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essentiellement différentes et qui, selon l'honorable orateur, avaient été presque toujours confondues par M. le ministre : d'un côté, les attributions du conseil; de l'autre, sa composition personnelle. Sur le point essentiel, les attributions, l'ordonnance était équivoque. Rendait-elle, ni plus ni moins, les attributions que possédait le conseil impérial, ou en ajoutait-elle quelques autres empruntées aux habitudes de l'ancien conseil? Il y avait là une incertitude complète. A part sa juridiction disciplinaire, les attributions du conseil impérial se réduisaient à peu près à connaître de quelques matières contentieuses et à préparer des règlements d'études. Sur les points importants, sur les vraies affaires de l'Université, on ne le consultait jamais. M. le ministre avait affirmé que le conseil royal n'exerçait pas un droit, ne pratiquait pas une fonction dont il ne trouvât le principe et la lettre dans les décrets. Mais le décret de 1811, en instituant la nécessité des certificats d'études, n'avait pas donné au conseil le droit de connaître de la régularité de ces certificats dans les cas douteux. Le décret de 1808 n'avait pas donné au conseil le droit de connaître des concessions de plein exercice. Le conseil impérial n'avait pas davantage le droit de connaître des autorisations à accorder aux maîtres de pension et aux chefs d'institution. Les affaires les plus sérieuses de l'Université lui étaient donc soustraites. Mais ce qui surtout le condamnait à l'impuissance, c'est qu'il n'avait aucune surveillance effective sur les études, et n'était pas même consulté sur le personnel. L'omnipotence était réellement dans la main du grand maître, qui lui-même était dans la main de Napoléon.

Le conseil nouveau serait-il réduit à cette même impuissance, ou bien conférerait-on au nouveau conseil toutes les attributions qui appartenaient à l'ancien ?

Ici M. le ministre de l'instruction publique ayant répondu à cette question par des marques d'assentiment, M. Cousin prit acte de cette importante déclaration, tout en faisant observer que les attributions d'un conseil ne se confèrent pas verbale

ment, et qu'il n'y a de durables et de certaines que celles qui sont écrites dans une ordonnance,

Mais alors, ajoutait l'orateur, si on conservait au conseil toutes ses anciennes attributions, quelle était donc la signification des ordonnances? Avait-on voulu frapper des individus? Non, sans doute, mais le conseil lui-même, qui, disait-on, génait l'autorité, la responsabilité ministérielle. Mais comment génait-il ainsi? Évidemment, par ses attributions. Or, si on lui conservait ces attributions, comment ne continuerait-il pas à gêner? Ou alors il ne gènait donc pas? Tout ce bruit n'avait donc été fait que pour changer, non pas ce qu'il y a d'important dans les attributions d'un conseil, les attributions, mais ce qui importe le moins, la composition?

Cette composition nouvelle, M. Cousin la trouvait essentiellement vicieuse. Dans la loi sur le conseil d'État, il avait été sagement établi que le service extraordinaire devait être mêlé en une telle proportion avec le service ordinaire qu'il ne pût jamais l'opprimér. Cette proportion, c'était l'égalité de l'un et de l'autre service. Ici, au contraire, en face de dix titulaires qui, en réalité, se réduisaient à huit, on plaçait vingt conseillers extraordinaires, renouvelés chaque année, et formant une commission ministérielle qui put toujours accabler le service ordinaire. De plus, cette majorité ministérielle participerait aux délibérations judiciaires du conseil, malgré l'amovibilité de ses membres. Enfin, trente membres pour un tel corps, c'était, selon l'orateur, un nombre excessif. Ce serait là un conseil moins propre à faire des affaires que des discours, un conseil de luxe, comme sous l'Empire. Ce conseil de trente membres était si bien devenu inutile que M. de Fontanes avait été obligé de tirer du sein du grand conseil, surtout parmi les conseillers en service ordinaire, un certain nombre de membres dont il avait composé un petit conseil privé, un véritable conseil d'affaires (1).

(1) Il est curieux de connaître à ce sujet l'opinion de Napoléon lui-même, Elle

En résumé, selon l'ancien ministre, jusqu'à présent on s'était, sur ce point, jeté tour à tour dans des extrémités contraires. De 1815 à 1828, la grand-maîtrise avait été mise en commission et le conseil avait été ministre, conseil aristocratique et omnipotent où ne pénétrait point la pensée du gouvernement. Aujourd'hui, on condamnait le conseil au néant, de peur qu'il ne gènât, la liberté ministérielle. Il y avait un milieu entre ces deux extrêmes, c'était de donner son avis sur tout et de ne décider sur rien, . éclairant ainsi le ministre et lui laissant la plénitude de sa liberté et de sa responsabilité. Ce régime intermédiaire, ce n'était pas une conception de l'esprit, c'était un état de choses qui avait duré pendant vingt ans, qui avait fait du bien, que des ministres avaient approuvé, maintenu, consacré; et c'était ce régime que, par une innovation rétrograde, on détruisait aujourd'hui, pour revenir à une forme qui avait à peine duré quelques années, que l'Empereur n'approuvait pas, que personne ne pouvait approuver!

Interpellé par M. Cousin, M. le comte de Montalembert vint, à son tour, répondre au nom de ses amis et faire sa profession de foi au sujet des ordonnances nouvelles. L'éloquent apôtre de

se trouve ainsi exprimée dans une conversation racontée par M. de Fontanes (OEuvres, t. 1, p. 91).

