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ARRÊT.

LA COUR ; Sur la première partie du moyen, tirée de la violation de l'art. 464, C. proc., en ce que la Cour aurait accueilli une demande portée pour la première fois et directement devant elle : Attendu que l'art. 464, C. proc., fondé sur la règle des deux degrés de juridiction, n'impose pas aux Cours le devoir de prononcer une fin de nonrecevoir que les parties n'invoquent pas ; que la dame veuve Sement n'a élevé aucune critique sur la recevabilité des conclusions prises par la veuve Lamy en appel, et s'est bornée à combattre au fond sa prétention; que, dès lors, les conclusions prises par la veuve Lamy, eussent-elles contenu une demande nouvelle, le moyen serait non recevable;

Sur la seconde partie du moyen, tirée de la violation de l'art. 7 de la loi du 20 avril 1840, en ce que l'arrêt attaqué ne serait pas suffisamment motivé: - - Attendu que le juge auquel était soumise la question de savoir en quelle qualité il avait été procédé contre la dame veuve Sement a constaté qu'il avait été procédé contre elle personnellement, a repoussé une objection tirée d'un aveu d'où on voulait induire qu'elle aurait agi seulement en qualité d'héritière bénéficiaire, et a déclaré que, dans les débats, il n'apparaissait pas que la dame Sement eût opposé une contradiction à cette constatation; que, dans ces circonstances, il a été satisfait aux prescriptions de la loi; — Rejette, etc.

Du 19 févr. 1879.-Ch. req. - MM. Bédarrides, prés.; Féraud-Giraud, rapp.; Robinet de Cléry, av. gén. (concl. conf.); Fosse, av.

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(1) Jurisprudence constante. V. Cass. 19 fév, 1878 (P. 1878.529. S. 1878. 1. 212), et le renvoi.

(2-3) Le tuteur ne peut faire une reconnaissance de dette à la charge du mineur; c'est un point constant en jurisprudence et en doctrine. V. Bourges, 26 avril 1831 (P. chr.); Bordeaux, 24 juin 1859 (P. 1860. 1131. - S. 1860. 2. 277); et MM. de Fréminville, Tr. de la minor. et de la tutelle, t. 2, n. 772; Demolombe, De la minor., etc., t. 1er, no 690, p. 483; Aubry et Rau, t. 8, p. 171, § 751; Laurent, Principes de dr. civ., t. 5, n. 54, p. 62. Cela se comprend. La reconnaissance d'une dette implique que la dette n'existe pas, en ce sens qu'il n'en existe pas de preuve légale, ce qui obligerait le mineur à la payer, alors

blement attaqué par la voie de l'appel au point de vue de la compétence (1) (Règlem. 28 juin 1738, tit. 4, art. 2; Décr. 27 nov.-4er déc. 1790, art. 2; C. proc. 425, 454).

20 Si le tuteur qui n'a que l'administration des biens du mineur ne peut l'obliger par voie d'emprunt ou autrement, il peut néanmoins reconnaitre les dettes préexistantes et en faire le règlement, pourvu qu'il n'aggrave pas la position de son pupille (2) (C. civ., 450, 457).

Il peut notamment, lorsque le mineur se trouve obligé en vertu de lettres de change souscrites par son auteur, renouveler, au nom du mineur, ces lettres de change, lorsqu'en agisssant ainsi, loin d'aggraver la position du mineur, il la rend meilleure en reculant l'échéance de la dette (3) (Id.).

Et le tribunal de commerce saisi de la demande en paiement des lettres de change peut puiser dans les divers éléments de la cause la preuve que les lettres de change souscrites par le tuteur au nom de son pupille ne sont que le renouvellement de lettres de change souscrites par l'auteur de celui-ci (C. civ.4341).

(Dupy C. Tournal).

En 1871, Madame veuve Coste, agissant comme tutrice legale d'Héléna Coste, sa fille mineure, souscrivait au profit de M. Lucien Tournal deux lettres de change à l'échéance du 20 avril 1874, l'une de la somme de 210 fr., l'auteur de la somme de 840 fr.

