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contentèrent de brûler une partie de la ville avec tout le cantonnement européen, les casernes, les hôpitaux, l'église protestante et la chapelle catholique; puis ils se retirèrent à la distance d'une demi-lieue, dans un jongle (fourré trèsépais de joncs et de bambous), où ils se mirent activement à l'œuvre pour se retrancher contre le général Grey, qui s'avançait.

L'attaque des retranchements fut meurtrière. Vainement l'artillerie anglaise de gros calibre avait-elle joué avec une rare précision, pendant longtemps le feu ennemi y répondit avec vivacité. Le gouverneur général pensa que l'affaire devait être décidée et les positions ennemies enlevées au fusil et à la baïonnette. La brigade du colonel Staly s'ébranla; l'artillerie s'élança au galop; 120 pièces d'artillerie tonnèrent à la fois sur, les bords du Sutledge. Le carnage fut terrible. Un moment, on regarda comme impossible d'enlever les retranchements; enfin, les 10 et 53° d'infanterie, les 43o et 59o des cipayes, exécutèrent une charge combinée avec hardiesse. La brigade du colonel Ashburnam appuya celle du colonel Staly. Les généraux Gilbert et Smith, pour faire diversion, meuaçaient d'autres points des retranchements. Le sabre à la main, les Sikhs s'efforçaient de regagner les positions enlevées à la baïonnette. Pendant ce temps, les sapeurs faisaient des trouées aux retranchements. La cavalerie, sous les ordres de sir John Tackwile, se rua par ces ouvertures. Le 3e dragons enfonça les corps ennemis et sabra ses artilleurs à leurs pièces. Alors commença pour les Sikhs une effroyable déroute. Le pont de bateaux qui seul pouvait leur servir à repasser le Sutledge fut coulé bas, et, pendant deux heures, l'artillerie anglaise ne cessa de jouer sur les masses épaisses qui s'efforçaient de traverser la rivière.

Cette affaire avait coûté aux Anglais 2,383 hommes hors de combat, dont 17 officiers tués et 97 blessés.

Après cette bataille dite de Sobraon (10 février), qui achevait d'écraser l'armée sikhe, la Ranie, effrayée, chargea le pre

mier ministre Gholab-Singh d'aller implorer la clémence des Anglais. Selon l'habitude des Asiatiques, il se munit, pour se rendre favorable le gouverneur général, de riches présents au nombre desquels étaient deux éléphants, douze chevaux, et soixante mille roupies. Gholab-Singh envoya des messagers à lord Hardinge pour lui annoncer sa mission. Il laissa la ville de Lahore sous la garde du nudjib ou milice, en fit sortir les troupes sikhes, et partit dans l'après-midi du 14.

Pendant ce temps-là, le gouverneur général s'avançait sur Lahore et arrivait ce jour même à Kussour, environ à deux jours de marche de la capitale. Il s'y arrêta pour donner le temps à l'arrière-garde de l'armée de traverser le Sutledge et de le rejoindre.

Gholab-Singh arriva à Kussour le 16, quatre heures après le temps qu'il avait lui-même fixé. Il fut reçu avec une réserve froide et hautaine; ses présents furent refusés, et lorsqu'il essaya d'entamer les négociations avec le gouverneur général, ce dernier ne voulut pas même condescendre à discuter avec Gholab-Singh, et le renvoya au secrétaire du gouvernement, M. Currie, et à l'agent politique, le major Lawrence. La conférence se prolongea fort avant dans la nuit ; les conditions imposées par les Anglais étaient: la cession du territoire au sud-est de la rivière Beyah, appelée par les Anglais Beas; le payement d'une somme de 1,500,000 liv. st. (environ 37,500,000 francs), dont un tiers immédiatement, un tiers à une époque rapprochée, et un tiers en 1848; la remise aux Anglais des canons dont ils ne s'étaient pas emparés, et enfin le licenciement de l'armée avec promesse de ne pas la réorganiser de

nouveau.

Le 17, une autre conférence eut lieu; elle dura dix heures, et Gholab-Singh accepta telles quelles les conditions de lord Hardinge.

Lorsque ce chef quitta le camp, le gouverneur général lui fit entendre qu'il désirait que le maharajah vint le trouver à son camp; il lui avait d'ailleurs expédié une dépêche à cet effet. Le

jeune Dhulip-Singh, informé de l'issue de la mission de GholabSingh, avait prévenu le désir ou plutôt l'ordre du gouverneur général, et s'était mis en route, emportant avec lui, comme son premier ministre, de riches présents destinés à lord Hardinge. Celui-ci avait quitté Kussour, et était venu camper, le 18, à seize milles de Lahore.

Dans la soirée, le maharajah rendit visite au gouverneur général. Des troupes occupaient les deux côtés du chemin qui conduisait à la tente du gouverneur général. M. le secrétaire Currie, accompagné de quelques personnes, alla au devant du prince. On ne tira pas un seul coup de canon pour le saluer, et, à mesure qu'il avançait, les troupes se formaient en pelotons comme si elles eussent dú lui barrer le passage à son retour. L'entrevue dura une heure et demie. Lorsque Dhulip-Singh se retira, une salve d'artillerie annonça à l'armée que la réconciliation était accomplie, ou plutôt qu'il avait obtenu son pardon et qu'il était reconnu souverain du Lahore. Le soir mème, une proclamation fut adressée aux chefs, négociants, marchands, ryots et autres habitants, » les informant que les hostilités avaient entièrement cessé, par suite de l'entière soumission du maharajah et du vif regret (contrition) qu'il avait témoigné de ce qui s'était passé; et que, pourvu que l'armée n'offrit plus aucune résistance, partout et autant que possible, le peuple serait protégé.

