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les promesses; ils avaient mis de côté tout orgueil nobiliaire et appelé le peuple aux armes, au nom des doctrines de l'égalité la plus absolue. S'il fallait en croire une proclamation de l'archiduc gouverneur général de la Gallicie, en date du 18 février, les nobles auraient fait espérer la suppression de la différence des classes, un partage égal des biens, l'exemption de l'impôt et des charges qui pesaient sur les biens-fonds.

Un mouvement semblable eut lieu en même temps dans la Posnanie prussienne; mais il fut immédiatement comprimé, grâce à l'énergie du gouvernement, grâce aussi à l'état de la classe inférieure, chez qui se sont développés, depuis longtemps, le sentiment de la propriété et l'intelligence des sages libertés. Un assez grand nombre de prisonniers furent faits, sans résistance, aux portes de Posen, et le gouvernement ne prit d'autres mesures de rigueur qu'un arrêté qui référait à la justice des conseils de guerre toute tentative ultérieure de soulèvement dans les districts de Posen, de Marienwerder, de Bromberg et de Dantzick. Encore cette ordonnance justifiée par les circonstances fut-elle adoucie par une disposition qui invitait les généraux commandants à en référer au gouvernement pour l'exécution de toute sentence capitale.

La tranquillité ne fut troublée ni dans la Lithuanie, ni dans la Pologne russe.

Mais à Cracovie, qui avait toujours été, jusqu'à présent, le foyer des insurrections polonaises, les choses n'en allaient pas ainsi un gouvernement provisoire y fut constitué le 22 février.

Il était impossible de ne pas reconnaître une apparence de communisme dans le manifeste du nouveau gouvernement polonais. On y remarquait les passages suivants : « Tâchons de conquérir une communauté où chacun jouira des biens de la terre d'après son mérite et sa capacité. Qu'il n'y ait plus de priviléges, que celui qui sera inférieur de naissance, d'esprit ou de corps, trouve sans humiliation l'assistance infaillible de toute la communauté, qui aura la propriété absolue du sol, aujourd'hui pos

sédé tout entier par un petit nombre. Les corvées et autres droits pareils cessent, et tous ceux qui auront combattu pour la patrie recevront une indemnité en fonds de terre, prise sur les biens nationaux, »

L'exagération de ces promesses avait eu pour but de surpasser auprès du peuple les promesses parallèles de l'Autriche, qui, depuis longtemps, disait-on, travaillait l'esprit des classes inférieures dans un sens de haine et de vengeance contre leurs seigneurs.

Il est juste de dire que, même avant l'insurrection, la ville de Cracovie était occupée par un détachement de troupes commandé exclusivement par le général Collin, à Podgorcze. Le pouvoir du sénat n'y avait jamais été que fictif.

Il était donc naturel que les Autrichiens prissent possession définitive de la ville, en présence des événements qui venaient de s'y accomplir. Une proclamation du sénat, dictée par le général Collin, donna une apparence de légalité à la prise de possession, en requérant comme spontanément les forces autrichiennes. L'entrée des troupes n'eut d'ailleurs pas lieu sans confit; quelques coups de feu furent tirés des fenêtres des maisons. Mais cette échaufourée ne coûta la vie qu'à deux personnes. En même temps, le bruit se répandit que plusieurs nobles des environs, à la tête des paysans, étaient en marche sur la ville. En effet, les gentilshommes Patelsky, Etzelsky, Belly et Bocztowsky, venant de différentes directions, s'étaient mis en mouvement à la tête de hordes de paysans armés de faux. Bocztowsky fut tué dans une attaque dirigée par quelques Autrichiens envoyés à sa rencontre; les deux autres approchaient de la ville sans résistance. On disait que Patelsky était à la tète de deux mille hommes bien armés.

C'est à ce moment que le général Collin apprit la nouvelle de l'insurrection de Gallicie. Sans attendre le comte Patelsky, les Autrichiens évacuèrent la ville dans un désordre complet. Ils abandonnèrent également Podgorcze, en y laissant tout un arsenal d'armes et de munitions, et d'assez

grandes valeurs en billets de banque. Ils reculèrent jusqu'à Wieliezka, et quittèrent bientôt cette ville en y laissant encore des armes et une cassette contenant 160,000 florins en billets. Le mouvement fut si rapide, que les troupes autrichiennes, prenant la route de Lemberg, se rapprochèrent en quelques heures de Bochuva.

C'était presque une fuite. Il est vrai que les troubles de Gallicie, dont la gravité ne pouvait encore être appréciée, justifiaient jusqu'à un certain point ce mouvement rétrograde; nul doute que, si les paysans galliciens avaient fait cause commune avec les insurgés de la noblesse, le corps du général Collin, pris entre deux feux, n'eût été dispersé ou massacré jusqu'au dernier homme.

Mais, tandis que le général Collin recevait la nouvelle de l'approche du comte Patelsky, celui-ci, apprenant que le général s'avançait vers lui, prenait la fuite et disparaissait avec quelques partisans.

