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lationnant sur les meilleurs manuscrits, mais elle ne contenait qu'une série de fragments, souvent insignifiants par rapport aux lettres elles-mêmes. Les parties les plus intéressantes ont souvent été omises par le copiste; il a parfois mêlé le texte de plusieurs lettres; enfin ses extraits représentent souvent à peine la quinzième ou la vingtième partie du texte original 2.

Depuis Martène, de nombreux fragments de lettres de Guibert ont vu le jour : mais ils ont été publiés avec si peu d'entente et dans des recueils si divers qu'il est fort difficile d'en avoir une vue d'ensemble: il est telle épître de Guibert dont il faut aller chercher les parties dans cinq ou six ouvrages très disparates. Heureusement, le travail est fort simplifié depuis que les Bollandistes ont entrepris l'analyse des manuscrits de Guibert et relevé soigneusement les parties de ses œuvres déjà imprimées. Leur inventaire nous servira de guide dans cette étude 3.

Mabillon avait vu à l'abbaye de Gembloux les lettres de Guibert en trois volumes sur parchemin. Ces précieux codices nous ont été conservés à n'en point douter, ce sont les mss. 5387-96, 5527-34, 5535-37 de la bibliothèque royale de Bruxelles. Ils proviennent, en effet, de l'abbaye de Gembloux et contiennent à peu près les œuvres complètes de Guibert. Nous les désignerons respectivement par les sigles ms. I, ms. II, ms. III: le chiffre arabe dont nous les ferons suivre parfois, désignera le numéro d'ordre de la pièce citée dans le manuscrit.

Le ms. I est du commencement du XIIIe siècle. Outre une vie en prose de saint Martin, par Guibert, et quelques opuscules hagiographiques, il contient dix-huit lettres. Plusieurs des corrections dont il est chargé ne peuvent, suivant Bethmann 5, être attribuées qu'à l'auteur lui-même ".

1 Ainsi, la lettre XXV, dans Martène. Migne, t. cit., col. 1310.

2 Un exemple la lettre de Guibert à Philippe de Heinsberg, Migne, tom. cit., col. 1290, se réduit à quelques lignes dans l'édition de Martène : elle compte dix grandes colonnes dans les manuscrits.

3 A moins d'indication contraire, nous citerons le t. I de la première partie du Catalogus codd. hagiographicorum bibliothecae regiae Bruxellensis, sous l'abréviation: Cat. hag. Brux.

+ Vetera Analecta, p. 482.

5 Pertz, Archiv, t. VIII (1843), p. 495. Bethmann prétend que ce ms. est de la fin du XIIe siècle. Il se trompe. La vie de S. Martin qu'elle contient fut composée après 1205.

6 Ce ms. est décrit par les Bollandistes. Cat. hag. Brux., p. 484-506.

Le ms. II, auquel les Bollandistes consacrent plus de quarante pages de leur catalogue 1, est un peu moins ancien, mais point postérieur au XIIe siècle. Les dix-huit lettres précédentes s'y trouvent jointes à un grand nombre d'autres. Nous pouvons classer provisoirement ces lettres d'après les correspondants; les noms de ceux-ci montreront assez, croyons-nous, que cette partie de l'œuvre de Guibert n'est pas sans importance. Comme dans tous les recueils un peu considérables, quelques lettres des correspondants sont mêlées à celles de l'auteur. La correspondance de Guibert avec Philippe de Heinsberg, archevêque de Cologne, compte quatorze lettres 2; trois ont été écrites aux religieux de Marmoutier ; seize représentent la correspondance avec sainte Hildegarde; six celle avec des religieuses de Bingen; quatre avec Joseph, écolâtre; trois avec Godefroi, abbé de Saint Eucher, à Trèves; cinq sont adressées à Sigefroi, archevêque de Mayence; une à Conrad, son prédécesseur; une à un prêtre nommé Jonas; une ad quendam amicum; restent trois lettres qui nous renseignent sur ses relations avec son monastère 3.

En tout, cinquante-sept lettres écrites par Guibert ou par ses correspondants.

Le ms. III, de la même époque que le précédent, n'a pas été décrit par les Bollandistes avec autant de détails que les deux autres : il est bien moins intéressant au point de vue de l'hagiographie, ajoutons à tous les points de vue. Les lettres qu'il renferme sont de longs traités ascétiques, précédés d'une sorte de préface, qui n'est pas de Guibert. En voici la liste sommaire 5:

1o [Préface] Cum Gemblacense oppidum... f., 1-5′′ 6. — 2° Epistola G [uiberti] Gemindacensis monachi ad Arnul

1 Cat. hag. Brux., p. 529-577.

2 En y comprenant le prologue d'un opuscule dédié à Philippe, miss. II, 2, édité dans Pitra, Analecta Sacra, t. VIII, p. 582-584.

