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Lorsque se renouvela l'année politique, aucun indice ne laissait encore pressentir la fin de cette prospérité sans nuages qui, au commencement de la session dernière, semblait être pour longtemps assurée à la France. Les grands travaux d'utilité publique, l'industrie et le commerce, avaient continué à développer de plus en plus toutes les ressources du pays, et rien au dehors ne menaçait d'entraver dans sa marche le progrès intérieur. Cependant quelques signes avant-coureurs d'une réaction dangereuse ne tardèrent pas à se manifester. Ce besoin impérieux de relations qui, depuis quelques années, pousse les peuples les uns vers les autres, avait entraîné la France à son tour dans l'exécution de ces travaux gigantesques qui partout, autour d'elle, avant elle, en même temps qu'elle, sollicitaient les efforts et réclamaient les sacrifices de l'Europe. Longtemps elle avait hésité à entrer dans l'application de ces découvertse Ann. hist. pour 1846.

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nouvelles qui sont appelées à changer la surface du monde, longtemps elle avait discuté vainement leurs avantages, et elle s'était vue enfin précéder d'une manière dangereuse, non pas seulement par la reine de l'industrie moderne, mais encore par des nations d'une importance secondaire.

C'est alors qu'elle se précipita dans la carrière avec cette impétuosité qui, chez elle, suit trop souvent la défiance. On vit, sur tous les points du pays, l'engouement succéder à la crainte; toutes les lignes de chemin de fer furent attaquées à la fois, et une spéculation effrénée s'attacha à ces entreprises. Treize compagnies autorisées, cent autres formées, pour la plupart, sur des bases insuffisantes, et sans autre espérance que celle d'ètre absorbées par des sociétés sérieuses et de vendre chèrement leur mort; une concurrence déloyale organisée contre la spéculation honorable, des promesses d'action vendues au grand jour malgré le vœu de la loi, des primes exagérées, des fortunes scandaleuses: tel fut le spectacle donné par cette faveur aveugle.

Mais aux espérances excessives avait bientôt succédé une panique générale. Des catastrophes éclatantes donnèrent le signal d'une crise que l'état de la place en Angleterre ne fit qu'accroître. Les capitaux attendus de Londres y étaient retenus pour les besoins inopinément survenus dans ce pays; le numéraire français se trouvait en même temps engagé outre mesure par les versements excessifs faits à une foule de compagnies; en quelques jours, des actions primitivement cotées à 80 fr. tombèrent à 5 fr., même après adjudication de la ligne.

Une autre cause plus grave encore influait sur les esprits. Si la récolte des céréales, en 1845, avait été, à peu de chose près, ce qu'elle est d'ordinaire en France, ce précieux tubercule, qui est devenu, dans tant de localités, le pain du peuple, avait manqué sur quelques points. Le mal n'était pas, il est vrai, bien grand en France; mais, en Allemagne, en Belgique, en Irlande surtout, il avait atteint des proportions effrayantes. De là une hausse extraordinaire du prix des céréales dans une partie de

l'Europe; ce prix était, en Angleterre, de moitié plus élevé que l'année précédente, et l'Irlande allait réclamer un supplément énorme de grains pour remplacer sa nourriture exclusive. Déjà, dans les premiers jours de 1846, cette situation réagissait sur les marchés français.

Si une mauvaise année suivait à une année médiocre, que ne faudrait-il donc pas craindre? A une crise alimentaire succéderaient sans doute, comme une conséquence naturelle, une crise industrielle et une crise financière. Sans doute, la France saurait, par sa force propre, surmonter ces dangers; mais il n'en était pas moins vrai qu'une situation semblable se déclarant alors que les grands travaux publics n'étaient encore qu'ébauchés, quand, pour plusieurs années encore, les réserves de l'amortissement étaient engagées, quand un déficit, peu inquiétant dans des circonstances ordinaires, mais grave dans les moments de crise, se manifestait de plus en plus dans nos finances, quand l'Algérie réclamait encore d'énormes sacrifices, quand notre marine, enfin, n'était pas encore établie sur ce pied respectable qui convient à une grande nation, l'avenir du pays se trouverait, sinon compromis, au moins reculé par ces malheurs et par ces fautes.

Quoi qu'il en dût être plus tard, et malgré ces germes de complications futures, l'état du pays, au début de l'année, n'offrait rien d'alarmant. Les recettes publiques suivaient ce mouvement ascendant qui est le signe le plus sûr du bien-être général.

Au dehors, aucune question grave ne s'élevait; la convention relative à la traite des noirs semblait avoir éteint tout sujet de querelle avec l'Angleterre. Si des différends sérieux paraissaient menacer la paix générale, ce ne devait être, selon toute prévision possible, que dans des contrées éloignées, et la France ne pourrait être appelée qu'à en être spectatrice.

