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changements, si elle a fait des progrès immenses depuis 1803 et 1811, l'Université a marché avec la France. La ramener à ce qu'elle fut en 1808, c'était donc la ramener à son berceau. Cet enfant de la Révolution et de l'Empire avait grandi, s'était développé, et son berceau ne pouvait plus le contenir. Pouvait-on commander au temps de retourner en arrière ? Cette idée du progrès incessant, irrésistible, des choses humaines inspirait à l'orateur ces éloquentes paroles:

Il fallut l'Empereur pour fonder l'Université impériale, mais l'Empereur lui-même ne pourrait la rétablir. Vainement sa voix puissante refoulerait la société française sur elle-même; elle déborderait de toutes parts. Rappelez-vous les cent-jours. Un an à peine s'était écoulé entre le premier et le second Empire. Dans cette année seule, la Charte, la discussion publique, la liberté, avaient transformé la France. Arrivé à Paris, maître absolu de tout, Napoléon sentit que tout lui échappait. Il s'écria, dit-on, avec un étonnewent douloureux : « La France est changée!» Et le bras de l'Empereur est devenu sans force, parce qu'il s'appliquait à un autre temps et à une autre société. Que serait-ce donc aujourd'hui? Toutes les constitutions impériales ont été modifiées, malgré le respect qu'elles inspiraient, non par caprice, mais par nécessité. L'an dernier, vous avez changé toute l'organisation du conseil d'État de l'Empire. Et on voudrait rétablir l'Université impériale dans sa pureté! Je le répète, Napoléon lui-même ne le pourrait pas; ce qui me permet, sans blesser M. de Salvandy, de lui prophétiser qu'il ne le pourra pas davantage.»

L'opinion tout entière de M. Cousin se résumait dans ce dilemme: ou l'on tenterait d'exécuter loyalement les ordonnances du 7 décembre, ou on remettrait en vigueur le décret de 1803, et alors on réaliserait la vérité de ce mot célèbre, qu'une restauration est la pire des révolutions; on bien, averti par l'opinion universelle, on s'arrêterait sur la route fatale où on était entré; on violerait ce même décret de 1808, auquel on sacrifiait aujourd'hui l'ordre et la paix de l'Université. Le seul effet de ces ordonnances serait donc d'avoir dégradé et détruit l'ancien comité de l'instruction publique.

H ne fallait qu'ouvrir les deux décrets pour reconnaitre l'impossibilité de les exécuter aujourd'hui. Voudrait-on, en vertu de l'art. 101 du décret de 1808, astreindre au célibat et à la vie commune les proviseurs et les censeurs des colléges royaux, les

principaux et les régents des colléges communaux? Exigeraiton, d'après l'art. 32, que les professeurs de première classe d'un college royal fussent docteurs és lettres ou ès sciences, etc?... Toutes conditions excessives rapportées par des ordonnances qu'on déclarait aujourd'hui illégales. Exhumerait-on dans le décret de 1811 le fameux titre IV, qui donne à l'Université le gouvernement des écoles secondaires ecclésiastiques, titre abrogé, aux applaudissements de toute la France, par les belles ordonnances de 1828? Si le titre IX du décret de 1808 était inviolable, le titre IV du décret de 1811 ne devrait-il pas l'être également? et si les ordonnances de 1828 sur les petits séminaires étaient légales, comment l'ordonnance de 1829 sur le conseil, qui était du même temps et du même ministère, celui de M. de Martignac, pourrait-elle être entachée d'illégalité?