3 Ms. II, 39, ad fratres suos; 40, Epist. fratrum Gembl.; 41, Epist. Jo. de Wir. Voir Cat. hag. Brux., p. 542.

4 Cat. hag. Brux., p. 577-582.

Reiffenberg, Bulletins de l'Acad. royale de Belgique, t. IX, 2, p. 453, et Annuaire de la bibl. royale de Belgique, t. VII, p 69, se contente de transcrire les indications inscrites au premier feuillet. Elles sont insuffisantes.

Imprimé dans Cat. hag. Brux., p. 578-582; fragment dans Reiffenberg, 1. c.

Pour Gemblacensis. Une erreur de ce genre ferait croire que ce ma

3

phum scolasticum carissimum sibi, f. 5o-14. — 3o Arnulpho G. suus, f. 14r-26o 1. — 4° Arnulpho suo Guibertus suvs, f. 26-33o.- 5o Arnulpho suo..., f. 33-40o 3. — 6o Arnulpho Guibertus, f. 40-49 4. -7° Armulpho suo Guibertus, f. 49"65. 8° Iohanni fratri karissimo Guibertus, f. 65-72. 9° [Iohanni Guibertus], f. 72-78. - 10° Rainero fratri dulcissimo, f. 78′-95o 5. — 11° [Rainero Guibertus], f. 96o-100v 6.

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12° Lamberto suo G. suus, f. 100-110v. 13° Lamberto `nepoti suo dulcissimo... Guibertus f. 110-127o. — 14° Lamberto, nepoti et amico suo..., Guibertus. f. 127-141". 15° R[aynero] egregiae probitatis scolastico Guibertus, f. 141-1637.

C'est évidemment sur ce volume qu'a été transcrit le manuscrit 398, papier, xve siècle, de la Bibliothèque de Douai, f. 1-111: Epistolæ G. Gemmadecensis (sic) monachi ad diversos. Si à première vue les subdivisions ne répondent pas à celles du manuscrit de Bruxelles, il faut s'en prendre à l'auteur du catalogue, qui a plusieurs fois pris un simple alinéa pour une nouvelle lettre.

Le manuscrit III nous fournit quatorze nouvelles lettres, dont six adressées à l'écolâtre Arnulphe, deux à Jean, son frère, trois à Lambert, neveu de Guibert, trois à Renier elles sont presque toutes inédites, et il est à croire qu'elles le resteront longtemps encore. La majeure partie de cette collection constitue une œuvre de jeunesse de Guibert. Voici ce qu'il écrit dans la der

nuscrit n'a pas été transcrit à Gembloux. Pourtant l'écriture démontre le contraire.

I Elle traite De Solemnitate pascali.

2 Le sujet est De exitu Egypti : Guibert propose à son ami un plan de lectures.

3 Sujet : De tribulatione patienter sustinenda.

4 Sujet De voluntaria paupertate.

5 Cette longue lettre contient fo. 82-88 le passage de laudibus S. Benedicti édité par le Card. Pitra, Analecta Sacra, t. VIII, p. 593-690.

6 Sujet : De dignitate sacerdotali.

7 Sujet : De solemnitate pascali.

8 Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques des dépar tements, t. VI (1878), p. 230.

9 Jean à qui la lettre huitième est adressée, était le frère d'Arnulphe, qui venait de mourir f 65v: « Pie recordationis Arnulfo fratre tuo adhuc superstite. »><

nière lettre à Renier, f. 142: Scripsi super excellentia solempnitatis vel sacramenti huius [pascalis] cum adhuc iunior essem aliquando ad amicum. Cet ami, c'est Arnulphe; le traité De solemnitate pascali est la lettre 3. On a parlé d'un traité de Guibert intitulé Consolations pour les malades. C'est probablement quelqu'une des lettres qui nous occupent, peutêtre la lettre 5, à son ami Arnulphe 1, dont la santé était fort ébranlée et qui mourut bientôt, ou la lettre 10, à Renier, jeune prêtre également fort éprouvé par la maladie.

Comme nous l'avons dit, ce volume est tout à fait insignifiant. Les correspondants de Guibert se délectaient peut-être dans ces lettres ascétiques, d'une doctrine peu définie, remplies d'allégories et de réminiscences bibliques. Mais si,au XIIIe siècle déjà, on les trouvait interminables, qu'en diront les lecteurs de notre époque, si peu portés au mysticisme? Nous n'aurons plus à revenir à ce recueil.

