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SUR

LES PRIVILEGES

ET HYPOTHÈQUES,

SAISIES IMMOBILIÈRES, ET ORDRES.

LIVRE PREMIER.

DES PRIVILÉGES.

CHAPITRE PREMIER

Des Priviléges en général.

I. Quels sont les Biens qui peuvent étre grevés deviennent par la détermination de la loi, d'un Privilége?

Les Immeubles par destination, et ceux qui ne sont tels que par l'objet auquel ils s'appliquent, peuvent-ils être soumis à cette affectation?

SUIVANT l'article 2099 du Code civil, les priviléges peuvent avoir lieu sur les

meubles comme sur les immeubles. D'après l'article 2100, ces priviléges peuvent frapper la généralité des meubles, ou certains meubles seulement.

Aucun meuble, aucun des objets que la loi répute meuble, n'est donc par luimême inhabile à être soumis à cette affectation; et rien n'empêche que les objets meubles par leur nature, et ceux qui le

ne puissent être soumis à un privilége.

Il en est de même des immeubles. Tous peuvent devenir l'objet d'un privilége soit qu'ils tiennent ce caractère de leur nature, soit qu'ils ne l'aient acquis que par leur destination.

Mais ce qui n'est pas également facile à juger, c'est l'espèce de privilége à laquelle chacun de ces biens peut être soumis.

A l'égard des priviléges qui embrassent la généralité des meubles, ils affectent tout ce qui est censé meuble, soit par sa nature, soit par la détermination de la loi; mais ils ne s'étendent jamais sur les biens qui, étant originairement meubles, ont pris, par leur destination, le caractère d'immeubles. Ainsi, les animaux attachés à la culture, les ustensiles aratoires, ne

peuvent être affectés au privilége des frais de justice, tant que ces objets sont attachés au fonds sur lequel ils ont été placés, sauf néanmoins le cas où, à défaut de mobilier, le privilége s'exerce sur les immeubles.

Les priviléges sur certains meubles paraissent, au premier abord, s'exercer sur des immeubles de cette dernière espèce. Ainsi, l'on voit dant l'article 2102 que le propriétaire exerce son privilége sur le prix de ce qui garnit la ferme, et par conséquent sur le prix des ustensiles aratoires, objets réputés immeubles par destination; mais il faut prendre garde que les ustensiles aratoires et tout ce qui garnit la ferme, ont été apportés par le fermier : ce qui, aux termes de l'article 524, empêche tous ces objets de prendre le caractère d'immeubles. Ainsi, conservant leur nature de meubles, il ne faut pas s'étonner qu'ils demeurent assujettis au privilége du propriétaire de la ferme.

A l'égard des priviléges sur les immeubles, ils ne frappent les objets placés sur le fonds à perpétuelle demeure, qu'autant qu'on les considère comme faisant partie du fonds; car, dès qu'on les séparerait de l'immeuble, on perdrait le privilége, ou du moins on le changerait de nature. Ainsi, tant que les bestiaux feraient partie du fonds vendu, le vendeur conserverait son privilége sur ces bestiaux comme sur l'immeuble même; mais aussitôt qu'on les séparerait de l'immeuble, soit en leur donnant une autre destination, soit en les aliénant, on perdrait le privilége. A la vérité, dans le premier cas, c'est-à-dire lorsqu'on n'a fait que changer la destination des objets vendus, le vendeur pourrait jouir d'un autre privilége, comme vendeur d'objets mobiliers.

Mais à l'égard des immeubles. par l'objet auquel ils s'appliquent, il faudrait admettre quelques distinctions. L'article 526 du Code civil énumère trois espèces de biens, auxquelles il donne ce caractère; savoir l'usufruit des choses immobilières, les servitudes et les actions qui tendent à revendiquer un immeuble. Mais je ne crois pas que le privilége puisse directement frapper chacune de ces espèces de biens.

Il n'y a pas de doute que le privilége ne puisse affecter l'usufruit; c'est une propriété qui existe par elle-même, qui s'identifie avec l'immeuble, et qui, comme lui, est susceptible d'être affectée d'un privilége. Ainsi le vendeur d'un usufruit jout de ce privilége pour le paiement du prix, comme il en jouirait s'il avait vendu la pleine propriété. (Arg. de l'art. 2118.)

Mais il en est autrement des servitudes. Considérées isolément, elles ne peuvent présenter aucune garantie; elles n'ont de prix, ou même d'existence, que pour le propriétaire du fonds auquel elles sont dues. Elles ne peuvent donc, dans aucun cas, devenir l'objet d'un privilége.

