette histoire. Votre mère, lui dit-il, ré folut de vous cacher au Roi son époux,

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qui la blancheur de votre teint eût pu paroître >>> une preuve contre la candeur de fa foi (5)

(1) Ma il chiaro humor

...............

Opra effetto di foco.
O miracol d'amor, che le faville
Tragge del pianto, e i cor ne l'aqua accende!

(2) Ed infiemmando l'amorose voglie

Sgombra quel gel che la paura accoglie.

(3).

(4)

In ghiaccio, e in foco

In rifo e in pianto, e fra paura espene.

E de l'amore al foco

)

Ben de la gelofia s'agguaglia il gelo.
(5) Ch'egli havria del candor che in te fi vede
Argomentato in lei non bianca fede.
J'ai été obligé de mettre l'inverse de ce jeu de

mots pour le faire un peu entendre.

On retrouve ce goût pour les pointes, dans les récits, dans les difcours, dans les descriptions; mais c'est sur-tout, il faut l'avouer, dans le caractère d'Armide, que Le Tasse paroît avoir pris à tâche de les femer avec profusion. Soit qu'il parle d'elle, foit qu'il la fasse ou parler ou agir, les jeux de mots les plus recherchés viennent d'eux-mêmes se placer dans fes vers. Il semble qu'en peignant cet être fantastique, il n'ait pas cru devoir un moment parler le langage de la Nature; ou plutôt il semble que cette Magicienne l'a lui-même touché de sa baguette, & qu'elle a jeté sur ses pensées & fur fon style un charme mal-faisant qu'il ne peut rompre.

Nous en avons déjà plusieurs fois remarqué l'influence; mais si l'on veut la voir dans toute fa force, il faut jeter les yeux fur Renaud aux pieds d'Armide, & prêter l'oreille à fes galanteries amoureuses. Il tient devant elle un miroir (1): > Ils regardent tous deux, elle avec des yeux >> rians, lui avec des yeux enflammés, un feul > objet en différens objets. Elle se fait du verre >> un miroir, & lui se fait deux miroirs des > yeux fereins de sa Maîtresse. L'un se glo

rifie de son esclavage, l'autre de fon empire, >> elle en elle-même, & lui en elle. Tourne > lui disoit le Chevalier, ah! tourne vers moi > ces yeux où je lis ton bonheur & le mien (2): car fitu ne le fais pas, mes feux font le vrai > portrait de tes beautés. Mon fein retrace mieux >> que ton cristal, leur forme & leurs merveilles. >> Hélas! puisque tu me dédaignes, que ne peux

(1) Con luci ella ridenti, ei con accefe, &e. Ch. XVI, St. 20 & suiv.

(2) Onde beata bei. Jeu de mots impossible à

rendre..

>> tu, du moins, voir ton propre visage >> dans toute sa beauté ! Ton regard, qui ne >> trouve point ailleurs de quoi se fatisfaire, joui >> roit & feroit heureux en se retournant fur >> lui-même. Un miroir ne peut rendre une si >>> douce image, & un paradis n'est pas ren>> fermé dans une petite glace: le ciel est un >> miroir digne de toi, & c'est dans les étoiles >> que tu peux voir tous tes charmes «.

Ces deux Amans se retrouvent à la fin du Poëme dans une position fort différente; inais ils n'ont point changé de style, & le désespoir d'Armide n'est pas moins prodigue de pointes, que l'étoit l'amour de Renaud Ils se rencontrent au milieu d'un combat. Il change un peu de visage; elie devient de glace & enfuite de feu (1), Elle lance plusieurs traits contre Renaud; tandis qu'elle les darde, l'Amour la bleffs (2). Elle craint que le corps de fon perfide ne soit invulnérable comme fon cœur (3). » Peut-être ses >>> membres sont-ils revêtus du même marbre > dont il a fi bien endurci son ame; les coups

&

d'œil ni les coups de main ne peuvent rien fur >> lui «. Enfin elle s'enfuit seule du champ de bataille. Elle s'en va ; » (4) le courroux & l'Amour

:

(1) Ella fi fa di gel, divien poi foco.

