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mon pays qualifier d'une autre épithète la politique dégénérée de notre nation. Quoi! me disais-je, quiuze ans après la révolution de Juillet, après ce grand jour qui a brillé comme une espérance sur le monde, sur la liberté, sur la diplomatie de la France, serions-nous obligés de consentir à ces paroles? Quoi! je le répète, à quinze ans de date, du jour où la France, se relevant de sa longue prostration, redressait de la même main, dans l'étendard de la République et de l'Empire, le drapeau de sa liberté et de sa gloire, entendrons-nous de sang-froid des mots si pénibles à entendre, si durs à prononcer?

Quoi! on mettrait sa politique, non à l'enchère, mais au rabais de sa grandeur? Et les partis qui se disputent le pouvoir seraient forcés de rivaliser seulement de modestie, de prudence, d'effacement de la légitime ambition de leur pays?

Non, non, je n'adopterai jamais ni l'un ni l'autre de ces programmes. Nous voulons la paix, mais nous la voulons fière et libre, et ouvrant carrière à tous nos développements. Nous ne menaçons pas l'Europe. Nous n'avons pas voulu conquérir, en 1840, en Orient; mais nous ne voulons rien y abdiquer. Si un choc faisait encore, ce qu'à Dieu ne plaise, crouler une partie de ce pays, nous voulons ce que veut le bon sens, c'est-à-dire que ces nombreuses populations chrétiennes, grecques, arméniennes, nestoriennes, qui pullulent sous la population anéantie des Osmanlis, nous voulons que ces grandes populations, qui germent, pour ainsi dire, comme des plantes parasites sur le tronc de l'empire ottoman vieilli, nous voulons que, grâce à nous, elles retrouvent naturellement, instantanément, sans violence, par le concours de l'Europe et surtout de la France, la place, le rang et l'importance qui leur appartiennent.

Que si, pour arriver à ce résultat, il nous fallait, comme on nous l'a dit il y a peu de séances, attendre, pour que la France reprit sa liberté d'action dans les cabinets du monde, que l'Europe changeât d'elle-même de face qu'une constitution libérale et démocratique, comme on nous en donnait l'augure, fût proclamée un beau matin à Berlin, à Vienne ou à SaintPétersbourg, jour que vous pourrez attendre un certain nombre de siècles; que s'il fallait, dis-je, pendant que tout grandit, s'accroit, multiplie autour de nous, sur la mer Noire, autour de la Méditerranée, dans les deux Océans, la France conservât la stature que vous lui avez faite ; que s'il fallait que la révolution française, la révolution entendue dans le sens dans lequel on l'entendait l'autre jour ici, comme un progrès de la civilisation générale, et non pas comme une perturbation du globe; s'il fallait que la révolution française restât un fait isolé, comme on dit, un charbon éteint dans le monde, sans chaleur, sans rayonnements, non pas d'incendie, mais de lueur sur l'univers; que s'il fallait que la Pologne, dont on vous étalait tout à l'heure le martyre, offrit éternellement devant l'Europe les convulsions de sa longue agonie; que s'il fallait que l'Espagne, dont on ne voudrait conserver que le nom, échappant de plus en plus à l'influence, ou plutôt, je me trompe de mot, à l'amitié, à la parenté de la France, s'il fallait que 'Espagne ne recouvrât ni ses colonies, ni ses flottes; que s'il fallait que l'Italie, où le pouvoir despotique s'enracine de jour en jour davantage, fat

punie, par un redoublement du poids de ses chaînes, de tous les soupirs qu'elle pousse vers la liberté et vers nous; que si c'était là, messieurs, le dernier résultat de tous les efforts que nous faisons depuis quinze ans, et que si la Syrie surtout, pour laquelle je suis monté à cette tribune, tendait vainement les mains vers nous et périssait homme par homme pendant que vous délibérez sur la manière de la secourir, oh! je dirais alors: Malheur, non pas à la révolution de Juillet, mais malheur aux hommes d'Etat, de quelque parti, de quelque opinion qu'ils soient! malheur aux hommes d'Etat qui n'ont pu la comprendre! malheur aux hommes d'Etat qui ne sauraient pas concilier, dans les avis qu'ils donnent à la couronne, la sagesse avec l'audace et la grandeur avec la paix !

Mais, messieurs, je ne suis monté à la tribune pour accuser personne ; je ne veux pas faire peser le poids d'une parole de plus ajoutée à toutes celles qui pèsent sur les affaires étrangères de notre malheureux pays; je me confie à M. le ministre des affaires étrangères ; je ne doute pas qu'instruit par l'expérience, éclairé par le témoignage que chaque navire qui revient de la côte de Syrie lui apporte, il ne suive, dans cette affaire, des conseils plus résolus, il ne prenne des mesures plus efficaces, et dans cette conviction où je suis, je suis prêt à m'allier, pour mon compte, à tout gouvernement qui prendra pour base de sa politique la force de la France concentrée dans la Méditerranée. Nos regards, nos budgets, nos forces navales, sont dirigés sur ce seul point de révolte possible avec l'Angleterre; et pour tout dire, en un mot, la France à l'ancre sur la Méditerranée et la main tendue sur l'Orient et vers la Syrie.