Il avait plu de faire revivre l'art. 70 du titre IX du décret de 1808, et on s'était hâté d'adjoindre vingt nouveaux conseillers, chaque année amovibles, aux conseillers titulaires à vie. Quel pouvait être le poids et l'autorité de huit conseillers ordinaires perdus en quelque sorte dans les vingt conseillers du service annuel et extraordinaire? Ces vingt membres composant la partie mobile participeraient-ils à la juridiction disciplinaire? Il avait semblé jusqu'ici qu'un pareil tribunal, appelé à décider de Thonneur et de la carrière d'une partie considérable de fonctionnaires, devait être composé exclusivement, ou du moins en majorité, de juges inamovibles placés au-dessus de la crainte et de l'espérance. Ainsi choisis par le grand maître dans des catégories très-nombreuses, ces vingt juges ressembleraient trop à une commission ministérielle.

On avait augmenté, selon les prescriptions du décret de 1808, le nombre de hauts fonctionnaires; mais, à cette époque, un pareil nombre était nécessaire pour suffire aux besoins d'un service immense. L'Empire s'étendait alors de Rome à Hambourg, et l'Université impériale comprenait dans son sein les académies de Turin, de Parme, de Gènes, de Genève, de Liége, de Bruxelles, de Mayence, et bien d'autres encore. Pour supporter

une pareille tête, il fallait un corps tout autrement ample que celui de l'Université actuelle.

La grandeur d'un corps n'est pas seulement, ajoutait M. Cousin, dans le nombre de ses membres, mais dans la force de ses attributions. Or, les attributions que l'Empereur avait faites au conseil de l'Université se ressentent des ombrages du gouvernement de cette époque envers tous les pouvoirs publics; elles ne sont que le fantôme des attributions sérieuses et effectives que deux libres gouvernements ont depuis conférées au conseil royal de l'instruction publique. D'après les décrets impériaux, le conseil n'a pas le droit de connaître, dans les cas douteux, de la régularité des certificats d'études, ni d'intervenir pour vérifier les titres des candidats dans les demandes de brevets de pension, de chefs d'institutions ou de plein exercice. Le grand maître seul accorde ou refuse l'autorisation à qui il lui plaît, pourvu qu'on satisfasse à d'insignifiantes conditions de grade, en sorte qu'il pourrait couvrir la France d'établissements privés dangereux à la société et à l'État, ou étouffer toute concurrence légitime, sans être arrêté par aucun avis ni aucun contrôle. Le conseil demeure étranger à la nomination, à l'avancement ou à la disgrace des professeurs. Cette omnipotence extravagante accordée à un seul homme entouré de tant d'influences, il n'y aurait que l'omnicisme qui pât la justifier. «Voilà, s'écriait l'orateur, le régime raisonnable et libéral qu'on se glorifie de ressusciter! Professeur, j'aurais rougi de le subir; ministre, je n'ai pas consenti à l'exercer.»

Une modification très-grave, selon M. Cousin, était celle qui rappelait les conseils académiques à leur composition première. Dans un temps de pouvoir absolu, d'obéissance prompte et facile, le décret de 1808 avait composé exclusivement les conseils académiques d'officiers et de fonctionnaires d'académie. Mais, depuis, il avait semblé que, le premier magistrat du département, le préfet, que le premier président de la cour royale ou un membre de cette cour, que le procureur général, que le maire de la ville chef-lieu d'académie, des membres des conseils

généraux des départements, enfin des évêques, devaient avoir entrée dans ces conseils. Ces garanties d'intelligence, de bonne justice, de saines influences, on les supprimait aujourd'hui. Était-ce là l'effet d'un attachement superstitieux au décret dé 1808, ou bien était-ce un dessein qui commençait à paraître? Y avait-il dans cette restauration inattendue un acheminement à un ordre nouveau où l'Université ne serait plus qu'une corporation spéciale, au lieu de représenter l'instruction publique tout entière?