(2) E mentre ella faetta, amor lei piaga.
(3) l'eftirebbe mai forfe i membri fui

(4)

Di quel diaspra ond'ei l'alma ha si dura?
Colpo d'occhio ò di man non puote in lui.

..........

E van feco par auco

Sdegno ed amor quafi duo veltri al fianca. On doit observer que veltro en Italien est moins bas que chien de chaffe en François: austi n'est-ce pas ta baffefle de l'expreffion que je reprends ici.

» s'en vont avec elle, comme deux chiens de >> chaffe attachés à ses flancs. Elle veut se tuer elle-même: elle s'adresse à ses flèches, & les invite à percerum cœur où celles de l'Amour ne tirent jamais en vain. >> (1) Puisqu'aucun autre >> remede n'est bon pour moi, dit-elle en fi>> niffant, & qu'il ne faut que des blessures à > mes bleffures, qu'une plaie de mes flèches >> guérisse la plaie d'amour : & que la mort >> soit un remède pour mon cœur <«.

Il est temps de terminer ces fatigantes citations. Jufqu'ici elles ont eu pour but de défendre l'opinion de Boileau. En les multipliant, je paroîtrois ne vouloir qu'obscurcir la gloire du Tasse; & je suis assurément bien loin de ce dessein. Il me fuffit d'avoir démontré, comme je crois l'avoir fait, que le jugement de Defpréaux est juste dans tous les points, & de pouvoir conclure avec lui, que tout cela op>> posé à la sagesse, à la gravité, à la majesté de >> Virgile, n'est autre chose que du clinquant op>> pose à de l'or«.

Mais tout le Poëme est-il écrit ainfi? Non fans doute; car s'il l'étoit, il ne vaudroit pas même les frais d'une discussion; il ne mériteroit pas que son Censeur le plus sévère eût reconnu dans l'Auteur un génie fublime, élevé, heureusement né à la Poésie & à la grande Poésie. Il ne mériteroit pas enfin l'éloge que j'en ai fait pour développer cette partie favorable du jugement de Despréaux, éloge que je suis

(1) Poi ch'ogn'altro rimedio è in me non buono,
Se non fot di ferute a le ferute,
Sani piaga di stral, piaga d'amore,
E fia la morte medicina al core.

loin de rétracter, & qu'il me feroit facile d'étendre davantage. Mais enfin des exemples pareils à ceux que j'ai cités, se rencontrent fouvent dans ce Poëme. Plus il a d'ailleurs de beautés, plus ces exemples feroient dangereux pour des Lecteurs dont le goût ne feroit pas formé. Il m'a paru nécessaire d'examiner une fois férieusement ce qu'on avoit si souvent loué ou blâmé sans examen; & fur-tout de justifier la décision de celui de nos Poëtes du XVII. fiècle qui honore le plus notre Nation aux yeux des Etrangers, & qui a eu, parmi nos Compatriotes & nos Contemporains, les plus violens & les plus injuftes détracteurs.

Dans une Epître à Boileau, qui commence par ces deux vers inconcevables:

* Boileau, correct Auteur de quelques bons Ecrits Zoïle de Quinaut, & flatteur de Louis, &c.

Voltaire eut donc grand tort de dire:

Si ton goût trop sévère a pu désapprouver
Du brillant Torquato le féduisant Ouvrage,
Entre Homère & Virgile il aura mon hommage.

Il eut tort de faire, sur un fi grand Poëre que Le Taffe, un aussi mauvais vers que le second: 'il eut tort de lui assigner le rang qu'il lui donne dans le troisième. Pour être placé entre Homère & Virgile, il faudroit être au dessus de l'un des deux; & c'est ce que fans doute Voltaire lui-même ne pensoit pas: mais parmi les Anciens, il feroit injuste de préférer au Tasse, Lucain, Stace ou Silius; parmi les Modernes Le Camoëns, malgré plusieurs morceaux fublimes, oft loin de pouvoir lui être comparé;

e

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