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graves ou redoutables conséquences de cette injustice. Du moment qu'il est avéré que l'impot qui est demandé par l'Etat à la terre n'a plus de causes légitimes, que la répartition en est inégale et que le redressement en est impossible, ils ont conclu qu'il le faut supprimer.

Pourquoi l'agriculteur français paye-t-il à l'Etat 33 p. 109 de son revenu, tandis que l'agriculteur anglais ne paye que 16 p. 100? C'est que l'impôt foncier n'est en Angleterre qu'un impôt communal, un impôt local. L'impôt foncier, en France, est tripartite la part de l'Etat s'appelle le principal, les centimés sont payés aux départements et aux communes. Comme il est difficile de ne pas commencer par le commencement, il faut, quitte à étudier plus tard d'autres améliorations, faire d'abord de la contribution foncière un impôt local. Et voilà pourquoi, revenant à l'assaut, nous demandons à la Chambre de supprimer la part de l'Etat, le principal de l'impôt foncier sur les propriétés non bâties (1).

IV

DE QUELQUES AVANTAGES DE LA SUPPRESSION
DU PRINCIPAL DE L'IMPÔT FONCIER

Le premier avantage de la suppression du principal de l'impôt foncier est d'ordre philosophique; aussi, de quelque importance qu'il soit et quelques conséquences importantes qu'il puisse avoir, ne touchera-t-il personne : c'est la condamnation d'une taxe dont la raison d'être, la copropriété de l'Etat dans les biens, est contraire aux principes de la science moderne et de la Révolution française.

On accordera peut-être un peu plus d'attention à un deuxième avantage, bien qu'il doive paraître négatif: c'est de faire disparaître l'insoluble question de la peréquation et du cadastre. Si l'impôt devient local, qu'importe la peréquation interdépartementale et générale? Evidemment, si l'impôt est local, toutes les communes ne payeront pas le même nombre de centimes et il n'y aura d'égalité qu'entre les contribuables d'une même commune qui seront tous assujettis, dans leur commune, au même taux; mais cela ne sera pas contraire à la justice, puisqu'il s'agira d'une ressource locale employée à des besoins locaux. La confection du cadastre actuel a duré près d'un demisiècle et a coûté près de 160 millions. La confection d'un nouveau cadastre, qui ne serait pas qu'une œuvre purement administrative, a été estimée à 400 ou 500 millions. La simple évaluation des propriétés non bâties, inscrites au budget depuis trois ans et dont les études préparatoires ont été seules commencées, reviendrait à 25 ou 30 millions. Autant de problèmes, de difficultés et de dépenses dont il ne sera plus question.

Le bénéfice net, brut et immédiat qui résultera pour l'agriculture de la suppression du principal de l'impôt foncier s'élève à 103 millions Ce sera le plus fort dégrèvement qui ait jamais été réalisé en aucun temps et dans ancun pays. C'est l'agriculture française soulagée de la plus lourde des charges qui pesait sur elle depuis des siècles. C'est la vieille terre française, riche annuellement de 103 millions de plus, d'autant plus forte pour soutenir la redoutable concurrenc de tant de pays étrangers et de terres jeunes où la main-d'œuvre est à un bon marché presque dérisoire.

Les avantages indirects, par voie de conséquence, ne sont guère moins considérables. C'est la fin de ces ventes d'immeubles ruraux, véritable liquidation de la propriété rurale, dont le chiffre, depuis vingt ans, n'avait pas cessé de s'élever. C'est la fin de la dépopulation des campagnes, la fin de cette émigration des paysans vers la ville qui est devenue, depuis quelques années, le plus redoutable peut-être de tant de dangers sociaux qui nous menacent. C'est le retour des capitaux vers l'exploitation du sol. C'est le paysan se rattachant de toute sa vieille passion redoublée à cette terre dont il s'éloignait avec douleur, mais qu'il abandonnait cependant, parce que le poids de l'impôt devenait, d'année en année, dans la cherté croissante des choses et malgré des dégrèvements répétés, plus lourd à porter. Cet impôt, qui devait être provisoire, ainsi l'avait pro

CHAMBRE DES DÉPUTÉS

et
mis solennellement le législateur de 1790,
qui aura duré, sous sa forme nouvelle, plus
d'un siècle, le voilà enfin supprimé, aboli!
L'homme des champs, tant de fois berné et
trompé par les promesses que le vent emporte,
découragé, n'espérant plus, sentant malgré lui
la révolte entrer dans l'âme la plus résignée
qui soit au monde, ne croira pas d'abord à cet
acte tardif de justice; il lui faudra, à ce saint
Thomas de la glèbe, pour qu'il y croie, qu'il
tienne bien en main la feuille du percepteur et
qu'il l'ait relue vingt fois. Mais, alors, quel cri
de reconnaissance et de joie, et de quel coup de
soc la charrue fendra la terre libérée!

