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L'honorable député, on se le rappelle, avait combattu dès l'origine ce qu'il appelait l'entraînement dangereux du pays vers les chemins de fer. Il eût voulu qu'une partie des millions jetés dans ces entreprises avec une prodigalité dangereuse eût été plus utilement, selon lui, consacrée à la viabilité vicinale, que les communes, succombant sous le poids de leurs charges, sont incapables de réaliser. M. de Tracy trouvait que la population agricole avait été sacrifiée aux industries qui se servent des chemins de fer et aux voyageurs pressés d'arriver plus vite. L'honorable orateur voulait donc qu'on supprimât ces espérances illusoires de fécondité et de prospérité qu'on se promettait pour l'avenir de l'établissement du réseau de chemins de fer.

M. le ministre des travaux publics et M. Desmousseaux de Givré combattirent le reproche fait à la commission d'avoir oublié les intérêts de la classe agricole. Elle n'avait pas songé seulement aux chemins de fer; elle avait compris, par la pensée, dans ces grands travaux d'utilité publique les routes royales, les canaux, tout cet ensemble de grande viabilité qui doit répartir également sur tous les points du territoire les produits du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, et élever ainsi, partout et à la fois, le niveau de la prospérité commune. Quant aux chemins de fer, tout le monde aujourd'hui avait foi dans les avantages qu'ils procureraient à la France quand elle en serait sillonnée; l'agriculture en profiterait comme le commerce intérieur, comme toutes les autres industries. Des communications promptes, faciles, multipliées, introduiraient dans notre régime économique de grandes améliorations: un grand nombre de départements, aujourd'hui encore privés de débouchés suffisants, verraient leurs productions portées au moyen des chemins de fer, dans les grands centres de communication. Sans doute toutes ces espérances ne se réaliseraient pas immédiatement, sans doute plus d'un intérêt serait lésé, ce fait se produit toujours dans une transition, et il faut du temps pour que chaque intérêt puisse se reclasser; mais l'inté

rêt généra! domine toute question, et l'agriculture profiterait dans une large proportion des avantages obtenus.

La rédaction proposée par la commission fut maintenue par la Chambre, et l'ensemble du deuxième paragraphe adopté à une grande majorité.

Le troisième paragraphe avait trait à la situation financière du pays. M. Odilon Barrot se demandait comment on pouvait se féliciter de l'état satisfaisant des finances quand on excipait de l'état critique dans lequel on se trouvait placé pour éviter d'accomplir un vœu unanime et persévérant de la Chambre, la conversion des rentes.

M. le ministre des finances répondit qu'il n'y avait là aucune contradiction. Oui, la situation financière du pays était trèssatisfaisante; mais ce n'était pas le seul élément dont on dût s'occuper pour des questions de ce genre. Il y avait encore l'ensemble du crédit du pays, la situation de la place. Or, M. le ministre pensait que la présentation d'un projet de conversion pourrait, en ce moment, compromettre la situation générale.

Le paragraphe 4, relatif aux divers projets de loi à étudier, amenait la discussion sur les affaires de l'Université, et, en particulier. sur l'ordonnance du 7 décembre.

M. de Tocqueville vint, non pas défendre l'ancienne organisation qu'il avait toujours regardée comme défectueuse et dont il avait lui-même réclamé la modification, non pas, à plus forte raison, demander le rétablissement de cette organisation détruite, mais examiner l'organisation nouvelle et rechercher quelles raisons particulières avaient motivé la mesure.

D'abord, selon le savant publiciste, cette organisation laissait une part immense à l'arbitraire, en créant au sein du conseil royal une majorité considérable, révocable, annuelle. D'autre part, à l'exception du personnel, les attributions étaient restées les mèmes. Les pouvoirs judiciaires du conseil étaient immenses. En outre, il y avait un péril dans la constitution

parement universitaire de ce corps; péril de concentration, de résistance au mouvement général.

Deux choses, ajoutait M. de Tocqueville, sont étroitement corrélatives. Pour savoir de quelle manière il faut constituer le corps royal, il faut savoir quelles attributions la loi sur la liberté lui donne; pour constituer la loi d'enseignement, il faut savoir quelles seront la composition et la puissance du conseil royal. Ces choses sont liées souvent l'une à l'autre ; elles doivent être constituées en même temps et dans la même loi. Cette simultanéité, M. de Tocqueville l'avait réclamée en 1841: or, qui, à cette époque, s'était le plus obstinément refusé à laisser constitufer dans la loi le conseil royal? les membres mêmes du conseil royal d'alors, et notamment M. Jouffroy.