Ces deux lettres de change, n'ayant pas été payées à l'échéance par Héléna Coste, alors dame Dupy, ont été protestées à la requête des héritiers de M. Tournal, qui ont ensuite formé, devant le tribunal de commerce d'Agde, tant contre la veuve Coste que contre les époux Dupy, une demande en paiement de la somme de 1050 fr., montant des deux lettres de change dont il s'agit. A cette demande les époux Dupy ont opposé que ces deux lettres de change étaient nulles, parce que Mme veuve Coste n'avait pas eu qualité pour les souscrire au nom de sa fille mineure, et parce que, à supposer même que ces lettres de change ne fussent que le renouvellement de lettres de change Souscrites par l'auteur de la dame Dupy, la

qu'il aurait pu en contester l'existence; et si le tuteur pouvait faire une pareille reconnaissance ce serait lui permettre de disposer indirecte ment des biens du pupille, toute dette engageant les biens du débiteur. Mais, dans l'espèce, il no s'agissait nullement d'une reconnaissance de dette à la charge du mineur. La dette était certaine elle était incontestable; le tuteur n'avait fait que renouveler les effets de commerce desquels elle résultait; le renouvellement, bien loin d'ag graver la position du mineur, l'avait rendu meilleure, en reculant l'échéance de la dette ; i n'était donc pas douteux qu'il pût et dût êtrẻ opposé au mineur.

veuve Coste n'aurait pas eu davantage, en sa qualité de tutrice, le pouvoir d'opérer ce renouvellement.

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Sur cette contestation, jugement du tribunal de commerce d'Agde, en date du 22 févr. 1875, ainsi conçu : 1 << Le Tribunal; Attendu qu'il ressort des explications fournies par M. Alliez, notaire à Bessan, que les deux lettres de change, l'une de 210 fr., et l'autre de 840 fr., dont le sieur Tournal demande le paiement, ont été consenties en renouvellement d'autres lettres de change dues par le sieur Coste au sieur Tournal; qu'au surplus, ledit sieur Coste père a reconnu cette dette dans un contrat contenant partage, reçu par M. Alliez le 12 avr. 4874, et a chargé ses enfants d'en payer le montant; Attendu que le sieur Dupy, en épousant la demoiselle Héléna Coste, a connu cet acte; qu'il a joui des biens provenant de la succession de Coste père, qu'il est donc tenu d'en payer les charges; Par ces motifs; - Condamne les époux Dupy à payer au sieur Tournal le montant des lettres de change dont s'agit. >>

POURVOI en cassation par les époux Dupy. -ter Moyen. Violation des art. 450 et suiv., 457 et 458, C. civ., 440, 113 et 144, C. comm., ? et 631 du même Code, en ce que le jugement attaqué a considéré comme valables et pouvant faire titre contre une mineure non commerçante des lettres de change souscrites par sa mère, agissant comme tutrice légale de ladite mineure, et de plus, en ce que par ce jugement le tribunal de commerce s'est reconnu compétent pour statuer sur une action purement civile.

2 Moyen. Fausse application de l'art. 409, C. comm., et violation de l'art. 1344, G. civ., en ce que, pour établic à l'encontre de la demanderesse l'existence d'une obligation civile supérieure à 450 fr., le jugement attaqué s'est fondé sur des explications émanées da notaire qui avait reçu les actes litigieux, c'est-à-dire sur un simple témoignage.

3 Moyen. Fausse application de l'art. 4119, C. civ., fausse application et violation des art. 1319 et 4320, et violation de l'art. 4465 du même Code, en ce que le jugement attaqué a fait résulter une reconnaissance de dette en faveur des défendeurs d'un acte auquel leur auteur était complètement étran

ger.

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voie de recours, être frappé par eux d'un pourvoi en cassation.

ARRÊT (après délib. en la ch. du cons.).

