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» pas de l'adopter dans tous les pays, ni d'espérer qu'elle y réalise toutes » les conditions d'une bonne justice.

Outre son inefficacité pénale, M. Baltrani Scalia avait reproché à la transportation l'absence de ses résultats économiques et sur ce point encore les faits et les chiffres donnaient complètement raison au jurisconsulte italien. On ne tarda pas du reste en France à voir combien ces critiques étaient justes et bien fondées. En 1885, M. de Lanessan dans son rapport sur le budget des colonies, puis dans son savant et beau livre sur l'« Expansion coloniale de la France », constatait le peu de services rendus à la Guyane et à la Nouvelle-Calédonie par les forçats. En 1886, M. Léveillé, revenant d'un voyage à la Guyane, confessait que la situation n'était pas brillante et il signalait comme l'une des principales causes de cette situation la condition faite aux convicts qui logés, nourris et vêtus par l'administration, croupissaient dans l'oisiveté. Dans une série d'articles parus dans le journal le « Temps », le brillant professeur après avoir signalé les vices de notre organisation pénitentiaire coloniale, démontrait la nécessité qu'il y avait à la modifier si l'on voulait clore la période déjà trop longue des mécomptes et des déboires.

Ce cri d'alarme poussé par deux hommes d'un talent et d'une autorité aussi considérables que MM. de Lanessan et Léveillé émut les pouvoirs publics. Au Sénat plusieurs membres déposèrent une proposition qui tendait à la révision de la loi de 1854. De son côté, le Gouvernement ne restait pas inactif, et dans les premiers mois de 1887, M. Etienne, prenant la haute direction de l'administration des colonies, faisait mettre à l'étude la question de la révision des divers règlements régissant la transportation. Par ses soins, une commission fut réunie pour préparer la nouvelle législation. Cette commission, composée de jurisconsultes, de magistrats et de fonctionnaires connaissant à fond notre organisation pénitentiaire coloniale, s'est successivement occupée de la question des libérés, du régime pénal et disciplinaire, des engagements des condamnés par les particuliers, du régime des concessions, etc. Elle a formulé sur ces divers points des projets de décrets qui ont été adoptés ou qui sont sur le point de l'être. Les réformes qui ont été introduites dans la législation pénitentiaire coloniale répondaient à une nécessité évidente, et d'ores et déjà l'on peut prédire qu'elles exerceront sur l'avenir de la colonisation pénale une influence décisive, si surtout l'administration de la Guyane et de la NouvelleCalédonie sait en tirer parti et si elle rompt en visière avec des procédés que l'expérience a condamnés.

L'insuccès de la colonisation pénale depuis 1854 ne doit pas en effet être attribuée seulement à l'insuffisance des règlements, mais à la mauvaise direction donnée par les administrations locales aux forces de la transportation.

C'est cette vérité que nous nous sommes proposé d'établir en publiant cette étude. En suivant l'histoire de la colonisation pénale depuis 1854, on verra que si sa marche a été si chancelante et si hésitante, c'est que l'on a toujours procédé sans méthode, sans aucun plan, au petit bonheur. Or, comme le disait récemment, à la tribune de la Chambre, M. le Ministre des Affaires étrangères: « Sans persévérance et sans esprit de suite, on ne << fonde rien de grand dans le monde. (1) »

En écrivant cette étude, nous avons voulu aussi détruire cette opinion trop complaisamment acceptée que si la colonisation pénale a échoué en Guyane la faute en est au climat de ce pays. Pas plus que le désastre de Kourou, l'échec des entreprises pénitentiaires ne peut être imputé à la Guyane.

(1) Séance de la Chambre des Députés du 4 novembre 1890.

A une utilisation plus intelligente de la main-d'œuvre pénale, nous voudrions voir l'administration pénale joindre une plus grande rigueur et moins de ménagements vis-à-vis des forçats.

Il est temps de mettre un terme à une philanthropie' décevante dont on a fait trop longtemps la coûteuse expérience.

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Réservons cette philanthropie pour de plus dignes et de plus méritants que les criminels. Il y a autre part que dans les bagnes des misères à soulager celles-là imméritées des victimes à secourir, des chaînes à briser, et j'avoue que du fond de ma conscience je sens s'élever une protestation quand je vois tant d'honnêtes ouvriers contraints par le chômage ou un accident de travail, de mendier leur pain et celui de leurs enfants, alors que sous forme de salaires, de vivres et de concessions, l'Etat prodigue sans marchander ses libéralités aux vétérans du crime.