Puis, prenant corps à corps les ordonnances du 7 décembre, M. Cousin s'attachait à prouver qu'il n'y avait presque aucun article de ces ordonnances qui ne violât ce décret de 1808 qu'on prétendait faire revivre. Au fond, que voulait-on? L'arbitraire ministériel. Il fallait donc le prendre, mais avec une franchise qui n'eût pas été sans grandeur. « Demandez l'arbitraire si vous en avez besoin, disait admirablement M. Royer-Collard, demandez l'arbitraire; mais ne le déguisez pas sous une parure légale. »

L'orateur terminait ainsi, en réclamant une loi qui raffermît sa première magistrature ébranlée :

Vous discuterez cette loi, messieurs. Lorsqu'il y a deux ans nous rencontrâmes cette importante question, la Chambre semblait étre tombée d'accord sur ces deux choses. Il faut, dans le gouvernement constitutionnel, à la tête de l'instruction publique, un ministre qui, étant seul responsable devant les Chambres, décide seul, non pas de ceci et de cela, mais de tout. En même temps, si l'on veut que l'instruction publique ne soit pas une administration comme celle du commerce et des finances, mais une administration dont la forme est celle d'un corps, il faut entre le corps enseignant et le ministre, personnage essentiellement politique et mobile, un conseil conservateur et modérateur, capable de maintenir l'ordre et la tradition, sans arrêter un progrès légitime, gardien des droits et défenseur incorrup tible de la justice, au milieu des influences qui de tous côtés assiégent le pouvoir; n'administrant pas, mais éclairant l'administration, et présentant sur toutes les affaires de simples avis, mais des avis fondés et autorisés. Fidèles à ces deux principes, vous saurez les concilier, vous ne donnerez au conseil que des droits limités, mais des droits certains; et sourds à toutes les prétentions exagérées, vous vous tiendrez à une égale distance de l'omuipotence d'un homme. Vous prendrez en considération tous les besoins de notre temps. Vous serez trop sages pour répudier les grandes traditions de l'Uni

versité impériale, trop sages aussi pour vous y renfermer par un respect aveugle; et de tout ce qui fut et du peu qui reste encore vous tirerez une œuvre durable, par ce qu'elle aura été faite non pour la France de 1808, mais pour celle dont vous représentez les sentiments et les vœux. L'Université n'a pas dit: Je serai telle que je fus, ou je ne serai point. Non, messieurs, ses principes sont immortels, mais ses formes et sa discipline se renouvellent. Sa force est de suivre la société française dans toutes ses vicissitudes, pour la servir toujours et toujours en être comprise.

⚫ Je demande une loi. »

Cette vigoureuse argumentation, que relevait encore le prestige d'une parole puissante, devait amener à la tribune le ministre dont elle attaquait les réformes. M. le comte de Salvandy se proposa de ramener la discussion à des termes simples et précis.

Avant d'apporter aux Chambres la loi depuis longtemps promise sur l'instruction publique, M. le ministre avait cru de son devoir de compléter le système de l'enseignement, le corps enseignant, l'Université tout entière, dans tout ce que les vicissitudes du temps et des partis avaient apporté d'irrégulier et d'incohérent dans son organisation. Lorsqu'on voulait constituer l'enseignement libre, il fallait être sûr d'abord que le grand corps qui dispense l'enseignement public au pays, que les pouvoirs qui veillent sur la gestion de ce grand corps, étaient coordonnés entre eux, conformes à leur principe, à ce que demandait l'état présent du pays. Cette intention avait été hautement proclamée: on n'avait pas agi dans l'ombre.

Lorsqu'il s'était agi de défendre le conseil de l'instruction publique contre des propositions qui auraient eu pour résultat d'amoindrir ce conseil, lorsqu'il avait été question de transférer à un autre corps de l'Etat le droit de vérifier les programmes de l'Université, alors M. Cousin lui-même, s'étant appuyé sur les décrets impériaux, leur avait trouvé une verta invincible et les avait proclamés des lois de l'Etat, alors il les voulait tout entiers, alors il déclarait que toute ordonnance qui y porterait atteinte était nulle de plein droit (voyez la discussion de la Chambre des pairs, Annuaire de 1845).

Résolu lui-même de ne pas accepter pour l'Université l'en

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