Au dedans, l'attitude des partis annonçait le même calme, donnait les mèmes espérances. Aux luttes passionnées qui, l'année dernière, avaient menacé chaque jour l'existence du Cabi

net, avait succédé une paix profonde, et le parti conservateur, désormais rallié tout entier sous la bannière ministérielle, se sentait sûr d'une victoire qu'on ne lui disputerait pas. Une fusion s'opérait entre les deux fractions les plus importantes de l'opposition, la gauche constitutionnelle et le centre gauche; mais si cette union devait être en péril, ce ne serait que lorsque la fin de la législature actuelle ramènerait des élections nouvelles et de nouvelles occasions de lutte entre les partis.

La session des Chambres s'ouvrit le 27 décembre 1845. Le discours de la couronne était empreint d'une réserve extrême, et se bornait à esquisser la situation générale sans entrer dans des détails susceptibles de provoquer de longs débats. Les premiers paragraphes rappelaient, comme à l'ordinaire, les principaux résultats de la politique d'ordre et de conservation, l'exécution des grands travaux publics poussée avec une activité toute nouvelle, le bon état de nos finances, les pacifiques relations avec les puissances étrangères. Le Roi ajoutait spéciale ment en ce qui concernait l'Angleterre :

«L'amitié qui m'unit à la reine de la Grande-Bretagne et que récemment encore elle m'a si affectueusement témoignée, et la confiance mutuelle de nos deux gouvernements, ont heureusement assuré les bonnes et intimes relations des deux Etats..

La fin du paragraphe avait trait à la convention conclue pour remplacer le droit de visite; le vœu des adresses précédentes y était textuellement reproduit:

La convention conclue entre nous pour mettre un terme à l'odieux trafic des esclaves reçoit en ce moment son exécution. Ainsi, par la coopération cordiale des forces maritimes des deux Etats, la traite sera efficacement réprimée, et, en même temps, notre commerce sera replacé sous la surveillance exclusive de notre pavillon. »

Le discours insistait particulièrement sur ce concours des deux puissances, et manifestait l'espoir que, sur les rives de la Plata, leur action commune amènerait le rétablissement des relations commerciales régulières et pacifiques.

Quant à l'Algérie, tout en déplorant les événements fâcheux qui avaient signalé la lutte de l'année écoulée, Sa Majesté ex

primait l'assurance qu'avec l'aide du temps notre persévérance énergique fonderait la sécurité et la prospérité de cette colonie.

On le voit, le silence le plus complet était gardé relativement aux affaires de l'Orient, de la Grèce, de l'Espagne, du Mexique. Il n'était pas parlé non plus de l'expédition projetée contre Madagascar, ni du renouvellement récent de la convention belge (voyez le texte du discours à l'Appendice, p. 1).

Le 29 décembre, la Chambre des députés procéda à l'installation de ses bureaux. Pour la présidence, M.Sauzet était, comme à l'ordinaire, le candidat du parti conservateur; toutes les nuances réunies de l'opposition portaient un seul candidat, M. Dufaure. L'année dernière, on se le rappelle, il avait fallu deux tours de scrutin pour donner à M. Sauzet 177 voix sur 331 votants. Cette année, sur 364 votants, majorité 183, M. Sauzet obtint 213 voix, et M. Dufaure n'en réunit que 147. Le parti conservateur avait donc une majorité absolue de 30 voix, une majorité relative de 66.

Le lendemain, les quatre candidats conservateurs à la viceprésidence furent nommés au premier tour de scrutin: M. Bignon, par 210; M. Lepeletier-d'Aulnay, par 202; M. Debelleyme, par 189: M. Duprat, par 188. L'année dernière, un membre de l'opposition, M. Dufaure, avait été nommé vice-président, et, à un second tour de scrutin, M. Debelleyme ne l'avait emporté que de quatre voix sur M. Billault.

Le parti conservateur eut également la presque unanimité dans la nomination des commissaires de l'Adresse.

Le scrutin pour la nomination des secrétaires donna le même résultat les trois candidats présentés par le parti conservateur, MM. de L'Espée, Boissy d'Anglas, de Las Cases, et M. Lacrosse, présenté par l'opposition, suivant l'usage, et accepté par la majorité, furent nommés au premier tour de scrutin.

Ainsi, l'existence du ministère ne pouvait pas, comme l'année dernière, être mise en cause. L'opposition n'allait avoir qu'à s'occuper d'influer sur l'opinion publique et sur le corps électoral. C'était là une tâche sérieuse à la fin d'une législature. En effet,

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