Voici maintenant pour le côté politique de la
réforme :

Ce serait fermer les yeux à l'évidence que de ne pas reconnaître les progrès que le socialisme a faits depuis quelque temps dans les campagnes. Si le paysan est venu à la République, ce n'est point par un amour instinctif ou raisonné de cette forme de gouvernement; c'est que la République, au milieu des divisions des anciens partis, lui est apparue comme le régime le plus capable de lui assurer l'ordre, la paix, le bien-être. Et la République, en effet, lui a donné la paix; elle a assuré l'ordre, sinon dans les esprits, du moins dans la rue; elle a multiplié les voies de communication, abaissé les tarifs de transport, opéré quelques dégrèvements, accordé à l'agriculture les tarifs de protection qu'elle demandait. Le régime même, qui a d'ailleurs mené à bonne fin, et hier enCore, tant d'autres entreprises, est donc aujourd'hui à peu près incontesté.

Cependant et cela pour des causes multiples, les unes accidentelles, mais les autres profondes, beaucoup d'espérances, qui n'étaient pas toutes déraisonnables, ont été déçues; une perpétuelle surenchère électorale a excité, chez les travailleurs de la terre comme chez les ouvriers des grands centres industriels, les illusions et les appétits; des besoins nouveaux sont nés, qui ne sont pas tous factices; l'esprit d'examen, se développant, a ébranlé une résipu impunément exploiter; enfin et surtout, la gnation que d'autres gouvernements avaient lutte pour la vie est devenue à la fois plus difficile et plus âpre: plus âpre parce que l'amour du gain et le matérialisme sous toutes ses formes vont grandissant tous les jours, plus difficile parce que la concurrence est devenue universelle, que les progrès de la science ont mis l'Amérique, l'Inde et l'Australie à nos portes, que des pays qu'on n'entrevoyait, hier encore, qu'à peine, dans un vague lointain, nous inondent, en dépit des barrières douanières, de leurs produits, et que d'autres pays, barbares hier et tributaires de la vieille Europe, aujourd'hui se passent d'elle et la dépassent.

Comment, de l'ensemble de ces modifications et de ces bouleversements ne serait-il pas résulté une crise, économique sans doute plus que politique, dont la caractéristique première n'est guère qu'un vague mécontentement contre un ordre social qu'on croyait inattaquable, un obscur besoin d'autre chose, mais qui pourrait bien s'aggraver tout à coup, l'explosion devant être une fois de plus, selon la mode française, aussi bruyante et soudaine que l'incubation en aura été silencieuse et lente?

Or, cette crise, latente encore en beaucoup d'endroits, mais indéniable, le socialisme l'exploite, et l'exploite avec succès, parce qu'il procède à la fois hardiment et habilement. Après avoir, pendant près d'un siècle, limité son champ de bataille à l'enceinte des villes, il a compris que l'ouvrier seul ne lui donnerait pas n'aurait pas conquis le paysan, et il est desla victoire, qu'il resterait impuissant tant qu'il cendu dans les campagnes. Seulement, il n'y est pas descendu bannières déployées: il a mis, pour s'y promener, son drapeau dans sa villes, le socialisme est, sans ambages, le colpoche et un masque sur son visage. Dans les lectivisme, la suppression de la propriété individuelle, la confiscation, sans expropriation, au profit de l'Etat futur.

Dans les campagnes, le parti socialiste feint d'ignorer la science nouvelle, mais il se souvient fort bien de l'histoire. Il sait que la seule vision du communisme, dont le collectivisme d'aujourd'hui n'est, selon le mot d'un collectiviste fameux, que la contrefaçon belge, a suffi, aux journées de Juin 1848, pour tuer le socia

(1) Nous reprenons par la présente proposi-lisme, pour blesser mortellement la Républition le contre-projet qui a été déposé, dans la séance du 10 juillet, par MM. Joseph Reinach, comte de Lanjuinais, Adrien Lannes de Montebello, Alicot et Laurençon.