Le sénat s'était dissous, et les membres avaient pris la fuite avec les Autrichiens. Plusieurs bourgeois notables se réunirent alors dans la maison du comte de Wodziki, pour former un comité de sûreté et un gouvernement provisoire; mais la fuite des Autrichiens et l'exagération des nouvelles de Gallicie avaient tellement monté les esprits, que l'opinion populaire se prononça pour un mouvement insurrectionnel. Le sénat fut dissous, un comité de salut public fut institué, et trois dictateurs se constituèrent en gouvernement provisoire de toute la Pologne. On organisa la milice, on procéda à la formation d'un régiment de Krakuses. Un club national fut institué sous la direction de M. Dembowsky.

Un dictateur fut nommé pour organiser le mouvement et marcher à la tête d'une armée au secours des Galliciens. Ce fut d'abord M. Lissowsky, jeune médecin de vingt-six ans; puis bientôt M. Tissowsky prit sa place. Puis, un professeur de l'Université, M. Wisziewsky, réussit à renverser ce fantôme de gouver nement, et à son tour fut déclaré traître, et livré, séance

tenante, au tribunal révolutionnaire, qui prononça son acquittement.

Cependant, l'esprit révolutionnaire se manifestait d'une manière plus digne de la Pologne. La ville de Wieliezka, séparée depuis soixante et dix ans de la mère patrie, envoya une procession à Cracovie. Des prières solennelles furent faites pour la délivrance de la Pologne; mais, le soir même, les choses changaient de face. Les Autrichiens, revenus de leur panique, s'avancèrent vers Cracovie. Une partie de la procession de Wieliczka fut surprise, et trente-deux prêtres furent faits prisonniers. Le soir même, le général Collin reprit Podgorcze.

A peine arrivés à Podgorcze, les Autrichiens braquèrent des canons sur Cracovie et menacèrent de bombarder. Le dictateur se prononça d'abord pour la défense, et ordonna de faire des barricades; mais, les bourgeois les plus notables lui ayant fait entrevoir la témérité d'une résolution semblable, et les malheurs qu'elle pourrait attirer sur la ville, il fut résolu qu'on entrerait en négociations avec le général Collin.

Une fois la Gallicie pacifiée, il était impossible aux insurgés de Cracovie de tenir dans la ville. Il ne leur restait que de risquer le passage de la Vistule pour pénétrer dans la Gallicie au-dessous de Podgorcze; mais tous les passages étaient bien occupés, et les eaux de la Vistule sont très-élevées dans cette saison. On envoya donc, en qualité de parlementaires, deux Français qui habitaient depuis longtemps la ville; mais le général Collin répondit qu'il n'entrerait pas en négociations avec des Français, qu'il voulait, avant tout, parler à des bourgeois de Cracovie. Un nouveau comité de sûreté se forma alors; ce comité était composé de M. Wodziki, du banquier Wolf et du docteur Hectzel. Ces trois hommes s'étant rendus auprès du général Collin, celui-ci demanda : 1o que la ville se rendît à discrétion; 2o qu'on lui donnåt des otages, afin d'être sûr que personne ne tirerait sur ses troupes; 3° qu'on livrât tous ceux qui auraient pris part à l'insurrection.

A ces conditions, les envoyés de la ville répondirent que la

ville ne s'était nullement insurgée, qu'en face de l'éloignement tant soit peu rapide des troupes autrichiennes, il avait bien fallu constituer une espèce de gouvernement. L'administration révolutionnaire, ajoutaient-ils, n'était qu'un épisode auquel la ville n'avait guère pris part. Si le général n'était pas parti d'une manière si imprévue, il n'aurait jamais été question, à Cracovie, d'une insurrection quelconque.

Le général Collin ayant insisté pour avoir des otages, les commissaires se retirèrent sans que rien fut conclu.

Le lendemain, le comité de sûreté envoya au général Collin une dépêche dans laquelle il le priait de renouer les négociations et d'avoir égard à la position critique de la ville. Cette dépêche était conçue en des termes soumis, mais fermes; elle en appelait à l'humanité du général, et faisait la part des innocents et des coupables. Mais le général Collin répondit qu'il n'avait pas de pouvoirs pour entrer en négociations, et qu'il laissait encore à la ville douze heures pour réfléchir.

Les forces des insurgés étaient considérablement réduites. De 5,000 combattants, la moitié à peu près formait les colonnes vaincues et dispersées dans les combats de Gdow, Wieliczka et de Podgorcze; l'autre moitié était restée dans la ville. Dans la nuit du 2 au 3 mars, les insurgés évacuèrent Cracovie, et le 3, de grand matin, une députation conduite par le sénateur Kopf se présenta au quartier général autrichien, et y annonça la formation d'un comité de sûreté. Après avoir reçu la députation, le général Collin publia un ordre du jour par lequel il mettait provisoirement sous la protection de son corps d'armée la bourgeoisie de la ville, mais aux conditions sui

vantés :

1o La ville de Cracovie livrerait tous les chefs rebelles qui se trouveraient encore dans ses murs; 2o les habitants seraient entièrement désarmés; 3o quiconque, pendant l'occupation autrichienne, serait trouvé les armes à la main, passerait devant un conseil de guerre dans les vingt-quatre heures; 4° le sénat actuel de Cracovie serait chargé, sous la présidence du sénateur Kopf,

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