Quant aux actions qui tendent à revendiquer un immeuble, il faut leur appliquer les principes que nous avons développés à l'occasion de l'hypothèque dont on voulait les grever. (Voyez le Régime Hypothécaire, art. 2118.) En effet, ces actions ne peuvent pas elles-mêmes devenir l'objet d'un privilége, puisqu'elles n'ont aucune assiette réelle, et qu'on ne saurait sur quoi les asseoir, ni comment les conserver et les rendre publiques; mais leurs résultats, mais les objets auxquels elles s'appliquent, sont susceptibles d'une affectation de cette espèce, et rien n'empêche qu'on les y assujétisse.

Un exemple développera ma pensée.

Pierre avait vendu son immeuble à Jean, avec faculté de rachat. Bientôt après, il avait cédé ou vendu son action en réméré à Guillaume, pour la somme de 1,000 fr. Celui-ci avait fait faillite avant de payer ces mille francs.

Pierre n'aura pas de privilége sur l'action elle-même, mais sur l'immeuble recouvré par suite de l'exercice de cette action. Dans ce cas, personne ne pourra lui disputer sou privilége, parce qu'il sera regardé comme vendeur du fonds à l'égard de Guillaume, au nom duquel on a exercé la faculté de rachat: en sorte qu'il est vrai de dire que l'existence du privilége dépendra de l'exercice de l'action et de ses résultats.

Mais dans cette hypothèse, comment Pierre conservera-t-il son privilége? Je crois que ce sera par la transcription de l'acte par lequel il a vendu ou cédé son

action. Ren n'empêche, en effet, qu'il ne requière la transcription dans le bureau de la situation de l'immeuble, et que le conservateur ne prenre sur cet immeuble une inscription d'office qui sera aussi subordonnée à l'exercice et au résultat de l'action.

Tout ce que nous venons de dire s'applique également aux autres actions réelles, et particulièrement à l'action en rescision pour cause de lésion; en sorte que, si quelqu'un a cédé cette action et qu'il n'ait pas été payé, il aura un privilége sur l'immeuble recouvré par suite de cette action en rescision.

Mais si la rescision n'a pas été prononcée, comme si l'acquéreur a préféré conserver l'immeuble et payer le supplément du juste prix, le vendeur originaire aurat-il un privilége? ou son droit se sera-t-il évanoui par le mauvais résultat de l'action ?

D'abord, je crois qu'en formant opposition au paiement à faire par l'acquéreur, il pourrait conserver une préférence sur

les autres créanciers.

C'était ce que pensait Pothier dans une espèce absolument identique. « Le créan» cier qui a une hypothèque sur une rente, » disait-il, a néanmoins un moyen pour > empêcher que le rachat qui pourrait en >> être fait n'éteigne son droit d'hypothè» que ce moyen consiste à faire un arrêt » des fonds de cette rente; et l'effet de cet » arrêt sera que le débiteur ne pourra la > rembourser à celui à qui elle est due, » sans y appeler le créancier arrêtant, et » à la charge qu'il serait fait emploi des » deniers du rachat, en l'acquisition d'un >> autre immeuble sur lequel le créancier » aura le même droit d'hypothèque qu'il >> avait sur la rente qui a été rachetée. »> Mais nous pensons encore que, sans former cette opposition, le vendeur n'en conserverait pas moins son privilége sur le supplément du prix à payer par l'acqué

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L'action du vendeur conserve la nature immobilière qu'elle avait précédemment ; la restitution de l'immeuble est in obligatione, et le paiement du supplément du prix, in facultate solutionis.

De toutes ces réflexions, il faut donc conclure que tous les meubles corporels et incorporels peuvent être l'objet d'un privilége; que les immeubles, par leur nature et par destination, peuvent être atteints; et que si les biens immeubles, par l'objet auquel ils s'appliquent, semblent se soustraire à cette affectation, leurs résultats peuvent néanmoins en être frappés.

§ II. Le Privilége du Trésor Public, pour le recouvrement des frais de justice en matière Criminelle, Correctionnelle et de Police, s'exercet-il au préjudice des créances antérieures à la condamnation ?

La solution de cette question dépend du sens qu'on peut donner à la dernière partie de l'article 2098. Si l'on pense que le trésor public ne peut avoir de privilége au préjudice des droits acquis avant la condamnation, c'est détruire la préférence que la loi a voulu lui accorder; c'est lui retrancher son privilége.

D'un autre côté, les expressions de l'article 2098 paraissent établir que le privilége du trésor ne peut jamais prévaloir sur les créances antérieures, puisque « le trésor public ne peut obtenir de privilége au préjudice des droits antérieurement acquis à des tiers.»

Ainsi pourrait on dire: Avant la condamnation, les biens du débiteur étaient le gage de ses créanciers: ceux-ci avaient des droits acquis, qu'un jugement subséquent, qu'une condamnation postérieure n'a pu leur enlever pour en gratifier le trésor public.