Mon opinion est qu'il ne faut pas nommer pendant plusieurs années les conseillers ordinaires. Ici, ordinaires veut dire extraordinaires.

Trente conseillers dans une première formation ne produiraient que désordre et qu'anarchie.

Il ne faut composer successivement cette tête (le conseil) que d'hommes qui aient parcouru toute la carrière et qui soient au fait de beaucoup de choses.

On ne peut être conseiller qu'après un carrière faite.

Souvenez-vous que tous les hommes demandent des places.

«Peut-être même vingt conseillers ordiuaires, c'est beaucoup; cela compose la tête du corps d'éléments hétérogènes. Le véritable esprit de l'Université doit être d'abord dans le petit nombre. Il ne peut se propager que peu à peu, que par beaucoup de prudence, de discrétion et d'efforts persé

vérants.

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Fontanes, savez-vous ce que j'admire le plus dans le monde? C'est l'impuissance de la force pour organiser quelque chose.»

la liberté de l'enseignement ne voyait là rien qui pût le satisfaire; il n'apercevait dans ces modifications aucun motif, pour son parti, d'abjurer ses plaintes, ses principes, ses droits. Si quelque chose, au contraire, pouvait lui faire suspecter les intentions de M. le ministre relativement à la liberté de l'enseignement, c'était cet enthousiasme professé par M. le comte de Salvandy pour les institutions impériales.

Mais, ajoutait l'honorable pair, si M. le ministre n'avait rien fait dans ses ordonnances pour la liberté de l'enseignement, il avait beaucoup fait contre l'Université, telle qu'elle était encore hier; il avait prouvé l'organisation vicieuse du conseil royal, cet instrument principal du monopole, instrument oppressif, illégal, comme le démontraient eux-mêmes MM. Cousin et de Salvandy combattant l'un contre l'autre. Il était ressorti de cette discussion entre universitaires que l'organisation actuelle de l'Université, objet de tant de plaintes, reposait sur l'arbitraire des ordonnances et des décrets, et exigeait impérieusement une refonte constitutionnelle, une loi. M. Cousin avait avoué que ces décrets impériaux, ces chefs-d'œuvre de la sagesse humaine, comme il les appelait autrefois, ne pouvaient se concilier avec l'organisation actuelle de la société et de la législation française. Mais, les décrets, on ne pouvait les invoquer et les désavouer tout à la fois. Par cela même qu'on avait déclaré qu'ils contenaient des choses profondément inconstitutionnelles, profondément incompatibles avec l'organisation de la société moderne, on avait confirmé les plaintes portées contre l'Université, qui repose principalement sur ces décrets. Que disonsnous autre chose, s'écriait M. de Montalembert, si ce n'est que ces décrets sont inapplicables aux mœurs actuelles! Et si l'on répliquait qu'on n'en tenait pas moins pour parfaitement bons et valables les articles de ces décrets dont on avait besoin, l'orateur répondait par ces paroles mêmes de ses adversaires : On ne scinde pas des lois connexes.

On demandait une loi! Mais c'était là une grande et neuve parole, sortie seulement jusqu'à ce jour de la bouche des parti

sans de la liberté de l'enseignement. Ainsi, les plus redoutables adversaires de cette liberté en étaient arrivés à invoquer, eux aussi, ce remède.

M. Cousin trouvait que la France avait marché depuis 1818 et qu'on ne pouvait plus l'enchaîner aux errements de cette époque; mais c'est pour cela qu'ils réclamaient un changement radical dans cette législation de 1818 qu'on leur avait opposée si longtemps comme le nec plus ultra de la sagesse humaine. Il est vrai qu'aussitôt après cet aveu M. Cousin avait paru croire que la France n'avait pas fait un pas depuis 1806, puisqu'il avait invoqué la loi portant cette date, sur laquelle reposait, avait-il dit, l'existence de l'enseignement public en France.

En résumé, il n'y avait, selon l'honorable pair, dans les ordonnances du 7 décembre, qu'une mesure favorable à la prérogative ministérielle, mesure absolument indifférente aux partisans de la liberté de conscience, qui n'avaient autre chose à à faire en ce débat qu'à continuer de réclamer une loi sur la liberté de l'enseignement et à prendre acte des concessions de leurs adversaires.

Un des ministres les plus distingués qui aient jamais été, en France, à la tête de l'instruction publique, M. Villemain, vint apporter dans ce débat l'autorité de son expérience et de son haut talent.

L'éloquent orateur ne pensait pas que, vu les difficultés de la matière et la situation des esprits, une loi pût être faite de longtemps sur la liberté de l'enseignement secondaire. Mais ce n'était pas là un motif suffisant pour détruire brusquement ce qui existait, ce qui avait rendu de grands services. Sans doute, l'organisation nouvellement changée avait été accidentellement établie; elle n'était pas le résultat d'une seule pensée; elle n'avait pas la force et la cohésion d'un système. Mais, par cela même que, proportionnée successivement à divers besoins, il lui avait fallu approprier dans chaque circonstance les moyens employés au but, elle avait, sans bruit, réalisé beaucoup de bien. L'Université, qui, par la faiblesse même de ses développe

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