Il y aurait beaucoup à faire, répondit M. le ministre des affaires étrangères, pour redresser ce qu'il y avait d'inexact en fait ou d'erroné en idées dans le discours de l'honorable préopinant. Il y aurait beaucoup à faire pour séparer le vrai du faux, l'utile du nuisible. Mais lorsque, d'un côté, il était bien entendu que tout le monde, dans la Chambre, professait la même opinion à l'égard du Liban; lorsque, d'un autre côté, jamais il n'y avait eu plus de chances pour atteindre tôt ou tard le but désiré, à savoir, le rétablissement d'une administration unique et chrétienne dans le Liban, toute lutte sur cette question, tout amendement proposé pour intervenir indirectement dans la solution, ne pourrait que nuire au résultat, au lieu de nous en rapprocher.

Sur la demande de M. le ministre, M. de Lamartine retira son amendement (5 février).

Le 9o paragraphe était relatif aux affaires d'Afrique. Après

quelques observations de M. Bureaux de Puzy sur les peines infligées aux compagnies disciplinaires, le paragraphe fut adopté, ainsi que le 10 et dernier. Puis, M. de Saint-Priest ayant retiré un amendement relatif à la conversion des rentes, on passa au scrutin de division sur l'ensemble de l'Adresse. Le résultat fut l'adoption par 232 voix contre 141. (6 février.)

CHAPITRE II.

QUESTIONS POLITIQUES. — Fonds secrets. - Proposition pour la reprise du projet de loi sur l'instruction secondaire. — Proposition relative aux incompatibilités. Interpellations relatives aux événements de Pologne.

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Fonds secrets. Après les débats si prolongés de l'Adresse, où toutes les questions de politique intérieure ou extérieure avaient été posées et résolues par une majorité peu douteuse, M. le ministre de l'intérieur se borna à demander à la Chambre des députés le crédit annuel de 1,000,000 de francs pour complément des fonds secrets, au nom seulement de l'intérêt du service public. L'opposition et le parti conservateur tomberent d'accord, dans les bureaux, pour ne pas rengager de nou veaux débats. Quelques députés demandèrent que désormais. tous les crédits destinés aux fonds secrets fussent compris dans le budget du ministère de l'intérieur, pour épargner du temps à la Chambre.

A la Chambre des pairs, la discussion des fonds secrets ne fut qu'un prétexte à des interpellations sur les événements récemment survenus dans les provinces polonaises (voyez plus loin, p. 159).

Proposition pour la reprise du projet de loi sur l'instruction secondaire. Après les solennelles déclarations faites, lors de la discussion de l'Adresse, par M. Guizot, et l'ajournement prononcé par M. Thiers, qui en appelait à l'avenir (voyez plus haut, p. 113), on put s'étonner que, sur la fin d'une législature, et lorsque rien de définitif ne pouvait sortir des délibérations de la Chambre des députés, M. Odilon Barrot vint, d'accord avec M. Thiers, demander la remise à Fordre du jour du projet de loi surfl'enseignement secondaire (21 février). Aussi

M. le ministre de l'instruction publique put-il demander si la session actuelle devait être, par quelque raison, plus particulièrement désignée pour soulever de si difficiles débats. Que signifiait donc alors le silence de l'année dernière ? En admettant d'ailleurs qu'il y eût opportunité, le gouvernement n'avait pas l'habitude. d'abandonner à l'opposition et à ses chefs la conduite d'affaires si graves. S'il avait voulu la discussion, il l'eut provoquée; il eût demandé la reprise de la loi pendante devant la Chambre, ou il eût proposé une loi nouvelle. Il ne l'avait pas fait par des considérations qui ne pouvaient s'évanouir en un instant.

La Chambre se trouvait en présence de trois projets profondément distincts. Il y avait d'abord le projet émané du gouvernement et présenté à la Chambre des pairs; le projet très-différent sorti des délibérations de la noble chambre et produit devant la Chambre des députés, enfin, un troisième projet différent des deux autres, qui était sorti des discussions de la commission dont M. Thiers était rapporteur. C'est sur ce dernier projet que la discussion devrait être ouverte; mais le gouvernement ne pensait pas que le moment fût opportun pour tenter la conciliation de ces divers systèmes. Il n'entendait pas décliner ses devoirs, mais il ne croyait pas le moment venu de les remplir.

M. Thiers déclara, à son tour, qu'il avait toujours cherché à élever cette question au-dessus des luttes de partis. C'était éncore en dehors des passions politiques qu'il en demandait la reprise aujourd'hui. La raison du silence de l'année dernière avait été le remplacement du ministre auquel avait succédé M. de Salvandy. Insensiblement, un peu de calme s'était produit dans cette grande controverse, et troubler ce calme, c'eût été prendre le rôle de la provocation.

Aujourd'hui les circonstances étaient bien différentes. L'ordonnance du 7 décembre avait apporté une grave perturbation au régime de l'Université. A cet acte s'était joint quelque chose de plus considérable encore, le discours de M. le ministre des affaires étrangères, qui avait élevé l'acte au rang d'un fait po

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