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A cette fiction de la mort des dieux, se joint le mérite de la douleur volontaire. Sommonacodom descend aux enfers pour y souffrir durant cinq cents générations successives (1) Esmoun et Attys se mutilent (2):

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qu'on mange. Un homme qui s'est appliqué à commenter toutes les idées mystiques de la théologie indienne, et à rattacher toutes les superstitions à ce mysticisme, dit à ce sujet des choses curieuses, en ce qu'elles montrent la série de subtilités à l'aide desquelles on a substitué aux sacrifices offerts à Dieu, le sacrifice de Dieu lui-même.

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C'est sur l'autel que l'homme et la divinité se rencontrent. Là s'accomplit la mystérieuse union de l'ame avec son créateur. C'est là que l'homme souffre et se régénère dans les flammes de l'holocauste. Dans la famille primitive, chaque sacrifice était le repas. Le sacrificateur communiait avec la divinité; il communiait ensuite avec le genre humain. Chacun, en mangeant de la victime sacrifiée', se nourrissait de la substance du créateur devenu victime et créature. On sacrifiait l'homme-dieu, et ceux qui assistaient à ce sacrifice, en qualité de pontifes ou de simples fidèles, communiaient avec le médiateur, se nourrissaient de sa divine substance. Ces idées ont profondément pénétré dans le culte de Bacchus, dieu du vin, qui est le sang de l'univers, et dans celui de Cérès, déesse du pain, qui est la chair de ce même univers. » (Catholique, XXIII, 247.)

(1) LALOUBERE, II, 14.

(2) V. sur l'histoire d'Esmoun, Creutzer (II, 148);

Wichnou, dans sa quatrième incarnation, se macère au fond d'un désert (1). Ditty, son épouse, pratique des austérités effroyables pendant mille années. C'est la douleur divine, la pénitence de Dieu, la Tapasya, comme disent les Vèdes, qui a produit le monde : cette même douleur est nécessaire pour le sauver. Les Indiens ont supposé de tout temps que la nature divine entrait dans les sacrifices, comme partie souffrante (2). Leurs dieux en s'immolant expirent dans une agonie longue et cruelle. Le principe qui engageait les adorateurs à tant de macérations qui nous font frémir les entraînait à se figurer les objets de leur adoration, s'imposant, suivant leur essence plus sublime, des macérations plus étonnantes encore et plus douloureuses. Mais comme l'intelligence,

WAGN. (286); MEIN. (Cr. Gesch., I, 70); et pour les diverses légendes sur les mutilations d'Attys, Wagner (238).

(1) V. sur les souffrances et les mutilations de Brama, ROGER (Pag. Indien, II, 1); SONNERAT (I, 128-129); ANQUETIL (139), et WAGNER (221-228).

(2) V. les notes du traducteur de Sacoutala, p. 294,

même en s'égarant, aime à lier ses conceptions entre elles, et à leur donner une sorte d'unité, l'hypothèse de la chute primitive est d'ordinaire le noeud de cette espèce de drame. Les dieux prêtent par leurs souffrances une assistance surnaturelle à l'espèce humaine déchue. Le dieu médiateur rétablit la communication interrompue. La purification de l'homme s'opère par les tourments du Dieu qui l'expie (1). La nécessité d'une telle expiation s'est transmise de siècle en siècle et a pénétré dans le christianisme pour s'y maintenir jusqu'à nos jours (2). « La foi nous apprend, disent des auteurs << très-modernes, qu'il a fallu pour effacer le péché inhérent à la nature de l'homme, une << victime théandrique, c'est-à dire divine et << humaine tout ensemble. Peut-être les inven«teurs des sacrifices humains chez les nations

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(1) Cette expiation est désignée dans l'ancienne religion chinoise (GOERRES, I, 146) et dans la croyance lamaïque (ib. I, 163-164) par le mot de rédemption. Les Brames dans leurs prières demandent au soleil le sacrifice d'Indra, descendant du rang de créateur au rang de créature, mourant et renaissant chaque jour pour consommer de nouveau la mort expiatrice.

(2) C'est par le sang, c'est par la souffrance du Logos, disent les chrétiens indianisants de nos jours, que le monde doit être réconcilié avec son auteur.

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«< idolâtres avaient-ils appris cette vérité par

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quelque tradition vague, et les rites qui << nous révoltent n'étaient de leur part qu'une << tentative pour trouver la victime destinée à « délivrer le genre humain par sa mort (1). › Rien de pareil dans les religions indépendantes. Si les dieux d'Homère sont exposés à souffrir, c'est une suite de leur nature imparfaite et bornée. Leur douleur n'a rien de mystérieux et ne profite point à la race mortelle.

(1) PELLOUTIER, VIII, 34; FERRAND, Esprit de l'histoire, I, 374. M. de Maistre, par une suite de la même idée, dit que « le genre humain ne pouvait deviner le sang dont « il avait besoin. » (Eclairciss. sur les sacrif., p. 455.) On ne verra point, nous l'espérons, dans cette réfutation d'idées qui nous paraissent hasardées ou fausses, une attaque dirigée contre la croyance, pour laquelle nous avons si souvent manifesté notre reconnaissance et notre respect. Le christianisme, ramené à sa simplicité primitive, et combiné avec la liberté d'examen, c'est-à-dire avec l'exercice de l'intelligence que le ciel nous accorde, n'a rien à perdre en se dégageant des subtilités vaines et parfois féroces, dont l'imaginatión de ses commentateurs l'a environné, et nous pensons servir cette doctrine céleste, en la délivrant des auxiliaires qui lui donnent une ressemblance trompeuse avec les religions imposées aux peuples de l'antiquité par des corporations ambitieuses, auxquelles le sacerdoce chrétien s'indignerait certainement de se voir comparé.

CHAPITRE VII.

Démonstration des assertions ci-dessus, tirées de la composition du polythéisme de l'an

cienne Rome.

LA

A composition du polythéisme de l'ancienne Rome présente la démonstration la plus complète des assertions contenues dans les chapitres qu'on vient de lire. On voit, chez les Romains, durant les trois siècles pendant lesquels leur croyance s'est formée graduellement, la lutte manifeste de l'esprit sacerdotal contre l'esprit grec, c'est-à-dire contre l'esprit indépendant de la direction sacerdotale.

Au moment de la fondation de Rome, l'Étrurie (1) qui tenait sous son joug plusieurs

(1) Il serait tout-à-fait étranger à notre sujet de rechercher l'origine des diverses peuplades de l'Italie. Nous renvoyons les lecteurs curieux d'approfondir ces ques

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