que, pour préparer l'empire. Donc, il ne souf-
flera mot ni de l'appropriation du sol ni de la
mainmise de l'Etat sur tous les instruments de
travail. Il se rappelle ensuite que ce qui a

gagné, il y a cent et quelques années, l'im-
mense majorité de la France rurale à la cause
de la Révolution, ce n'a pas été seulement
l'abolition des privilèges et la déclaration des
droits mais encore la mise aux enchères des
biens seigneuriaux et ecclésiastiques, la vente
des biens nationaux ; et il montre à la petite pro-
priété, comme une proie qui lui est réservée, ce
qui reste de la grande propriété foncière. Il se
garde bien de dire à la petite propriété qu'au
jour de l'avènement de l'Etat collectiviste, elle
sera confisquée elle-même par l'Etat avec tout
le reste. Mais il lui promet la vente d'une nou-
velle série de biens nationaux. Non seulement
il dégrèvera la petite propriété, mais il lui
manger.
donnera encore la grosse

Annonce-t-il ces choses brutalement, au son des cymbales? Il connaît déjà trop bien la méflance, toujours en éveil, du paysan; il se contente, plus adroitement, de les lui faire entendre à mi-voix. Il le voit préoccupé, inquiet; il avive ses plaies, excite ses rancunes et ses convoitises. La semence de haine n'a pas encore pénétré dans la terre, mais elle tombe sur les sillons. Après-demain, demain peut-être, la moisson germera.

Or, l'on ne nous fera jamais dire qu'il faut répondre à cette démagogie par une autre démagogie, d'abord parce que cela serait coupable et périlleux, ensuite parce que nous serions toujours battus dans la course aux chimères par les professionnels du socialisme, Mais on dira qu'il faut répondre à ce mirage par une réalité. Cette réalité, c'est l'abandon par l'Etat de l'impôt qu'il prélève sur la terre. Alors que cet abandon ne serait pas, comme on l'a vu, la plus juste des restitutions, la sagesse et la plus élémentaire habileté conseilleraient de le consentir à titre de don.

Et alors, quand sa terre sera toute à lui, libre de tout impôt d'Etat, quand sa notion profonde de justice et d'égalité aura reçu cette immense satisfaction, les apôtres du collectivisme pourront venir trouver le paysan. On n'aura pas besoin ce jour-là de beaucoup de derrière le socialisme idyllique le collectivisme tel qu'il est, le collectivisme de fer, la confisparoles pour le détromper, pour lui faire voir cation par l'Etat. Sa terre, qui tient à sa peau, qui fait partie de sa vie même, qu'on vienne la prendre pour la confondre dans une immense propriété commune, exploitée par un peuple de fonctionnaires! Son lopin de sol, la plus petite parcelle dont il est seul maitre, il les défendra mieux que les plus riches propriétaires n'ont défendu autrefois ou ne défendraient encore leurs plus vastes domaines. Il prendra sa fourche et sa faux.

« Si vous voulez que la démocratie soit conservatrice, donnez-lui quelque chose à conserver (1). »

DE L'IMPÔT FONCIER COMME IMPÔT LOCAL

La suppression du principal de l'impôt foncier sur la propriété non bâtie laisse intacts les centimes départementaux et communaux qui sont l'annexe de la contribution d'Etat, que deviendront-ils?

On a fait à ce sujet deux objections.

Le principal supprimé, les centimes, dit-on, resteront en l'air.

L'objection est purement théorique. Il suffira de décider, en effet, par un article de la loi de finances, que les centimes continueront à être calculés comme si le principal n'avait pas été supprimé. Le principal devenant fictif pour l'établissement des centimes, les budgets départementaux et communaux continueront, au moins provisoirement, à être dressés comme par le passé. Le contribuable payait hier, tant en principal qu'en centimes, plus de 250 millions; il payerà demain 103 millions de moins : l'incorrection théorique ne l'affligera pas.

Les maîtres les plus autorisés de l'économie politique et de la science financière ont envisagé d'ailleurs, sans trop d'horreur, cette éventualité. M. Léon Say, entre autres, acceptait fort bien que le principal devint fictif pour l'établissement des centines; il citait des précédents. « C'est ainsi, disait-il, qu'on avait prorectes en Algérie dans les communes cadasposé de rédiger la loi sur les contributions ditrées, alors qu'on voulait exonérer de l'impot, au profit de l'Etat, les colons contribuables. L'article 10 du projet de loi était rédigé comme suit : « La portion du contingent en principal (1) Randolph Churchill.

qui se rapportera aux propriétés des Européens figurera aux rôles et aux états de répartiment sous le titre de contingent fictif. »