On avait prêté au ministre l'intention de détruire le conseil royal, d'acquérir ainsi des moyens d'action à l'aide desquels il lui serait permis d'énerver l'Université, de la diminuer dans une certaine mesure, de livrer l'instruction publique au clergé. L'honorable orateur ne voulait pas affirmer qu'une pareille trahison eût pu entrer dans l'esprit du ministre; cependant il avait failu un motif grave pour agir ainsi, et ce motif, M. de Tocqueville croyait le trouver dans le besoin d'échapper à la tutelle des Chambres, de leur soustraire, jusqu'à un certain point, ces questions universitaires qui agitent le pays et qui pèsent dans une certaine mesure sur le Cabinet; de rendre enfin moins pressantes, moins prochaines, les discussions embarrassantes, périlleuses peut-être, que de pareilles lois devaient nécessairement faire naître. Faire croire à l'Université qu'on la fortifiait, qu'on l'organisait, et l'amener à attendre; montrer aux amis de la liberté d'enseignement que, si on ne leur donnait pas la loi réclamée, on la rendait moins nécessaire en rendant moins pesante l'autorité qui l'accablait, voilà le double but qu'on avait voulu atteindre. Mais, en fin de compte, on n'avait fait que faire succéder un arbitraire à un autre arbitraire, et, loin d'éteindre les passions, on n'avait su contenter personne.

M. de Carné prit ensuite la parole. L'honorable député voyait

dans les applications trop rigoureuses d'un pouvoir exorbitant la cause bien naturelle de la révolte contre le despotisme et contre le monopole universitaire. Ces rigueurs exercées par le conseil royal, ces refus si fréquents de certificats d'études, de concessions de plein exercice, avaient fait éclater cette agitation dont allait naître la liberté de l'enseignement. M. de Carné remerciait de ce résultat le conseil royal, qui, sans doute, ne s'était pas proposé un pareil but.

Qu'avait fait ce conseil de puis trente ans qu'il dirigeait l'instruction publique? M. de Carné ne voyait, ni dans les arts, ni dans les lettres, ni dans la philosophie, ni dans aucune des grandes directions de l'esprit humain, rien qui indiquât un développement fécond de la pensée publique en France. Selon l'orateur, le niveau des études avait baissé au lieu de s'élever, et il en trouvait la preuve dans les documents authentiques que donnent les chiffres d'admission au baccalauréat ès lettres. Depuis dix ans, en effet, le nombre des admis diminue toujours relativement au nombre des inscrits. Dans presque toutes les académies, le chiffre des admis est au chiffre des candidats, comme 24 à 100; presque nulle part il n'excède le tiers ; à Paris seulement, il excède plus de moitié, 52 sur 100. La conséquence est, ajoutait l'orateur, ou que le niveau des études est très-bas, ou que l'examen du baccalauréat, qui est à lui seul le couronnement, l'expression même de l'ensemble des études classique, est très-mal conçu. Le niveau des études philosophiques s'abaisse dans une proportion plus prompte et plus grande encore que le niveau des études classiques. L'abandon complet fait de la direction des études philosophiques à la spécialité avait été, selon M. de Carné, un fléau pour ces études et pour l'Université. La surintendance administrative de la philosophie une fois livrée à un homme qui avait à défendre, indépendamment des intérêts du corps, des intérêts de système et de personnalité philosophique, il avait dû s'ensuivre une guerre civile dans l'enseignement philosophique, il avait dû y avoir des triomphateurs et des persécutés. Cette doctrine de l'éclectisme, si

parfaitement inoffensive, doctrine d'expédient s'il en fut, on avait paru l'enseigner comme une sorte de religion de l'État.

Quant à l'ordonnance du 7 décembre, bien que l'organisation nouvelle parût à M. Carné mériter, au point de vue de la liberté de l'enseignement, des reproches beaucoup plus sérieux que l'ancienne, l'honorable député ne voulait pas trop la critiquer aujourd'hui si elle devait maintenir aux mains du ministre responsable la haute direction de l'enseignement, si elle faisait disparaître la spécialité dans la responsabilité. Ce serait là un service rendu à l'Université elle-même, et M. de Carné louait sincèrement, dans cette mesure, un acte de bonne administration et de courage.

M. Saint-Marc Girardin répondit aux critiques faites par M. de Carné des actes du conseil royal, que ces actes n'étant valables que sous l'approbation ministérielle, toutes les décisions attaquées se trouvaient couvertes par la responsabilité des différents ministres qui s'étaient succédé dans ce département. M. le ministre gardait le silence: il fallait bien justifier le conseil et l'administration qui le couvrait.

On accusait le conseil royal d'un esprit blåmable en matière de liberté; mais répondait l'honorable orateur, lorsque M. Guizot avait présenté, en 1836, un projet de loi sur l'instruction secondaire, un membre du conseil royal, M. de Saint-Marc Girardin lui-même, nommé rapporteur d'une commission de la Chambre, n'avait pas hésité à se prononcer pour la liberté de l'enseignement, au nom de cette commission dont faisait partie un autre membre du conseil, M. Dubois (de la LoireInférieure).

On accusait le conseil d'avoir exercé une autorité excessive et tyrannique, heureusement détruite, disait-on, par l'ordonnance du 7 décembre. Les attributions du conseil royal de l'instruction publique, répondait M. Saint-Marc Girardin, se composaient de deux sortes de questions; les unes concernaient le personnel, et celles-là se réduisaient à la consultation purect

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