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CHAPITRE VIII.

Révolution radicale de Vaud. Luttes religieuses.

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Situation

SUISSE. du gouvernement de Lausanne. Révision de la constitution à Berne. Vote des assemblées populaires. — Constituante. - Réformes radicales. — Destitution de neuf conseillers d'État - Communisme à Zurich.— Réaction catholique dans le Tessin. — Conférence des sept Etats catholiques. Ouverture de la diète. — Vote relatif à la conférence catholique. - Révolution de Genève. Actes du gouvernement nouveau. - Attitude des partis. — Résolution du corps diplomatique.

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SUISSE.

L'événement le plus important des derniers jours de l'année 1845 avait été une révolution consommée à Lausanne dans le sens le plus radical.

Une des conséquences les plus graves de la révolution vaudoise, c'était la situation faite à l'Église dans ce canton. De tous côtés, arrivaient les démissions des pasteurs. Les persécutions dirigées par le gouvernement révolutionnaire contre l'Église établie, et l'incroyable prétention élevée, par MM. Druey et Delarageaz, de reconstituer une Église officielle, avaient fait déserter la plupart des paroisses par leurs desservants. Partout les anciens paroissiens se groupaient auteur de leurs véritables pasteurs, et les services religieux se célébraient dans des maisons particulières. Le clergé gouvernemental, de son côté, ne trouvait à se recruter que parmi les gens déconsidérés.

Aussi, en présence des antipathies générales soulevées contre l'Église prétendue nationale, fallut-il faire des concessions. Le conseil d'État adressa, le 24 décembre 1845, une circulaire aux préfets et aux municipalités. Il commencait par rejeter sur les ministres démissionnaires la responsabilité du désordre qui régnait dans l'Église. Mais, pour répondre au reproche de persécution, il déclarait laisser libre le culte à domicile, et enga

geait les municipalités à veiller à ce qu'il ne fût pas troublé par des désordres. Cette tolérance tardive et involontaire ne devait que hater la désorganisation de l'Église officielle.

Dans ces circonstances difficiles, et pour s'abriter derrière une approbation puissante, M. Druey fit appel au gouvernement anglais et sollicita de lui une note favorable à ses actes politiques. La réponse de lord Aberdeen fut des moins satisfaisantes. Le ministre y déclarait que le gouvernement britannique avait vu avec surprise qu'un canton soi-disant libéral se montrât aussi peu jaloux de la liberté civile et religieuse, et que, à son sens, la marche adoptée par le gouvernement de Lausanne, dans les affaires religieuses, devait nécessairement préparer de nouveaux troubles au canton et à toute la confédération.

L'anarchie se défie des lumières. Aussi, l'Académie de Lausanne, cette ancienne et respectable fondation, due à la paternelle administration des Bernois, dut-elle subir le sort commun de toutes les autres institutions nationales. A la suite d'une dernière désorganisation de cet établissement, tous les anciens professeurs, à l'exception d'un seul, furent destitués à la fois, comme ayant cessé d'être agréables au pouvoir. Les étudiants en masse signèrent une chaleureuse protestation contre cette mesure qui menaçait d'un complet anéantissement une des institutions scientifiques qui honorent le plus la Suisse. Un des membres les plus éminents de ce corps, M. Vinet, fut spécialement éliminé, comme atteint et convaincu d'avoir fréquenté les assemblées de l'Église libre.

L'Académie de Genève, contemporaine de la réformation, et qui a brillé si longtemps dans le monde, était menacée d'un sort semblable; elle devait aussi bientôt subir un remaniement radical, en haine de ce que la presse révolutionnaire nommait aristocratie scientifique.

Un incident assez grave vint compliquer la situation du canton de Vaud, déjà rendue si difficile par les embarras d'une révolution récente. M. Bluntschli, en ouvrant, comme prési

dent, la session du grand conseil de Zurich, jeta un coup d'œil sur la situation actuelle de la Suisse; il montra ce qu'était devenu le canton de Vaud depuis qu'il avait subi la violence d'une révolution, et protesta avec énergie contre la tendance du parti dominant.

Ce langage, de la part d'un haut fonctionnaire, causa une très-vive irritation dans le canton de Vaud. M. Druey, son dictateur, présenta au grand conseil une motion tendant à demander des explications et au besoin réparation au canton de Zurich. Malgré les sages résistances de la minorité, une résolution fut adoptée qui « repoussait avec indignation les paroles outrageantes et calomnieuses prononcées par le président du grand conseil directeur de Zurich, et chargeait le conseil d'État de transmettre cette protestation au gouvernement du canton de Zurich et d'insister sur une prompte réparation. >> Mais la plus funeste conséquence de la révolution vaudoise fut l'influence qu'elle exerça sur un des cantons les plus importants de la confédération, celui de Berne.