Mais toutes ces objections disparaissent devant le véritable sens de l'article 2098. Cet article a voulu appliquer aux priviléges du trésor le principe consacré par l'article 2 du Code; il a voulu tirer une conséquence nécessaire de la non-rétroactivité des lois, et décider que les nouveaux priviléges qui pourraient être établis en faveur du fisc, ne nuiraient jamais

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aux droits déjà acquis lors de l'établissement de cette nouvelle préférence.

Cela résulte et de l'article 2098 luimême, et de la nature du privilége. L'article 2098 jette le fondement du privilége accordé au trésor public; il laisse à des lois particulières le soin de déterminer l'ordre dans lequel il s'exerce; et cependant, dans sa dernière partie, cet article fixerait nécessairement le rang du privilége, puisqu'il ne reconnaîtrait son existence que du jour de l'acte auquel il serait attaché. Or, cette contradiction ne peut pas raisonnablement se supposer.

Nous avons ajouté que notre assertion était encore justifiée par la nature du privilége. Et en effet, le privilége est un droit qui s'acquiert au préjudice des droits déjà acquis à des tiers, puisqu'il donne le droit d'être préféré aux autres créanciers antérieurs et même hypothécaires (Art. 2098). S'il en était autrement, le privilége dégénérerait en simple hypothéque, puisqu'il ne primerait que les créances postérieures à son existence.

Ainsi la dernière disposition de cet article 2098 ne peut signifier autre chose, sinon que, si de nouvelles lois établissent de nouvelles causes de préférence envers le trésor public, elles ne pourront jamais nuire aux droits acquis à des tiers lors de leur promulgation.

C'est ce qu'a jugé la Cour de Cassation dans l'espèce suivante :

En l'an II, un sieur Lecointre est condamné au paiement de la somme de 134 fr. pour achat de cuirs. Bienôt après, un arrêt de la Cour criminelle du Calvados le condamne aux fers. La régie, pour parvenir au paiement des frais dont la condamnation avait été prononcée, fait faire diverses saisies. D'un autre côté, celui qui avait vendu les cuirs en poursuit le paiement, et par suite demande la délivrance des deniers saisis. Il prétend que la distribution doit s'en faire entre lui et la régie, au marc le franc, parce que la régie ne peut pas exercer son privilége au préjudice d'un créancier antérieur à sa condamnation. Sur ces débats, jugement du tribunal de Bayeux, qui accueille la prétention du créancier, et ordonne la distribution au marc le franc.

Pourvoi en cassation de la part de la 1809, (Dalloz tom. 17 pag. 82), un arrêt régie, sur lequel est intervenu, le 6 juin qui, considérant que, quoique le créancier ait été reconnu tel par un jugement antérieur à celui qui avait condamné aux fers son débiteur, il n'avait cependant acquis aucun droit sur les objets saisis avant l'existence du privilége de la régie. D'où il résulte que celle-ci doit nécessairement être payée préférablement à ce créancier.

Il est vrai que cet arrêt a été déterminé par la circonstance que ce créancier était simple chirographaire, et qu'il résulte même des motifs donnés par la Cour, qu'elle eût jugé autrement s'il eût eu un privilége, quoique moins favorable que celui de la régie.

En effet, si ce créancier eût eu un privilége, il aurait eu un droit acquis avant la régie, et la Cour eût dû nécessairement le colloquer préférablement au fisc; mais alors c'eût été, non pas parce que ce créancier aurait eu un privilége avant l'arrêt en vertu duquel la régie aurait pu réclamer, mais parce que ce ne serait que postérieurement à son droit que la loi constitutive du privilége aurait été promulguée. Dans ce cas, il aurait fallu reconnaître la préférence du créancier, puisque le nouveau privilége, accordé au trésor, ne peut jamais préjudicier à ceux qui auraient des droits acquis lors de cette nouvelle concession faite au trésor public.

Tout cela prouve que la dernière disposition de l'article 2098 n'est qu'une loi transitoire, portée seulement dans l'intention de conserver des droits qu'on ne pouvait s'attendre à voir détruits privilége dont le par germe n'existait pas en

core.

un

§ III. Le Trésor Public a-t-il un privilége sur les Cautionnemens?

Et plus particulièrement, le Trésor public a-t

il Privilége sur le Cautionnement d'un No-
taire, d'un Agent de Change, d'un Huissier,
pour les Amendes encourues par eux, dans
l'exercice de leurs fonctions?

En a-t-il un pour le Paiement des frais de la
Procédure?

Plusieurs lois traitent des priviléges aux. quels sont assujétis les cautionnemens des

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