Cen'était pas assez d'humiliation pour le souverain de Lahore. Le gouverneur général voulut que l'armée anglaise présidat à sa réinstallation dans son palais, afin qu'il fût bien évident qu'il ne régnait que sous le bon plaisir de l'Angleterre. En conséquence, l'armée se remit en marche et arriva le 20 sous les murs de Lahore. La réintégration du souverain eut lieu avec l'assistance de M. Currie, de l'agent politique, de plusieurs fonctionnaires civils et de quelques officiers anglais. Le 22, la citadelle et une partie du palais furent occupées officiellement par un détachement de troupes anglaises.

Les débris de l'armée sikhe formaient encore, après la dé

faite de Sobraon, 20,000 hommes; mais leur chef, Tej-Singh, sentant l'inutilité d'une telle lutte, se rendit et livra les canons qu'il avait pu conserver. Les soldats débandés se transformèrent en troupes de maraudeurs et commencèrent à inquiéter le pays.

Ainsi finit une guerre qui rapportait à la Grande-Bretagne la domination morale d'un vaste pays, l'affranchissement définitif de sa puissance dans l'Inde, où désormais aucun ennemine serait assez fort pour lui causer des inquiétudes sérieuses, une contribution forcée d'un million et demi de liv. st., et un territoire de cinq milles carrés, renfermant un million d'habitants et d'une admirable fertilité.

Le traité conclu avec le gouvernement anglais, en conséquence des conventions préliminaires du 17, statuait que l'armée sikhe réorganisée devrait ne se composer pour l'avenir que de vingt-cinq bataillons d'infanterie et de 12,000 hommes de cavalerie. Jusqu'à la réorganisation, quelques régiments britanniques et un nombre déterminé de pièces d'artillerie resteraient à Lahore.

Le nom de Pundjab n'était pas prononcé une seule fois dans ce traité. Il n'y était question que du royaume de Lahore, tel qu'il était constitué avant les conquètes de RandjitSingh.

Par l'art. 2, le maharajah renonçait d'une manière absolue, pour lui et ses successeurs, au territoire situé au sud du Sutledge.

Par l'art. 3, il cédait à la compagnie des Indes, en souveraineté perpétuel, tous ses forts, territoires et droits, entre la Beyah et le Sutledge.

Le gouvernement de Lahore n'ayant pu payer la rançon qui lui était imposée, ni, selon les termes du traité, donner une garantie approuvée par le plénipotentiaire anglais, ce dernier exigeait qu'on cédât à la compagnie, comme équivalent des deux tiers de cette rançon, en toute souveraineté et à perpétuité, les forts, territoires, droits et intérêts des hauts pays (hll

countries), entre la Beyah et l'Indus, où se trouvent comprises la célèbre province de Cachemire et celle d'Hazarah. Il ne faut pas confondre cette cession avec celle du territoire entre la Beyah et le Sutledge, mentionnée à l'article 3.

Pour l'autre tiers de la contribution de guerre, le gouvernement de Labore était condamné à payer 50 lacs de roupies (environ 12,500,000 fr.).

L'art. 9 abandonnait au gouvernement britannique le contrôle des rivières Beyah, Sutledge, Gurrah, Pundjnud et de l'Indus, depuis Mitunhkote jusqu'aux frontières du Beloutchistan, plus les bénéfices provenant des droits de navigation.

Par l'art. 10, le gouvernement anglais se réservait le droit de faire passer ses troupes par le royaume de Lahore.

Le gouverneur général, ayant appris par expérience combien la tactique militaire européenne augmentait la force des armées asiatiques, avait contraint le maharajah à s'engager, par l'art. 11, à ne prendre à son service aucun individu soit Anglais, soit d'aucun autre État européen ou américain, sauf le consentement du gouvernement anglais.

A cet article, qui perpétuait l'ignorance de la tactique militaire chez les Sikhs, et, partant, leur faiblesse, lord Hardinge en avait joint un autre qui immobilisait les frontières du royaume. de Lahore. Il était stipulé, dans l'art. 14, qu'elles ne pourraient ètre changées sans en référer au gouvernement anglais.

Enfin, le maharajah était placé sous l'inquisition vigilante d'un résident anglais, et il s'obligeait d'avance, en cas de contestation avec ses voisins, à choisir le gouvernement anglais pour arbitre et à se soumettre à ses décisions.

Ce pouvoir ainsi affaibli était encore divisé. D'une partie des dépouilles du maharajah, lord Hardinge constitua un royaume qu'il donna au vassal et premier ministre de ce prince, à Gholab-Singh. Devenu par là la créature de l'Angleterre, Gholab-Singh serait à l'avenir un redoutable rival à son ancien maître.

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