Soit, dit-on, et l'expédient est évidemment commode. Mais l'injustice des évaluations cadastrales n'est-elle pas l'une des raisons qui ont été invoquées pour la suppression du principal de l'impôt foncier? Or, ces évaluations subsistent. Et, dès lors, de deux choses l'une : ou bien vous continuerez à percevoir les centimes sur la base de l'ancien principal devenu fictif, et l'impôt foncier, pour être devenu local, n'en continuera pas moins à mériter les Pobieraves critiques dont ce principal était T'objet; ou bien vous aurez à cœur d'épargner ces critiques à l'impôt local, et voilà de nouveau le problème du cadastre qui devait disparaître avec le principal de l'impôt foncier. Mis à la porte, il rentre aussitôt par la fenêtre.

Nous convenons que le régime du contingent fictif ne saurait être que provisoire, et que l'organisation définitive de l'impôt local implique évidemment de nouvelles évaluations cadastrales. Seulement, la dificulté sera loin d'être insoluble comme l'est le problème actuel.

En effet, la peréquation dont on a démontré qu'elle serait un leurre alors même qu'on aurait revisé le cadastre, qui serait toujours à recommencer et qui serait de plus en plus coûteuse, c'est la peréquation interdépartementale. C'est cette peréquation, irréalisable parce que générale, qui disparaît avec l'impôt d'Etat sur la propriété non bâtie. Mais si l'impôt devient un simple impôt local, départemental ou communal, aucune des objections sous lesquelles aura succombé la peréquation interdépartementale ne pourra être opposée à une peréquation qui ne sera plus, elle aussi, que locale, simplement communale ou dépar tementale. La classification, c'est-à-dire la répartition des différentes espèces de cultures (terres labourables, prés, vignes, bois et jardins), en un certain nombre de classes, suivant la fertilité du sol, ne peut pas être uniforme et juste quand elle est opérée sur un espace aussi vaste et aussi merveilleusement varié que la France, par des agents dont la règle, quoi qu'on fasse, ne sera jamais la même.

Au contraire, si l'impôt est communal, il suffira d'une surveillance administrative un peu attentive pour que la distribution des parcelles entre les diverses classes soit opérée, dans et par chaque commune, avec une parfaite équité entre les contribuables; cette classification pourra être d'ailleurs renouvelée fréquemment et sans frais. L'impôt étant communal, il est indifférent que le taux de l'imposition varie d'une commune à l'autre, puisque le rendement de l'impôt doit être employé sur place : il importe seulement qu'il y ait égalité entre les contribuables. Et si l'on préfère que l'impôt soit départemental, il faudra nécessairement que le taux de l'imposition soit le même dans chaque commune; mais l'étendue de nos départements n'est point telle que la peréquation ne puisse y être réalisée avec toutes les garanties de justice et d'égalité, à la fois par des délégués des corps élus et de l'administration et sous le contrôle du conseil général.

Il est évident que cette transformation de l'impôt d'Etat en un impôt local demandera beaucoup d'études, de soins et de précautions. Ayant conquis une légitime popularité en supprimant son propre impôt, il va de soi que Î'Etat ne saurait dire aux communes ou aux départements qui assoient depuis un siècle leurs plus grosses ressources sur la base de la contribution abolie: « Débrouillez-vous tout seuls!» Il faudra que l'Etat les aide à se débrouiller. Il s'agira d'abord de savoir si le nouvel impôt local sera départemental ou communal. S'il doit être départemental, il sera un véritable principal, et les centimes communaux s'établiront sur la base de cette contribution. Ce serait de beaucoup la solution la plus facile. On peut concevoir cependant que l'impôt soit communal. Il conviendra alors de prendre tout d'abord des précautions législatives pour que cet impôt soit toujours équitablement établi, dans chaque commune, entre les contribuables, pour que la répartition des parcelles entre les différentes classes de culture se fasse bien suivant la seule fertilité du sol et non d'après d'autres raisons, enfin pour que le taux de l'imposition ne soit nulle part excessif.

