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DE

BORIES ET AUTRES.

A aucune époque, depuis la restauration, le gouvernement ne montra plus de craintes réelles ou supposées que dans les années 1821 et 1822. En ce temps, des conspirations éclatèrent ou furent simultanément découvertes sur plusieurs points du royaume. Elles tendaient toutes à un but principal et commun, l'abolition de la monarchie. Les chefs étaient, disait-on, des individus puissans par leur vieille réputation politique, militaire ou civile, qui formaient dans Paris une société concentrée, qu'on appela Comité-directeur; et ce Comité avait de nombreux agens dans les provinces pour y fomenter le trouble et la révolte. Il fallait à ces ennemis de la royauté, à ces hommes considérés par leurs titres, leur fortune et leur popularité, des moyens sûrs de répandre leurs principes désorganisateurs; il leur fallait des prosélytes aveugles, des instrumens dévoués. L'introduction en France d'une société secrète féconde en révolutions, dont le premier de tous les statuts était : haine aux rois! haine aux gouvernemens légitimes! remplissait leurs premières vues: le carbonarisme fut importé

d'Italie. Il fallait des adeptes; le Comité-directeur les choisit dans une jeunesse ardente qui se laissa égarer au nom magique de la liberté, et dans les anciens soldats de l'armée impériale, qui, habitués au joug de fer du Corse couronné, trouvaient trop lourd le sceptre paternel des Bourbons. Bientôt des associations nombreuses couvrirent le sol de la France. Leur accroissement étendit les desseins du Comité-directeur; il ordonna aux hommes déjà soumis à sa criminelle influence d'arracher des citoyens paisibles à leurs modestes professions, pour les lancer dans le tourbillon des bouleversemens politiques; de s'introduire dans les rangs de l'armée, fidèle à son prince et à la patrie, pour la détourner des devoirs que lui imposaient ses sermens, et lui faire lever l'étendard de la rébellion contre le roi qu'elle avait juré de défendre, et contre les institutions qu'elle avait juré de maintenir. C'était une marche semblable qu'avaient suivie les fauteurs, des attentats d'Espagne, du Portugal, de Naples et de Turin; c'était par les mêmes moyens que le Comitédirecteur marchait au renversement des lois et au règne de la licence et de l'anarchie.

La France n'avait donc subi la funeste épreuve des révolutions que pour être plongée de nouveau dans les horreurs qui l'avaient épouvantée; elle n'avait donc ardemment désiré, accueilli avec enthousiasme le retour de ses princes légitimes, que pour voir se rétablir encore la lutte du crime contre la vertu, et pour redouter la perte de sa tranquillité dorénavant durable sous l'empire d'institutions qui lui faisaient oublier les

vicissitudes du passé. La sollicitude du gouvernement veillait pour prévenir ces désastres. Des complots furent surpris avant l'exécution, et des conspirateurs arrêtés dans le succès de leurs forfaits. Ainsi Berton (1), général de Napoléon, mécontent du gouvernement actuel, s'insurgea aux environs de Saumur : un lieutenant de cavalerie, des médecins et quelques paysans formaient sa troupe. Il s'avance, il parcourt les campagnes, arrive aux portes de la ville. Un magistrat, décoré de son écharpe blanche, arrête à lui seul sa marche triomphante; le soir même, ses forces se dissipent d'ellesmêmes, et, peu de temps après, un sous-officier de carabiniers s'empare de ce conspirateur redoutable. A Colmar, un lieutenant-colonel de l'ancienne armée cherche à soulever la population des villages, à embaucher un régiment de chasseurs; il crie: Vive l'Empereur! aussitôt il est saisi; et, de même que Berton, paie de sa tête son crime et son audace.

Si ces conspirations ne furent funestes qu'à ceux-là qui les avaient ourdies et aux malheureux qu'ils avaient égarés; si la sécurité publique n'en fut pas un instant alarmée; si, enfin, malgré ces tentatives, la nation conserva le respect dû aux institutions, et le calme qui repousse l'insurrection; que sera-t-il de ces complots médités, organisés, mais que l'exécution n'a point suivie? Peut-être des chefs entreprenans les dirigent-ils; des personnages susceptibles d'exercer une vaste puissance sur l'opinion publique les secondent. La conspiration de La

(1) Voyez son procès, tome Ier,

Rochelle aurait des résultats incalculables, si l'attitude imposante de l'autorité ne suffisait pas à déjouer les projets des factieux ? Elle est découverte; un des conjurés a trahi les secrets de ses complices, et toutes les recherches de la justice n'aboutissent qu'à conduire sur les bancs des criminels un jeune avocat, un étudiant en médecine, un maître d'école, un employé et quelques sous-officiers.

Qu'est devenu ce Comité-directeur qui remplit d'effroi un gouvernement fort de l'appui qu'il trouve dans l'amour de la nation et dans les intérêts généraux? Comment les membres du Comité-directeur, quelquefois désignés dans les feuilles quotidiennes, dans les discours des procureurs-généraux, peuvent-ils se dérober aux investigations du pouvoir? tel est le problème qui reste encore à résoudre. Trop près du temps que nous explorons, nos souvenirs, nos opinions personnelles pourraient égarer notre jugement: laissons à l'avenir le soin de lever le voile qui cache encore les événemens les plus récens. Un fait unique doit nous occuper : dans quelles circonstances fut conçue la conspiration de La Rochelle (conspiration qu'on ne saurait croire supposée, puisque son existence a été formellement reconnue par un jury )? Quel en était le but? Quels étaient les conjurés? voici les questions que nous allons rapidement examiner.

Sans partager des terreurs que l'autorité a sans doute exagérées; sans croire aveuglément que quelques hommes aient sérieusement nourri l'idée de jeter leur patrie dans un abîme de maux, et que, pour y

parvenir, ils se soient aidés des moyens d'une secte anarchiste (et cette défiance ne saurait faire préjuger défavorablement nos intentions), il est certains points importans dont on ne saurait disconvenir. Après les lois qui, en 1820 et 1821, restreignirent les libertés publiques, un vif sentiment d'inquiétude s'empara d'une partie considérable des Français. Un premier coup porté aux institutions n'annonçait-il pas la possibilité de nouvelles attaques, et peut-être de nouveaux empiètemens? Cette crainte se fortifiait chez quelques-uns par l'arrivée au pouvoir d'hommes recommandables, à la vérité, mais dont les opinions prononcées dans un sens ne leur offraient pas toutes les garanties désirables. La confiance, si nécessaire aux dépositaires de l'autorité, fut encore diminuée par les espérances que manifesta hautement un parti qui se crut au terme de ses vœux; et dès lors s'établit entre une portion des citoyens et le gouvernement une sorte de combat où les premiers apportèrent des opinions hardies, des récriminations, une attitude fière sans être menaçante, et telle que les formes constitutionnelles la leur permettaient; tandis que les ministres, obligés de ménager ceux qui leur avaient frayé le chemin du pouvoir, intimidés par les démonstrations de leurs adversaires, ou opposés par conviction à leurs sentimens, répondaient par des actes plus capables d'augmenter les sollicitudes que de ramener l'opinion. Toutefois, il est bon de le remarquer, aucune intention hostile, le respect pour le souverain et pour les lois religieusement conservé, une fidélité intacte que n'a pas troublée un seul instant

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