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lité d'appliquer sérieusement et sincèrement cette règle aux entreprises qui exigent l'emploi de capitaux trop considérables pour pouvoir être réunis à la fois par plusieurs compagnies. Pour celles-ci donc il y a exception forcée. Les opérations moins vastes rentrent naturellement dans le domaine du principe de la concurrence.

Le chemin de Saint-Dizier à Gray serait mis en adjudication. Mais la compagnie concessionnaire ne serait astreinte à construire qu'une seule voie, ce qui constituait une forte diminution dans les dépenses. En second lieu, si, dans le délai de six mois, il ne se présentait pas d'adjudicataires, M. le ministre des travaux publics pourrait faire commencer les travaux. Un crédit de 4 millions fut alloué à cet effet.

Sur la ligne du centre, un crédit de 42 millions fut ouvert pour l'exécution de la partie comprise entre Châteauroux et Limoges. Déjà la ligne d'Orléans à Vierzon était presque achevée, et tous les grands travaux d'art de Vierzon à Bourges étaient assez avancés pour faire espérer l'ouverture du chemin dans un délai d'une année.

Une décision fut prise relativement au chemin de la Méditerranée au Rhin. Le tracé de la vallée de l'Ognon l'emporta sur celui de la vallée du Doubs. Cette direction est, en effet, plus courte, moins dispendieuse, et aura le double effet de desservir de nombreux intérêts, et de protéger la ligne de fer contre les incursions de l'ennemi en cas de guerre.

Aucune résolution définitive ne fut prise relativement à la ligne de Lyon à Avignon. Des conditions onéreuses d'embranchements à construire étaient imposées aux concessionnaires de cette ligne, et dans un moment où la concurrence avait perdu de son ardeur. C'était là une faute grave, car, dans l'état d'avancement des travaux sur la partie comprise entre Avignon et Marseille, et lorsqu'une compagnie sérieuse et forte allait pousser vivement la confection de la ligne de Lyon à Paris, il était fâcheux de voir compromettre, par des hésitations, la construction du tronçon de Lyon à Avignon. Il y aurait sans

doute là, un jour, une solution de continuité déplorable dans la plus importante artère du réseau.

La crise des chemins de fer, peu grave en réalité, si les circonstances étaient restées bonnes, ne tarda pas à se changer en une crise financière des plus sérieuses. Il fallut pour amener ce triste résultat une série de complications impossibles à prévoir.

On se rappelle que, l'année dernière, une maladie nouvelle, inconnue, avait atteint ce tubercule qui, depuis soixante ans, supplée à l'insuffisance des céréales et qui est devenu, dans quelques pays, la nourriture exclusive des classes inférieures. La Belgique, une partie de l'Allemagne, l'Angleterre et surtout l'Irlande avaient été désolées par ce fléau. La France en avait souffert aussi, quoique dans une proportion moins grande. On avait espéré qu'il n'y avait là qu'un accident de végétation, dû à l'influence d'une année pluvieuse. Mais partout la maladie se réveilla, cette année, avec plus d'intensité que l'année dernière.

La récolte de 1845 avait été médiocre. Loin de laisser aucun excédant, elle se trouvait encore diminuée par l'absence ou par la rareté de la pomme de terre. Une année fertile eût comblé tous les vides: une mauvaise année vint accroître le déficit dans des proportions effrayantes. Une sécheresse extraordinaire, tout en donnant au grain une qualité supérieure, en diminua le rendement d'une manière notable. Avant même que la récolte fut commencée, un renchérissement extraordinaire se manifesta. Les demandes de l'Angleterre devinrent de jour en jour plus nombreuses, et, une situation semblable se manifestant au même moment quoique à des degrès différents, chez presque tous les peuples de l'Europe, on put craindre une crise des subsistances.

Un autre fléau vint tout à coup aggraver la situation de la France. Tous les ans des inondations ravagent avec une régu→ larité désespérante la plupart de nos départements. Le déboisement des montagnes, le rétrécissement des cours d'eaux, l'en

caissement des rivières, sont les causes de ces désastres. Cette année, comme à l'ordinaire, les pluies ou les neiges de l'hiver avaient fait déborder le Rhône, la Saône, l'Escaut, l'Aisne, l'Oise. Mais, le 18 octobre, une inondation qui surpassait en horreur tout ce que peut se rappeler la mémoire de l'homme vint désoler une partie de nos départements du centre. Elle commença dans le Puy-de-Dôme par une fonte subite des neiges qui grossit tout à coup non-seulement la Loire elle-même à sa source, mais encore tous ses affluents, entre autres l'Allier et le Loiret; une trombe vint accroître la force dévastatrice du torrent, qui se précipitait vers les plaines de la Touraine en balayant tout sur son passage. L'Allier emporta six ou huit villages disséminés sur sa route et détruisit presque tous les ponts qui le traversaient depuis Anjou jusqu'à Dampierre. Les faubourgs d'Orléans, de Tours, de Blois, furent dévastés, et la Loire rompit ses levées par cent brèches différentes formant ensemble une longueur de 16 kilomètres. A Sandillon, une partie du pont de Vierzon, bâti imprudemment en digue dans le cours de fleuve, fut renversée.

