Oui, j'accepte votre couronne, AU PUBLIC. Messieurs, agréez-en l'hommage, Ces Couplets ont été fort applaudis. M ne faut juger ces petites Productions que dans l'intention qui les a fait naître; & c'est ici que la sévérité seroit absolument déplacée. On a dit depuis long-temps au Public tout ce qu'on pouvoit avoir à lui dire; peut-être seroit-il temps de renoncer à lui adresser des fadeurs, & de s'en tenir à lui prouver son zèle par l'intelligence & par l'étude. THEATRE DE MONSIEUR. L E Lundi, 27 de ce mois, on a donné à ce Théatre, Orgon dans la Lune, imitation del Mondo della Luna, Opéra Bouffon, que l'on trouve dans les Œuvres de M. Goldoni, & qui a été mis en musique par le célèbre Paisfiello, sous le titre de 11 Credulo delufo. C'est la musique de ce Maître qu'on a parodiée. a Un Vieillard, entiché d'Affrologie, deux fœurs dont il est Tuteur, & qu'il refuse de marier. Leurs Amans se proposent de profiter de l'ineptie & de la crédulité d'Orgon, pour arracher fon consentement. L'un d'eux s'introduit dans fa maison comme un Savant, & parvient à lui perfuader qu'il peut le faire voyager dans la Lune. Il est aidé dans ce projet par une Gouvernante qui s'est mis en tête d'époufer le Vieillard, par l'Amant de la jeune fœur, qui prête sa maifon, & par plusieurs fubalternes. On donne à Orgon un fomnifère. Pendant fon fommeil, on le transporte dans un jardin qu'on a eu soin d'arranger d'une manière fantastique. Il se croit dans l'Empire de la Lune. L'Impératrice, qui n'est autre que sa Gouvernante Lifette, parvient à le féduire à force de belles promeffes. Il consent à l'époufer; il signe aussi le contrat de sa sœur aînée avec le Philosopke qui lui a procuré eette belle fortune, & celui de la jeune avec le prétendu Empereur. Quand il s'est engagé sans retour, on le défobuse. Le, caractère difficile & jaloux de la fœur aînée produit encore dans la Pièce quelques incidens dont nous ne parlons pas. Cet Ouvrage, qui participe un peu à l'invraisemblance de l'original, eft écr d'ailleurs avec efprit, mais conçu & dialogué trop longuement. Quelques expreffions, à la première représentation ont paru de mauvais goût, qui peut-être auroient été fort applaudies si l'ennui n'avoit pas mal disposé l'esprit des Spectateurs. On los a retranchées aux représentations suivantes; on a fait beaucoup de coupures, & les Scènes, devenues plus rapides, ont infiniment mieux réufi. On délireroit encore que l'Auteur fit quelques sacrifices dans la musique, comme il en a fait dans ses paroles. Ce n'est pas que chacun des motceaux isolés ne foit fort beau, mais ils ne font pas toujours heureusement placés, & plusieurs font languir l'action: on ôt reit ainfi un peu de monotonie, & les morceaux conservés reffortiroient davantage. On peut aussi reprocher à l'Auteur de n'avoir pas terminé tous ses Actes par des finals, comme dans la Pièce originale. Après un morceau d'ensemble, un air feul, fi beau qu'il soit, fait toujours beaucoup moins d'effer. Au reste, cette Pièce a déjà obtenu à Versailles, & dans quelques villes de Prevince, un succès affez grand pour juftifier le choix qu'en a fait l'Administration du Théatre de MONSIEUR, & pour lui en faire efpérer un pareil à Paris. Cette Musique a été écrite par Paifiello environ trois ans ayant la Frascatana qu'il fit pour une autre ville. Il empleya, dans ce dernier Ouvrage, plusieurs morceaux qui appartenoient au premier. Les plus remarquables font le rondeau qui commence le second Acte d'Orgon, & l'air des Echos qui fe trouve au troisième. On auroit donc tort de reprocher ce double emploi à l'Auteur de cette Traduction. Plusieurs nouveaux Sujets ont débuté avec succès dans cette Pièce; 1°. Mde. Hédoux de Verteuil, qui, dans l'emploi des Duègnes, joint au talent d'Actrice consommée celui de Chanteuse excellente. Sa voix est fraîche, flexible, naturelle, & n'a aucun des défauts qu'on reproche avec raison à l'Ecole Françoise. Son jeu est plein de feu, d'intelligence & d'esprit. Cette réunion de qualités aussi précieuse que rare, la rend une des meilleures acquifitions que ce Théatre ait pu faire. 2o. M. Gavaux, qui joue les Amoureux & chante le tenore: sa voix est très-agréable & d'un timbre charmant; il la conduit avec adresse, & montre en général infiniment de goût. Attaché à un Théatre qui lui offre d'excellens modèles, & avec l'intelligence qu'il montre, il faut espérer qu'il ne fera que perfectionner encore fon talent, & qu'il n'abusera pas de son extrême facilité. 3o. M. Deschamps, Baffe-taille comique. Son rôle est trop peu important dans cette Pièce, pour qu'on puiffe l'apprécier à sa juste valeur. Cependant il y donne de lui une idée avantageuse. Sa voix a paru franche, fonore. On voit qu'il est bon Muficien, & comme Acteur, il annonce beaucoup d'entente de la Scène. Les autres Acteurs déjà connus du Public, méritent ausli des éloges, & particulièrement M. Fleury, qui fait varier sa manière dans les différens rôles, & qui a saisi parfaitement celui d'Orgon. Le retard qu'a éprouvé cet Article, nous force à renvoyer au prochain No. quelques ✓ détails sur les deux dernières Pièces données à ce Théatre; savoir: Le Confeil imprudent, Comédie en deux actes, de M. Paillardelle, dans laquelle il joue lui-même le principal Rôle; & l'Impresario in Anguftie, Opéra Bouffon Italien, musique del Signor Cimarofa. Nous nous contenterons d'annoncer que ces deux Ouvrages ont réuffi complètement, & nous observerons que ces deux fuccès sont remarquables par deux raisons contraires; l'un, parce qu'il est le premier qu'on puisse citer à ce Théatre dans le genre de la Comédie; & l'autre, parce qu'il est le quatrième de suite, ce qui, dans tous les Théatres, n'est pas fort commun. M. Paillardelle, qui a déjà débuté à Paris en 1772 avec beaucoup de succès, mérite, comme Acteur, une mention particulière, & que nous donnerons en parlant de son Ouvrage dans le prochain No. |