Le grand conseil du canton de Berne s'assembla le 12 janvier.

La question de la révision de la constitution y fut agitée dès la première séance. Trois opinions essentielles s'y firent jour: l'une, soutenue par le parti conservateur, dit parti BloschSchnell, repoussait toute révision comme dangereuse dans les circonstances actuelles et comme n'étant pas dans les vœux de -la majorité du peuple; l'opinion qui voulait réviser par une constituante avait pour organes les membres du grand conseil qui avaient convoqué les assemblées populaires, entre autres le président de la cour d'appel, M. Funk; la troisième opinion, enfin, celle qui, se tenant rigoureusement dans la constitution, ne voulait une révision que par le grand conseil, était défendue par plusieurs orateurs.

Si le grand conseil repoussait les vœux des assemblées populaires, il paraissait à craindre que Berne ne fût investie par les

populations du Seeland et de l'Oberland: aussi le gouvernement prenait-il des mesures en cas d'attaque.

Mais les dangers les plus sérieux étaient encore ceux du dedans. Pendant que les délibérations du grand conseil se continuaient lentement et sans donner de résultat, la question marchait plus vite en dehors du conseil. Les meetings populaires se multipliaient. Le grand comité de l'association dite nationale se réunit et prit la résolution de se constituer en permanence, afin d'être prèt à tout événement si le grand conseil ne répondait pas au vou du peuple. Le comité décida, en outre, qu'il enverrait aux deux avoyers une députation chargée de leur faire un rapport explicite sur l'état de l'opinion et de leur représenter les suites fâcheuses que pourrait entraîner ce que le comité appelait l'obstination du grand conseil.

Ainsi, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif se trouvaient en danger d'ètre débordés par les fauteurs de l'agitation populaire dans le canton le plus important de toute la Suisse.

Le vote des assemblées populaires eut pour résultat la convocation du grand conseil en session extraordinaire pour le 12 février. La circulaire de convocation constatait officiellement que 22,283 voix s'étaient prononcées contre le gouvernement actuel, qui n'avait trouvé parmi les votants que 9,365 défenseurs. Le grand conseil ne devait se réunir que pour abdiquer en faveur d'une assemblée constituante qui serait nommée par le peuple.

La réforme de la constitution cantonale de Berne, œuvre des législateurs radicaux de 1831, était-elle le but sérieux de ces émotions populaires, ou n'y avait-il pas plutôt derrière ces violences la pensée d'une révolution fédérale et d'une alliance offensive contre les cantons conservateurs avec les cantons révolutionnaires repoussés, l'année dernière, des murs de Lu

cerne?

Le 12 février, le grand conseil adopta, à la majorité de 125 voix contre 25, les propositions formulées la veille par le conseil exécutif, en vertu desquelles la révision de la constitution

serait confiée à une assemblée constituante directement nom

mée par le peuple.

C'étaient là les préliminaires d'une révolution; elle éclata bientôt.

Neuf membres du conseil exécutif, à la tête desquels s'était placé M. Neuhaus, avaient, par une déclaration en date du 27 janvier, exprimé l'opinion qu'ils regarderaient l'établissement d'une assemblée comme uue violation de la constitution. Aussi, le 15 février, une motion fut soumise au grand conseil, ayant pour but de sommer ces neuf conseillers de promettre officiellement, par une déclaration publique, leur loyal concours au nouvel ordre de choses. Mais, à l'ouverture de la séance, il fut décidé que les neuf membres en suspicion n'assisteraient pas à sa délibération. La commission, composée des auteurs mêmes de la motion, et présidée par M. Ochsenbein, l'ancien chef des corps francs, posa des conclusions favorables à la proposition, qui fut votée à une grande majorité.

Le lendemain, dans un discours ferme et digne, M. Neuhaus déclara, en son nom et en celui de ses collègues, n'avoir rien à changer à leur déclaration collective du 27 janvier. Les discussions violentes provoquées par cette réponse de M. Neuhaus à la motion de la veille furent brusquement arrêtées par la clôture de la session, prononcée par le landamman.

Le grand conseil, réuni le 4 mars, prononça la destitution des conseillers d'État signataires de la déclaration du 27 janvier. C'étaient, avec M. Neuhaus, vice- avoyer, MM. Weber, Steinhauer, Leibundgeet, Begler, Jaggi, Schmalz, Bandelier, Dahlez.

Cependant l'assemblée constituante se réunit bientôt, et une commission instituée par elle posa' les bases d'une constitution nouvelle. Elles étaient telles qu'on pouvait les prévoir pour principe fondamental, la souveraineté du peuple et le suffrage universel; tous les citoyens du canton et tous les citoyens suisses domiciliés depuis une année dans le canton seraient électeurs à 21 ans et éligibles à 25 ans ; le canton serait divisé en districts

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