Les malheurs causés par ce fléau furent incalculables. Partout les terres arrachées ou ensablées sur le passage du fleuve, les maisons démolies, les troupeaux engloutis sous les eaux, les provisions de toute espèce perdues, les communes privées de communications entre elles, enfin, et c'était là le plus déplorable, un certain nombre d'individus engloutis et noyés, un plus grand nombre emportés par les fièvres ou par la faim. La charité fut immense; de toutes parts les secours abondèrent soit en argent, soit en nature; des souscriptions furent ouvertes, des loteries autorisées; mais il y avait tant à réparer que la bienfaisance ne put arriver à la hauteur du mal.

Ces désastres nouveaux s'ajoutaient aux pertes nombreuses causées par des incendies qu'avait favorisés la sécheresse. Ainsi, au moment où la vérité commençait à se faire jour sur l'insuffisance de la récolte, les besoins se multipliaient.

Par une première circulaire adressée aux autorités commu

nales, M. le ministre de l'agriculture et du commerce réclama les éléments d'une statistique alimentaire. Mais on sait combien il est difficile d'asseoir sur des bases certaines un calcul semblable aussi ne faut-il pas s'étonner si les résultats de cette enquête furent entachés d'erreur.

Le 16 novembre, une nouvelle circulaire de M. le ministre de l'agriculture et du commerce transmettait aux préfets un aperçu de la situation des subsistances. Le but principal de ce document était de rassurer les esprits contre les craintes exagérées qui avaient été répandues. Si l'année 1845 n'avait pas été favorable, les excédants des récoltes de 1843 et 1844, et une importation de plus de 2 millions d'hectolitres de grains, avaient permis de fournir facilement à tous les besoins de la consom,mation, sans que le prix moyen général de la France, qui avait été pour l'année dernière de 22 fr. 5 cent., se fût élevé à plus de 22 fr. 35 cent. L'état numérique de la récolte de 1845 accusait même, selon M. le ministre, un boni probable, que, du reste, le mauvais résultat de la récolte des pommes de terre devait considérablement réduire. Si donc l'année 1845 n'avait pas légué d'excédant important à l'année courante, elle ne lui laissait du moins aucun déficit à combler.

Quant à la récolte de 1846, M. le ministre reconnaissait qu'elle était généralement inférieure à celle d'une année ordinaire; mais il pensait que ce déficit se trouverait fortement atténué par la bonne qualité des produits, et presque compensé, dans un grand nombre de départements, par l'abondance des récoltes secondaires.

Ces illusions ne tardèrent pas à se dissiper, et l'appel désespéré fait par le commerce aux importations étrangères fournit des indices plus sérieux que l'enquête ne l'avait pu faire. Bientôt les grains admis en franchise encombrèrent les ports de Marseille et d'Arles. Mais, à ce moment, de désastreuses inondations interrompaient toutes les communications dans le centre de la France; les routes étaient défoncées, et l'élévation exorbitante du fret sur le Rhône vint ajouter une difficulté de Ann. hist. pour 1846.

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plus à toutes celles que créait la nature. On ne put voir sans in dignation une compagnie de bateaux à vapeur profiter d'un malheur public pour imposer des conditions plus onéreuses aux transports.

Le gouvernement, du reste, ne se borna pas à attendre de l'effet de la loi qui admettait les céréales en franchise le soulagement des souffrances qui pouvaient résulter du renchérissement des grains: le département de la guerre, qui consomme annuellement 500,000 quintaux de froment, décida qu'il de manderait à l'étranger son approvisionnement de 1846 et de 1847; la marine, dont les achats annuels s'élèvent à 100,000 quintaux, s'occupa de les tirer également du dehors. L'adminis tration des douanes prescrivit dans tous les ports les mesures compatibles avec l'exécution de la loi pour faciliter l'admission des cargaisons de grains. M. le ministre de l'intérieur provoqua de la part des conseils municipaux, la suppression ou tout au moins la suspension des droits d'octroi qui grevaient les grains ou les farines. Tous les ans, la navigation de la mer Noire éprouve, vers la fin de décembre, une interruption de quelques semaines; il était donc du plus haut intérêt, à cause de la rareté et de la cherté du fret, de permettre aux navires venant de cette mer et de la mer d'Azow de multiplier leurs voyages; aussi, sans préjuger la question des quarantaines, qui allait re cevoir très-prochainement une solution, on autorisa les intendances sanitaires à réduire à une simple observation de trois fois vingt-quatre heures, pour les provenances en patente nette de la Turquie, l'Égypte et la Syrie exceptées, la quarantaine de douze jours à laquelle ces provenances étaient actuellement soumises. Enfin les fourgons de l'artillerie furent employés au transport des grains accumulés dans les ports de la Méditer ranée.

De plus, des dispositions spéciales furent prises par M. le mi nistre des travaux publics pour imprimer une plus vive impul· sion aux travaux de l'État, et pour ajouter ainsi de nouvelles ressources à celles que les populations ouvrières trouveraient

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