Il n'y aurait aucun inconvénient à ce que le taux de l'imposition ne soit pas uniforme dans toutes les communes; mais il faudra l'enfer

mer entre un minimum et un maximum. 11 sera légitime de laisser les communes procéder elles-mêmes à la classification et à l'évaluation de leurs parcelles; mais cette double opération devra être faite sous un contrôle administratif qui assurera l'impartialité et elle devra comporter un appel devant une ou plusieurs juridictions indépendantes. Quant aux centimes départementaux, il est manifeste que les départements ne pourraient pas prendre l'impôt communal pour principal, puisque cet impôt varierait de commune en commune; mais ils pourraient, soit établir un impôt départemen tal spécial sur la propriété non bâtie, soit s'adresser de préférence à d'autres sources de revenus. Ainsi, ce qui pourrait résulter de pire de la localisation de l'impôt foncier, ce serait l'obligation de donner aux budgets départementaux une élasticité plus grande. Cette décentralisation ne serait-elle pas un bienfait? On trouverait peut-être dans cette voie, si l'on y entrait enfin avec quelque hardiesse, et sans que l'indispensable centralité politique en souffrit, tel impôt local nouveau, du moins nouveau en France, ancien déjà en d'autres pays, dont l'acclimatation pourrait être heureusement tentée.

VI

DE LA SURTAXE DE L'ALCOOL COMME TAXE
DE REMPLACEMENT

cier coûterait à l'Etat 103 millions; comment La suppression du principal de l'impôt fonremplacer cette recette?

Nous demanderons à une surtaxe de l'alcool donnés ou, plutôt, restitués à l'agriculture. la compensation des 103 millions qui seront

Nous nous adressons à l'alcool pour deux aujourd'hui bien connue et classée, des conraisons principales en raison de la théorie, sommations vicieuses; et parce que l'alcool qui peut supporter le plus facilement une surest, de toutes les ressources budgétaires, celle

taxe relativement élevée.

On ne prétend pas que d'autres droits ne seraient pas susceptibles d'être surélevés ni, surtout, qu'il n'y aurait point dans notre budget des économies sérieuses à réaliser, notamment sur les crédits, toujours et démesurément croissants, du personnel administratif. Seulement ces réformes, qu'il faut vouloir opérer, nécessitent de longues études; celle de l'alcool, au contraire, est toute prête.

Au surplus, comme la suppression du principal de l'impôt foncier profitera exclusivement, du moins directement, aux cultivateurs, il paraîtra juste de surtaxer une denrée dont la consommation ne s'est pas moins développée, hélas! dans les campagnes que dans les villes.

Le droit actuel sur l'hectolitre d'alcool pur est de 156 fr.; il produit environ 260 millions, 258,927,000 fr., exactement, pour le dernier exercice en raison d'un million et demi d'hectolitres, en chiffres ronds.

La commission du budget de 1895 avait établi que, pour combler le déficit de 167 millions provenant du dégrèvement total des boissons hygiéniques, il fallait surtaxer l'alcool de 108 ou 111 fr., et la Chambre avait voté à cet effet une surtaxe portant le droit à 275 fr.

La commission du Sénat a réduit le dégrèvement des boissons hygiéniques de 167 à 128 millions; elle ne demande plus que 65,600,000 fr. à l'alcool; elle a proposé de le surtaxer de 43 fr. 75.

En calculant sur les mêmes bases, on trouve qu'une surtaxe de 70 fr. donnerait environ 160 millions pour 103 millions réclamés par le dégrèvement de l'impôt foncier.

Le droit sur l'alcool serait donc porté, du fait du dégrèvement de l'impôt foncier, de 156 fr. à 226 fr.

« Les substances qu'absorbent tous les hommes et qui représentent les consommations générales se divisent en deux catégories: 1° les aliments, comme le pain, la viande, le lait, les œufs, les légumes, le vin, la bière, etc., qui nourrissent l'homme, entretiennent et renouvellent ses forces; 2o les excitants, qui agissent principalement sur le système nerveux et quelquefois aussi sur la digestion, comme le sel, le poivre, le tabac, les parfums, la morphine, le thé, le café, l'alcool et les boissons qui en

contiennent.

« Parmi ces excitants, certains sont modérés et utiles, comme le sel; d'autres complètement inutiles, comme le tabac ; d'autres, enfin, tout à fait nuisibles, comme l'alcool et la morphine, qui agissent violemment sur le système nerveux et le désorganisent.