C'est à faire cesser une aussi choquante situation que nous devons désormais employer toutes nos forces.

Bâtissons comme à Athènes des Prytanées, mais que ce soit pour y loger et pour y nourrir aux frais de la République, comme dans la cité grecque, les citoyens qui auront bien mérité de la patrie et non ceux qui en auront été le fléau et la honte.

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TRANSPORTATION

ET COLONISATION PÉNALE

CHAPITRE Ier

Les Origines de la Transportation

L'idée de transporter les malfaiteurs et les conspirateurs de la métropole dans des colonies éloignées n'est pas bien nouvelle.

Les Grecs et les Romains ont connu et pratiqué ce moyen si propre à assurer la sécurité d'un pays.

L'ancienne Monarchie française et la Révolution en ont fait, à plusieurs reprises, l'essai.

Notre première colonie pénitentiaire date du commencement du XVIIIe siècle. Elle fut fondée en 1719 en Louisiane en vue de la transportation des condamnés en rupture de ban, des voleurs et des filles perdues (1); elle n'eut d'ailleurs qu'une courte durée —et, sans le romon de Manon Lescaut. peu de personnes sauraient que c'est à l'embouchure du Mississipi que fut établi le premier pénitencier colonial de la France.

Déjà, depuis plus d'un siècle, l'Angleterre envoyait dans ses colonies de l'Amérique du Nord ses criminels et ses proscrits.

En 1763, l'île de la Désirade située près de la Guadeloupe fut désignée pour recevoir les jeunes gens de mauvaise conduite; la mesure qui les frappait reçut une dénomination spéciale et bien singulière celle d'exportation.

Le code pénal du 25 septembre 1791 établit la peine de la déportation contre les individus qui, ayant été condamnés une première

(1) Déclaration royale du 8 janvier 1719.

fois pour crime, se rendaient coupables d'un second crime; cette déportation offrait avec notre relégation actuelle une grande analogie, car le condamné n'était envoyé dans la colonie pénitentiaire qu'après avoir subi la peine prononcée pour son second crime; la déportation comme la relégation était donc toujours l'accessoire d'une peine et n'était applicable qu'à des récidivistes.

La déportation n'occupait pas dans l'échelle pénale du code révolutionnaire le même rang que dans la législation actuelle: elle venait en effet après la réclusion; ce fut le Code du 3 brumaire an IV qui la plaça immédiatement après la mort.

La déportation, réservée aux crimes de droit commun, s'étendit bientôt aux crimes politiques; c'est ainsi qu'elle fut déclarée applicable aux prêtres insermentés, aux évêques qui s'opposaient au mariage des prêtres, aux émigrés, aux individus condamnés pour incivisme par le Directoire départemental et à toutes autres personnes condamnées par les Tribunaux, pour des crimes ou délits non prévus par le Code et les lois antérieures.

Perpétuelle ou temporaire suivant les cas, dans le début, la déportation prit le caractère d'une peine exclusivement perpétuelle dans le décret du 5 frimaire an II.

C'est à la Guyane qu'elle devait s'effectuer,

Le mot transportation reparaît avec le décret du 24 vendémiaire an II (15 octobre 1793).

Jusque là, la transportation n'avait eu d'autre but que celui d'assurer la sécurité de la Métropole; on se préoccupait peu de l'avenir du condamné.

Pour la première fois, le législateur va aviser aux moyens d'assurer la régénération du coupable et son reclassement dans la société.

C'est donc à la Révolution que revient l'honneur d'avoir fait entrer dans notre législation pénale l'idée sublime et féconde de rédemption sur laquelle est basée la transportation actuelle.

C'est là une constatation que les auteurs qui ont écrit sur notre système pénitentiaire ont omis pour la plupart de faire et qu'il est bon de mettre en lumière.

Aux termes du décret de vendémiaire étaient transportés :

1o Les mendiants arrêtés comme tels qui ne pouvaient justifier d'un domicile après un an de détention (art. 5).

2o Les mendiants ou vagabonds qui, ayant été arrêtés une première fois pour causes aggravantes, étaient arrêtés de nouveau (art. 3).

3o Les mendiants domiciliés repris en troisième récidive (art 2).

La durée de cette transportation était de huit années au moins; Le trait caractéristique du système établi par le décret du 24 vendémiaire est l'obligation imposée au condamné de travailler pour le compte de l'Etat. Sur le produit de ce travail forcé, il était prélevé un sixième au profit du condamné; une moitié de cette fraction lui était remise sur le champ et l'autre moitié formait un pécule qui lui était remis le jour de sa libération.

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