Les manuscrits dont nous venons de parler ne nous ont point conservé la correspondance de Guibert au complet. Une de ses plus longues lettres, adressée à un chanoine de Laon 3, ne se trouve que dans deux manuscrits du xve siècle. Nous signalerons plus loin son épître à un certain R., écolâtre. Il est probable qu'un certain nombre d'autres sont perdues sans retour. Ainsi, le Chronicon Gemblacense de Mabillon parle d'une lettre où Guibert déplore les fautes de sa jeunesse ; elle commence par ces mots Beatus Augustinus 5. Nous ne sommes pas parvenu à la retrouver, pas plus que la lettre Ad quosdam malevolos de sua promotione, elc., dont un fragment se lit dans le Gallia christiana: pourtant le style et le contenu de cet extrait ne permettent pas d'élever le moindre doute sur son authenticité.

1 Il viendra à la pensée de plus d'un lecteur que cet Arnulphus_scolasticus est l'écolâtre de Jodoigne nommé en 1180. Voir E. Matthieu, Les écoles de Jodoigne au XIIe siècle; Annales de la Soc. archéol. de Nivelles, t. III (1887), p. 285-290. Mais à cette époque notre Arnulphe était mort: En 1180, nous le verrons, Guibert n'était plus junior : il avait cinquantecinq ans.

2 Ms. III, I, n. 8. Catal. hag. Brux., p. 580.

3 Nous l'avons publiée au t. VII des Analecta Bollandiana, p. 265-320. Cod. Bruxell. 1510-19, et 1382-91.

5 Vetera Analecta, p. 482.

& Gall. christ., t. III, instr., col. 129. Ex libro de Gestis abbatum.

L'incendie qui,au xvII° siècle, dévora l'abbaye de Gembloux avec la plus grande partie de ses trésors littéraires, consuma sans doute les manuscrits originaux du fécond écrivain 2.

Le dépouillement que nous venons de faire porte à soixantequatorze le nombre de lettres de Guibert qui nous ont été conservées 3. C'est dans cette volumineuse correspondance que nous allons puiser presque tous les détails de sa biographie. Vu la difficulté d'identifier les fragments d'une même lettre souvent épars dans des publications diverses, nous citerons ordinairement la cote de chaque lettre dans les manuscrits avant de renvoyer au texte imprimé.

II

PREMIÈRES ANNÉES. L'ABBAYE DE GEMBLOUX AU XIIE SIÈCLE.

Suivant les auteurs de l'Histoire littéraire, « on peut supposer avec beaucoup de vraisemblance qu'il (Guibert) naquit vers 1120 dans le Brabant. » Ce n'est là qu'une date conjecturale. Pour déterminer avec précision l'année de la naissance de Guibert, anticipons un moment sur ce qui va suivre. Notre écrivain, on le verra, entreprit le voyage de Tours pendant l'automne de 1180. Or, lui-même nous apprend qu'il avait alors cinquantecinq ans passés 5. Cette circonstance nous autorise à placer sa

1 Le 6 août 1678. Voyage littéraire de deux religieux bénédictins de la Congr. de S. Maur (Martène et Durand), 1re partie (1717), p. 202.

2 Gudenus, Codex diplomaticus, t. V, p. 1104 sqq., a publié des fragments d'une lettre de Guibert, que nous ne trouvons que dans le ms. II. Il l'a tirée, dit-il, ex ms. arch. Gemblac. En comparant son texte à celui de notre ms. II, et en comptant le nombre de lignes occupées par les passages qu'il a supprimés, on doit conclure qu'il s'est servi d'un manuscrit différent, aujourd'hui perdu.

3 Konrad Dahl ne connaît que dix-neuf lettres de Guibert. Die hl. Hilde. gardis, Mainz, 1832, p. 29. Quartalblätter des Vereins für Kunst und Literatur in Mainz, Jhrg. III, Heft 1, p. 31, note. Böhmer (-Will) s'en rapporte à Dahl, Regesta archiepiscoporum Maguntinensium, t. I, p. 106.

Citons un exemple. Une même lettre ad Philippum Coloniensem, se trouve imprimée par parties dans les ouvrages suivants: Migne, P. L., t. CCXI, col. 1290; Pitra, Analecta Sacra, t. VIII, p. 581; Précis historiques, t. XXX (1881), p. 26; Catal. codd. hagiogr. bibl. reg. Bruxell., t, I, p. 498.

5 T. XVI, p. 566.

6 Epist. ad Sigfridum et Philipp. Razeburg., ms. II, 69; Cat. hag. Brux., p. 572, no 11.

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