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-

LA COUR ; Sur le moyen tiré de l'incompétence du tribunal de commerce: Attendu que le pourvoi en cassation n'est ouvert que contre les décisions en dernier res. sort, et qui ne sont pas susceptibles d'être attaquées par les voies ordinaires; - Qu'aux termes des art. 425 et 454, C. proc., les dispositions expresses ou implicites sur la compétence peuvent toujours être attaquées par la voie de l'appel; · Attendu que les demandeurs n'ayant pas eu recours à cette voie, leur pourvoi n'est pas recevable de ce chef;

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Sur le moyen tiré de la violation des art. 450, 457, 458 et 4344, C. civ., 109, C. comm., 1119, 1165, 1319 et 1320, C. civ. :-Attendu que, si le tuteur, qui n'a que l'adininistration des biens du mineur, ne peut l'obliger par voie d'emprunt ou autrement, il peut reconnaître les dettes préexistantes et en faire le règlement, à la condition de ne pas aggraver la position de son pupille; - Qu'il peut, dès lors, lorsque le mineur se trouve obligé, en vertu de lettres de change souscrites par son auteur, renouveler au nom du mineur ces lettres de change, puisqu'en agissant ainsi, loin d'aggraver la position du mineur, il la fait meilleure en reculant l'échéance de la dette ;

Attendu que le tribunal de commerce, saisi d'une demande en paiement des lettres de change qui font l'objet du procès, a pu trouver dans les éléments divers de la cause, dans les déclarations faites devant lui, dans les titres émanant de l'auteur de la demanderesse, la preuve que les lettres de change souscrites par la veuve Coste au nom de sa fille mineure n'étaient que le renouvellement de lettres de change souscrites par Coste père; Que, dans ces circonstances, en condamnant les époux Dupy au paiement de ces lettres de change, le jugement attaqué n'a contrevenu à aucune loi; Rejette, etc.

Du 22 juin 1880. Ch. civ. - MM. Mercier 1er prés; Massé rapp.; Charrins, 4er av. gén. (concl. conf.); Arbelet, Gosset et Mimerel, av.

CASS.-REQ. 13 janvier 1880. COMPTES (REDDITION DE, FORMALITÉS, PIÈCES JUSTIFICATIVES, DESTRUCTION, FORCE MAJEURE, CHOSE JUGÉE.

Les formalités établies par les art. 530 et suivants, C. proc., pour la reddition des comptes fournis en justice ne sont pas prescrites à peine de nullité (1) (C. proc., 530).

vent, notamment, s'ils le croient plus utile aux parties, les renvoyer à compter devant leurs avoués, sauf à prescrire ultérieurement l'observation des formes légales si les parties ne peuvent s'entendre sur le compte ainsi ordonné.

Ainsi, en cas de destruction, par force majeure, des pièces justificatives d'un compte de gestion d'affaires, les juges qui ont ordonné ce compte peuvent puiser les éléments de leur conviction dans toutes les circonstances de la cause, et notamment dans un règlement provisoire intervenu entre les parties (Id.).

(Franchelli C. Colle). - ARRÊT.

LA COUR ; Sur les deux branches du moyen unique du pourvoi : Attendu, en droit, que les formalités édictées par les art. 530 et suiv., C. proc., ne sont pas prescrites à peine de nullité; Attendu, en fait, que par arrêt du 26 févr. 1876, passé en force de chose jugée, Colle avait été condamné, en qualité de mandataire de Franchelli, à rendre compte de sa gestion; que ce compte rendu, affirmé et débattu, a été écarté comme irrégulier; Mais attendu que la Cour de Paris, ayant constaté que les papiers de Colle avaient été pillés lors des événements de 1870-71, a pu, en l'état, puiser les éléments de sa conviction dans tous les éléments de la cause, notamment dans un écrit sous signature privée, en date du 8 sept. 1870, enregistré le 14 août 1874, par lequel Franchelli reconnaissait que les travaux effectués dans son intérêt s'élevaient à une somme de 30,000 fr., laquelle il restait devoir 45,000 fr. Attendu que l'arrêt attaqué, en constatant: 1° le pillage des papiers de Colle; 2° l'existence d'une reconnaissance de Franchelli fixant, à la date du 8 sept. 1870, les sommes dépensées et les sommes reçues, a suffisamment motivé le rejet des conclusions de Franchelli tendant à faire déclarer que Colle, à défaut d'avoir rendu le compte ordonné, était sans droit à poursuivre son mandant, Franchelli, en condamnation pour les causes et les effets dudit mandat; Que, par suite, l'arrêt n'a pu violer les articles de loi susvisés ; Rejette, etc.

