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Aujourd'hui ces causes latentes agissaient encore contre le ministère Miraflorès. Mais ces crises, dont on ne pouvait expliquer la cause réelle, atteignaient profondément la sincérité du gouvernement représentatif. Le pouvoir parlementaire vit dans la retraite du cabinet une insulte à ses prérogatives, et, le 16 mars, le congrès fut convoqué pour s'occuper de la crise.

La séance fut une des plus orageuses qui aient jamais marqué dans l'histoire parlementaire de l'Espagne. M. Egaña interpella les secrétaires de la chambre, et les accusa d'avoir, par une convocation illégale, tenté une intervention illégitime dans des affaires qui ne regardaient que la couronne. Le général Pezuela adressa, dans ce sens, des paroles injurieuses au président. M. Egaña et quelques-uns de ses amis se retirèrent de la séance pour n'ètre pas, disaient-ils, complices du scandale qui allait s'y commettre, et le général Pezuela dut quitter la séance pour n'ètre pas arrêté par les huissiers, à qui M. Castro y Orozco venait de donner l'ordre de le faire.

Alors M. Posada Herrera proposa à la chambre de déclarer qu'elle approuvait la conduite de son président. La prise en considération de cette proposition fut adoptée à la majorité de 111 voix contre 26: après quoi la discussion s'engagea sur la légitimité de la convocation et de l'intervention parlementaire dans la crise ministérielle. Pour la première fois depuis l'établissement en Espagne du gouvernement représentatif, le vote eut lieu au scrutin secret; 111 voix contre 41 approuvèrent la convocation.

La chambre aborda enfin la véritable question, celle de la crise ministérielle. Aux interpellations qui lui furent adressées à ce sujet par M. Gonzalez-Romero, M. le marquis de Miraflorès répondit, premièrement, que la reine n'avait donné au ministère aucun motif de croire qu'il eût perdu sa confiance; secondement, qu'il régnait entre les membres du cabinet l'union la plus parfaite; troisièmement, qu'il comptait toujours sur la bienveillance du congrès. Par conséquent, aucun fait ne lui semblait menacer l'existence du gouvernement.

Cependant, malgré les déclarations de M. Miraflorès, malgré les manifestations de la majorité du congrès, le 17, un nouveau ministère fut constitué de la manière suivante : le général Narvaez, président du conseil et ministre de la guerre ; le maréchal de camp don Juan de La Pezuela, inspecteur général de cavalerie, ministre de la marine; M. Pedro Egaña, ministre de la justice; M. Francisco de Paula Orlando, intendant général militaire, ministre des finances; M. Xavier Burgos, ministre de l'intérieur. Le portefeuille des affaires étrangères était confié, par intérim, au général Narvaez.

Les premiers actes du nouveau ministère Narvaez furent significatifs. Des destitutions nombreuses atteignirent les ennemis personnels du général : le chef politique de Madrid, M. Arteta, le général Concha, capitaine général des provinces basques, le colonel Turon, M. Mendoza, furent révoqués de leurs fonctions. M. Arteta fut remplacé par le général don Trinidad Balboa, homme qui s'était fait remarquer dans la Manche par des actes nombreux d'atrocité, et qui dut quelques jours après céder la place à M. Sabater. Le général Cuevillas, ancien chef des troupes de don Carlos, fut nommé capitaine général de Valence. Don Antonio Urbistondo, qui avait servi sous les mêmes drapeaux, fut nommé capitaine général des provinces basques, en remplacement du général Concha. Ces nominations avaient une signification d'autant plus grande que M. Egaña et le général Pezuela passaient pour appartenir à la fraction ultra-monarchique.

Les craintes inspirées par ces premiers actes ne furent que trop justifiées par un décret, en date du 18 mars, par lequel la liberté des journaux était restreinte au point que l'on pouvait dire abolie de fait la liberté de la presse. Aucune gravité dans les circonstances ne justifiait une pareille mesure; la royauté n'était pas attaquée, l'ordre matériel n'était troublé sur aucun point. Fallait-il done croire que cette réaction avait un caractère tout personnel d'animosité contre les ennemis du général Narvacz?

L'impression produite par ce décret fut grande, mais seulement dans les limites de la presse quotidienne. La plupart des journaux progressistes et conservateurs cessèrent de paraître, la presse périodique n'ayant plus aucune des garanties que lui assurait la constitution.

En même temps, le ministère prorogeait indéfiniment les cortès, mesure inévitable, puisque le congrès ne pouvait que lui refuser son concours après le vote de confiance qu'il avait accordé au ministère précédent. On voulut voir dans la prorogation une arrière-pensée hostile au gouvernement représentatif; mais la nouvelle loi électorale fut promulguée presque aussitot après.

Au reste, le ministère Narvaez, né d'intérêts personnels et d'intrigues de palais, ne tarda pas être renversé par les mèmes causes qui l'avaient élevé. La question qui, en apparence, divisa le nouveau cabinet fut celle des marchés à termes; mais ce n'était là qu'un prétexte derrière lequel se cachait toute une révolution de cour. Le 7 avril, le général Narvaez, qui, deux jours avant, avait donné sa démission, dut quitter l'Espagne immédiatement et se retirer en France; toutes ses créatures furent destituées.