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sur

Du 13 janv. 1880. — Ch.'req. MM. Bédarrides, prés.; Talandier, rapp; Lacointa, av. gén. (concl. conf.); Sabatier, av.

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(Gaudichot, dit Michel Masson C. Gaudichot

M. Michel-Benoît Gaudichot, connu dans le monde des lettres sous le nom de Michel Masson, a épousé, le 18 févr. 4824, mademoiselle Françoise Deliège, sans contral par conséquent sous le régime de la commu nauté légale. En 1874, madame Gaudichot est décédée. A la mort de sa mère, M. Gaudichot fils n'a élevé aucune réclamation; mais son père ayant convolé en secondes noces et consenti la cession à titre onéreux de ses droits de propriété littéraire, le fils a formé, le 4 juill. 1875, devant le tribunal civil de la Seine, une demande en compte liquidation et partage des succesion et communauté de la dame Michel-Benoît Gaudichot.

Par jugement du 19 août 1876, le tribuna civil de la Seine a commis Me Gentien, notaire liquidateur. Il a statué, le 10 janv. 1878, e ces termes, sur les difficultés auxquelles avai donné lieu le procès-verbal de liquidation « Le Tribunal; — Attendu qu'en exécution d jugement du 19 août 1876, et suivant procès verbal du 16 mars 1877, il a été procédé pa Gentien, notaire à Paris, aux opérations d Compte, liquidation et partage, tant de l communauté ayant existé entre Gaudicho père, dit Michel Masson, et son épouse décédée que de la succession de cette dernière; Attendu que Gaudichot fils demande la rec tification de ce travail, en ce que le notaire estimant que les ouvrages littéraires et dra matiques, composés par son père, sont la pr priété personnelle de ce dernier, ne les a pa compris dans l'actif de la communauté, ma en a fait opérer la reprise en nature par défendeur; Qu'il soutient que les diverse productions dont il s'agit, constituent de valeurs dont le caractère est essentielleme mobilier; qu'à ce titre, elles font partie d la communauté ayant existé entre les épou à défaut de contrat de mariage, et qu'en qualité de seul et unique héritier de sa mèr il aurait dû être considéré comme propri taire pour moitié de celles de ces œuvres q ont été composées par son père durant mariage; Attendu qu'il résulte des disp sitions des art. 1404 et 1498, C. civ., que tou valeur mobilière, quelle qu'en soit l'origi ou la cause d'acquisition pour les épou tombe dans la communauté; que l'énonci tion contenue dans l'art. 1401 n'est p limitative; qu'à cet égard, la pensée du légi lateur a été exprimée dans la discussion de loi en des termes qui ne laissent auc doute; Attendu qu'une production l'esprit, dès qu'elle est manifestée par u forme extérieure, constitue un bien su

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ceptible de propriété, et soumis dès lors à Tapplication des règles du droit, dont

propriété littéraire tombe dans la communauté. Cette solution, à laquelle nous adhérons pleinement, est conforme à la doctrine de la plupart des auteurs. Sic, Marcadé, L. 6, sur l'art. 1403, n. 5; et MM. Demolombe, Distinct. des biens, t. 1. n. 226; Aubry et Ban, t. 5, p. 284, texte et note 11, § 507; Laurent, Principes de dr. civ., t. 5, n. 512, et t. 21, a. 226; Abel Flourens, Commentaire de la loi de 1866, p. 268 et suiv.; Louis Puech, Revue du notariat et de l'enregistrement, 1880, p. 641 et suiv. — V. en sens contraire, Renouard, Des droits d'auteur, p. 251 ; et MM. Bertauld, Questions pratiques, 1e série, n. 274 et suiv.; Pouillet, De la propriété littéraire, no 184 et suiv.

Les principes généraux du régime de la communauté nous paraissent avec notre arrêt conduire à la conséquence qu'il consacre. Dans quelle classe de biens doit être rangée la propriété littéraire ? Dans celle des meubles. Or les meubles des époux font partie de l'actif de la communauté légale. Il est vrai que cette règle générale souffre des exceptions; mais ces exceptions ne peuvent résulter que d'une disposition contraire (art. 1401 1o in fine), ou de la nature de certains droits. Il est hors de doute que les droits mobiliers incessibles ne tombent pas dans l'actif commun. V. notamment, MM. Rodière et Pont, Contr. de mar., t. 1, n. 424 et suiv.; Aubry et Rau, t. 5, p. 286, § 507; Laurent, Principes de dr. civ., t. 21, n. 278 et suiv. Cela n'est dit dans aucune disposition de nos lois, mais résulte de cette idée incontestable que les biens composant l'actif de la communauté deviennent communs entre les époux, en vertu d'une cession tacite qu'ils se font réciproquement. Cela est exact, même quand la communauté légale existe par suite de l'absence de contrat; tout le monde reconnaît qu'alors elle est établie plutôt par suite d'une sorte d'interprétation de la volonté des futurs époux que par la loi. V. en ce sens, MM. Rodière et Pont, op. cit., L. 1, n. 289; Aubry et Rau, t. 5, p. 280, § 505, in fine; Laurent, Principes de dr. civ., t. 21, n. 199.

Personne ne conteste que la propriété littéraire soit parfaitement cessible. Si une cession expresse en est possible, pourquoi la cession tacite résultant de l'adoption du régime de la communauté ne lui serait-elle pas applicable? Loin qu'aucun texte antorise à faire ici exception aux principes généraux, la loi du 14 juill. 1866 paraît bien en viser l'application. Elle donne (art. 1er, 2o alin.) an conjoint survivant la jouissance des droits dont f'auteur prédécédé n'a pas disposé, quel que soit le régime matrimonial, et indépendamment des droits qui peuvent résulter en faveur de ce conjatat du régime de la communauté. Ces derniers mots impliquent nécessairement que la propriété littéraire tombe dans la communauté, et que, par raite, quand l'auteur décédé était soumis à ce régime, le survivant a des droits plus étendus que ceux qu'établit la loi de 1866. En effet, en règle érale, le survivant n'a qu'un droit de jouismace, et ce droit ayant la nature de l'usufruit, Tevient aux héritiers de l'auteur, quand le survi

le bénéfice peut être invoqué par tout intéressé contre l'auteur lui-même, alors

vant meurt avant l'expiration du délai de cinquante ans. Quand l'auteur était marié en communauté, le conjoint survivant vient prendre la moitié de la pleine propriété en sa qualité de commun en biens, et la jouissance de l'autre moitié en vertu du droit successoral spécial que consacre la loi de 1866, de telle sorte qu'en cas de mort avant l'expiration du délai de cinquante ans, la moitié de la propriété littéraire est transmise aux successeurs du survivant. Les travaux préparatoires de la loi viennent confirmer cette doctrine. On lit dans l'exposé des motifs : « Déjà la nature mobilière reconnue au droit d'auteur faisait entrer dans la communauté conjugale non seulement les produits du droit, mais le droit lui-même » (P. Lois, décrets, etc. de 1866, p. 93, col. 2. - S. Lois annotées de 1866, p. 53, col. 3, in medio). En outre, un amendement ayant été proposé pour indiquer que la propriété littéraire tomberait dans la communauté, le rapport déclare cette indication inutile, en disant : « C'é<< tait la jurisprudence, et c'est encore le projet de « loi » (P. Lois, décrets, etc. de 1866, p. 104, col. 2, n. 2. S. Lois annotées de 1866, p. 60, col. 2,

n. 2).