Le chef du nouveau ministère constitué le 5 avril était M. Isturitz, président du conseil et ministre des affaires étrangère; MM. Mon, Pidal et Armero reprirent les portefeuilles qu'ils avaient dans l'ancien ministère Narvaez; M. Diaz-Caneja fat appelé au ministère de grâce et de justice, et le général Sanz, autrefois commandant de Barcelone après le renversement d'Espartero, fut nommé ministre de la guerre.

M. Isturitz arrivait à la direction des affaires du pays au milieu de graves circonstances: depuis quelques jours, la révolution reparaissait en Espagne. Lugo, capitale de la province de ce nom, venait de s'insurger contre le général Narvaez; la Galice suivit ce fatal exemple, et les pronunciamientos de plusieurs villes importantes demandaient la constitution de 1837 et l'infant don Enrique comme mari de la reine. Le général Concha

partit en toute hâte pour la Galice; mais ses mouvements furent bientôt paralysés par la nouvelle de l'entrée en Espagne du général Iriarte par la frontière portugaise. Dès lors le caractère du mouvement se dessina de plus en plus; le drapeau des insurgés ne fut plus l'opposition contre le général Narvaez ou le mariage de l'infant don Enrique, mais la junte centrale. Il n'y avait là qu'une tentative espartériste.

Cependant la révolte s'étendait. Le 9 mars, Vigo se prononça, Tuy se souleva le 10, et le mouvement fut suivi par les bourgs de Caldas, Padron, Carril, Estrada, Redondela, Guardia, Bayona et Cambados. Les insurgés attaquèrent Orense et Sigueira; une junte fut installée à Pontevedra. Santiago, ancienne capitale du royaume de Galice, se prononça à son tour. Quelques bataillons révoltés grossirent les forces des insurgés.

Il n'y avait pas de temps à perdre. A la tête des troupes qu'il amenait de Valladolid, le général Concha marcha sur Iriarte et l'atteignit au moment où celui-ci se disposait à attaquer Astorga. Le résultat de cette rencontre fut décisif; les insurgés laissèrent entre les mains du général Concha leurs armes et bagages, et 165 prisonniers appartenant aux compagnies du régiment de Zamora et de Pontevedra, qui s'étaient soulevées à Valencia-de-don-Juan. Iriarte prit la fuite avec quelques chevaux et ne put être atteint.

Après un faux mouvement sur Lugo, qui ne put être attaqué faute d'artillerie, le général Concha opéra sa jonction avec les forces du général Villalonga, capitaine général de la Galice. L'armée royale fut divisée en trois corps : l'un, destiné à couvrir la frontière du Portugal, fut laissé à Orense; l'autre fut dirigé sur Lugo avec la grosse artillerie; le troisième, à la tête duquel se mit le général en chef lui-même, manœuvra entre Orense et Santiago, au centre du pays occupé par les insurgés. Ces derniers, au nombre de 2,000 hommes, commandés par un des chefs de l'insurrection, de Solis, se retirèrent sous les murs de Santiago; et, après un vif engagement, le commandant de

Solis fut forcé de se réfugier dans cette ville. Le général Concha, profitant de son premier succès, pénétra de vive force dans Santiago et remporta une victoire complète sur les insurgés. Un grand nombre de rebelles furent mis hors de combat. Le commandant de Solis, deux autres chefs de l'insurrection, 54 officiers et 1500 insurgés, presque tous soldats des divers corps de l'armée, tombèrent au pouvoir des troupes de la reine. La plupart des officiers prisonniers avaient servi dans le régiment de Luchana ou dans les corps privilégiés d'Espartero.

Cette victoire, remportée le 27 mars par le général Concha (1), arrêta le mouvement insurrectionnel de la Galice. Les villes prononcées ne purent tenir contre les forces du gouvernement, et le dernier acte qui parut nécessaire pour faire rentrer la province dans le devoir fut l'exécution du commandant de Solis et de 18 autres officiers, faits prisonniers à Santiago, qui furent passés par les armes.

Mais on comprit bien vite que la clémence était ici plus utile que la rigueur. Un décret d'amnistie fut publié le 1er mai il y était accordé grâce de la vie à ceux des rebelles qui pourraient être encore condamnés à la peine capitale par les conseils de guerre devant lesquels ils seraient traduits.

Un bando, dont la violence contrastait singulièrement avec cette attitude clémente du gouvernement, avait été publié au commencement de l'insurrection par le général Balboa, gouverneur de Madrid sous le dernier ministère Narvaez, et placé récemment à la capitainerie générale de la Vieille-Castille. La peine de mort, sans aucune forme de procès, y était portée contre toute personne soupçonnée de pactiser avec la révolte. L'atrocité de ce décret fit révoquer immédiatement de ses fonctions celui qui l'avait rendu. Quant au général don José de la Concha, il fut promu au grade de lieutenant général.

Tant qu'avait duré l'insurrection, on n'avait pu exiger du

(1) Don José: son frère, également général, se nomme don Manoel de la Concha.

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