Comment de savants auteurs ont-ils pu prétendre, en présence de tous ces arguments, que la propriété littéraire ne tombe point dans la communauté? Ils ont insisté sur les conséquences quelque peu singulières ou exorbitantes auxquelles conduit le système opposé au leur. Si la propriété littéraire, a-t-on dit, tombe dans la communauté, le mari pourra disposer à son gré des droits d'auteur de sa femme. Il pourra, contrairement à sa volonté et à l'intérêt bien entendu de sa réputation, publier une œuvre dont la publication lui déplaira. Ce n'est pas tout, l'auteur survivant aura moins de droit sur ses œuvres que n'en aurait son conjoint en cas de survie. Car l'auteur survivant n'aura que la moitié de la pleine propriété, et, comme nous l'avons dit, son conjoint aurait, outre la moitié de la pleine propriété, la jouissance de l'autre moitié. On ajoute qu'il est exorbitant que l'auteur ne conserve pas, durant toute sa vie, un droit exclusif sur son œuvre, mais soit obligé de le partager avec d'autres personnes. On va même jusqu'à dire que cela est contraire à l'art. 1 de la loi du 19 juill. 1793, qui reconnaît à l'auteur la propriété littéraire, sa vie durant.

Ces arguments ne sont que spécieux. Dès l'instant que les principes généraux du droit conduisent à une solution, elle doit être admise, abstraction faite des conséquences plus ou moins choquantes qu'elle entraîne. Du reste, ces conséquences ne le sont pas, à beaucoup près, autant qu'on se plaît à le prétendre. Pour les estimer à leur exacte valeur, il suffit de remarquer que les conjoints ont toujours la liberté, afin de les éviter, ou d'adopter un régime autre que celui de la communauté, ou, tout en adoptant ce régime, d'exclure de l'actif par une clause formelle leur propriété littéraire sur les œuvres déjà publiées ou à publier. Si donc les conséquences dont il s'agit se produisent, le conjoint auteur n'a qu'à s'en prendre à lui-même.

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surtout qu'il s'agit d'un ouvrage que ce | dernier a publié; - Attendu que le droit de l'auteur sur son œuvre, s'appliquant à un objet purement mobilier, doit, aux termes de l'art. 517, C. civ., être considéré comme valeur mobilière; qu'à ce titre, ce droit lui-même, envisagé dans son principe et comme source de produit, fait partie de l'actif de la communauté; qu'il ne saurait des lors, quand, celle-ci est dissoute, mème par le prédécès de la femme, comme dans l'espèce, être traité, au regard des représentants de l'épouse, comme une valeur propre au mari; Attendu que le défendeur oppose que les lois spéciales qui régissent la propriété littéraire ont dérogé à la loi générale, en ce qu'elles n'ont reconnu de droit à la femme ou à ses représentants sur les œuvres

Elles peuvent du reste, après la dissolution du mariage, être écartées en partie par l'attribution faite au conjoint auteur de la totalité de la propriété littéraire, à la charge par lui de payer une soulte aux héritiers du prédécédé.

Il est sans doute vrai que la loi de 1793 reconnaît à l'auteur un droit exclusif pendant toute sa vie. Mais cela n'implique pas qu'il le conserve nécessairement. Il peut le céder, et, nous l'avons déjà indiqué, l'adoption du régime de la communauté légale renferme une cession tacite de tous les droits et biens mobiliers des conjoints.

Dès qu'on abandonne les principes, on ne sait plus où l'on va; on risque d'aboutir à la confusion. C'est ce qui est arrivé à nos adversaires. Les uns (et ce sont les plus logiques) nient d'une façon absolue que la propriété littéraire tombe dans la communauté. Les autres ne craignent pas de dire que la propriété littéraire ne tombe dans la communauté qu'après la mort de l'auteur. V. M. Bertauld, op. et loc. cit. Est-il admissible qu'un droit fasse partie de l'actif commun à partir du moment où il n'y a plus de communauté, et qu'encore il n'en soit ainsi qu'autant que c'est l'un des conjoints (l'auteur ) qui survit ?

Les partisans de l'opinion opposée ont bien fini par s'apercevoir que leurs arguments tirés des fâcheuses conséquences auxquelles aboutit notre système, sont faibles ou du moins ne suffisent pas. Un des auteurs les plus récents et les meilleurs qui aient écrit sur la matière, a essayé de démontrer que le texte de la loi de 1866 ne condamne pas son opinion, et que les travaux préparatoires de cette loi lui sont favorables. Selon M. Pouillet, op. cit., n. 186, les mots indépendamment des droits qui peuvent résulter, en sa faveur, du régime de la communauté « n'ont eu d'autre but que d'expliquer ceux qui précèdent : quel que soit le régime matrimonial, de les répéter en quelque sorte sous une autre forme ». M. Pouillet ne craint pas de dire que cela lui semble être l'évidence même ». Nous ne sommes nullement de cet avis. Il faut orturer le sens des mots dont il s'agit, pour leur faire signifier autre chose que ceci : quel que soit le régime matrimonial, le survivant a un droit de jouissance pendant cinquante ans ; mais indépendamment, en outre, le conjoint sur

du mari, qu'autant que celui-ci est décédé réservant à l'auteur pendant toute sa vie u droit exclusif sur son œuvre, droit qui, de lors, n'admet, durant ce temps, aucun parta au profit des représentants de la femme encore bien que la communauté soit di soute; Attendu que le décr. da 19 juil 1793, qui a été invoqué par le défendeur. eu pour but de régler la durée de la proprié littéraire à l'égard du public, et de préserve le droit reconnu à l'auteur et à ses héritier de toute atteinte de la part des tiers; qu c'est ainsi qu'il a organisé la répression la contrefaçon; mais qu'aucune de ses dis positions n'excluant formellement l'applica tion au droit d'auteur du statut matrimoni des époux, la loi commune, sous ce rappor a conservé tout son effet, même en présene

vivant a d'autres droits, quand il était commun biens. Les passages de l'exposé des motifs et rapport cités plus haut confirment entièreme cette interprétation, du reste si naturelle. Il e vrai que M. Pouillet (p. 172 et 173) se prévant au de son côté des travaux préparatoires. Les pass ges cités par lui ne sont pas assez précis pour c truire l'argument décisif tiré du texte, de l'exp des motifs, du rapport et des principes généra du droit.

Du reste, notre solution doit être restreinte cas où il s'agit d'une œuvre publiée du vivant l'auteur. Il est incontestable qu'elle ne saur être appliquée aux manuscrits. Sic, Troplong. contrat de mariage, t. 1er, n. 435 et 436; Marcas t. 6, sur l'art. 1403, no 5, p. 440; et MM. Deu lombe, Distinct. des biens t. 1er, n. 439; Rods et Pont, Du contrat de mariage, t. fer, no 4 Ils ne constituent pas des biens, dans le s propre du mot, tant que leur publication n'a eu lieu. Le droit de publier un manuscrit est droit essentiellement personnel dont l'exercice doit dépendre que de la volonté de l'auteur. Sic, thier, Traité de la communauté, n. 687, et In duction au titre 10 de la coutume d'Orléans, n. Cela diminue bien l'inconvénient signalé par adversaires de laisser au mari la libre disposi des œuvres de la femme; il ne l'a qu'autant ces œuvres ont été publiées déjà, et leur prem publication n'est pas possible sans le cons ment de celle-ci.

La question résolue par notre arrêt n'est nouvelle; elle se présentait déjà dans la législ antérieure à 1866; l'art. 39 du décret sur la li rie du 5 févr. 1810 avait même fait naître la culté. Nous croyons avec notre arrêt que, même la loi de 1866, les droits de propriété litté ne tombaient pas dans la communauté. V gén. Pal., eod. verb., n. 136 et suiv.; Table Devill.et Gilb.,vo Communauté conjug., n. 61 Aux autorités citées, adde, MM. Aubry et R Louis Puech, loc. cit. Mais n'en eût-il pas été que la loi de 1866 nous paraîtrait avoir rése question et modifié en ce point la législation rieure. Ch. LYON-CAEN, Professeur agrégé à la Faculté de Droit de

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