« C'est sur la classe des excitants qu'il faut faire porter les impôts de consommation, en se montrant d'autant plus impitoyable pour chacun d'eux qu'ils sont plus violents. On est donc conduit, s'il se peut, à concentrer tout l'impôt sur les excitants nuisibles, comme l'alcool, la morphine ou le tabac, de manière à décharger complètement non seulement toutes les substances alimentaires, mais même les excitants modérés, comme le vin, la bière, le cidre, le sel, qui sont en même temps utiles l'alimentation et forment comme une catégorie intermédiaire »

Il doit être inutile, après tant de cris d'alarme qui ont été poussés depuis un quart de siècle, d'insister longuement, une fois de plus, sur le progrès et les dangers croissants de l'alcoolisme en France. Quelques chiffres suffiront. L'académie de médecine a émis depuis longtemps l'avis que l'une des causes principales de alcoolisme dans notre pays, c'est l'augmentation démesurée et d'année en année toujours croissante du nombre de débits de boissons et de cabarets. On a prétendu que cette augmentation n'est pas la cause principale de l'alcoolisme, mais qu'elle en est l'un des effets. Evidemment, ici comme ailleurs, les effets et les causes s'enchaînent, et la multiplication des cabarets a répondu, cela n'est point contestable, à de certaines prédispositions. Mais ces prédispositions, qui tenaient elles-mêmes à d'autres causes dont quelques-unes sont très profondes, il faut essayer de les combattre ; or, la loi du 17 juillet 1880 qui a établi la liberté illimitée du commerce des boissons, comment nier qu'elle les ait au contraire favorisées, ex

citées et surexcitées ?

départ, que nous apercevrons et suivrons le C'est, d'ailleurs, eu la prenant pour point de plus facilement le développement de l'alcoolisme. Le mal est aussi terrible que récent. En 1863, le Dictionnaire de l'Académie ignore encore le mot alcoolisme, et Littré, dans son premier fascicule, le définit ainsi : « Maladie caractérisée par une détérioration graduelle de la constitution et par des accidents nerveux; elle s'observe surtout dans les pays froids. »>

Reportons-nous maintenant au Bulletin officiel de statistique auquel sont empruntés tous les chiffres qui vont suivre :

En 1850, à la veille du décret qui soumet à l'autorisation administrative l'ouverture des cabarets, décret dont la pensée politique était fâcheuse, mais dont l'utilité sociale était certaine, le nombre des débits de boisson était de 350,424.

L'effet du décret de décembre est de faire tomber ce chiffre dans des proportions assez considérables; puis ce chiffre se relève et, à la fin de l'empire, nous trouvons, en 1869, 364,875 débits, soit, pour une période de vingt années, une augmentation de 14,451 débits, environ 700 débits nouveaux par an.

L'accroissement, dans la période décennale qui suit et pendant laquelle le décret de 1851 continue à être appliqué, n'est pas beaucoup plus considérable ni plus rapide. De 348,598 débits en 1873, déduction faite de l'Alsace-Lor

Une surtaxe de l'alcool, qu'on limite la réforme fiscale à la suppression du principal de l'impôt foncier ou qu'on létende au dégrèvement des boissons hygiéniques qui la porterait à 270 fr., nécessite une nouvelle législation des bouilleurs de cru et des bouilleurs de profes-raine, on arrive, en 1879, à 354,852 débits, soit sion. Pour ne pas compliquer la question, nous acceptons les mesures très modérées et très justes qui ont été proposées au Sénat et votées par lui pour empêcher la fraude.

Cette surtaxe est-elle légitime? Le rendement du nouveau droit est-il assuré?

VII

DES RAVAGES DE L'ALCOOLISME M. Emile Alglave a résumé en ces termes la théorie des consommations vicieuses:

une augmentation de 6,000 débits en six ans, environ 1,000 débits nouveaux par an.

Mais voici la loi du 17 juillet 1880 et, aussitôt, le nombre des débits s'élève, dans l'espace d'une seule année, de 356,863 à 367,823, Paris non compris, soit de 10,960, et il s'élève, l'année suivante, à 372,587.

C'est-à-dire qu'en deux ans, de 1880 à 1882, le nombre des débits s'est augmenté de 15,724, soit, avec une majoration de 1,723, du même chiffre dont s'était accru le nombre des débits, en vingt années, de 1850 à 1870.

Naturellement, la période ascensionnelle continue. Vires acquirit eundo. De 372,587 débits, en 1882, nous passons, en 1886, à 401,021, soit plus de 7,000 débits nouveaux par an, au lieu de 700 débits de la période 1850-1870 et des mille débits de la période 1870-1880. Nous arrivons ainsi, en 1893, au chiffre formidable de 416,691 débits pour la province et de 27,000 environ pour Paris. Nous avons dépassé aujourd'hui 450,000.

Sait-on ce que représentent, par habitant, ces 450,000 debits? En 1879, à la veille de la loi qui établit la liberté du commerce des boissons, il existait, en France, un débit par 112 habitants; aujourd'hui, à la date du dernier recensement, il existe en moyenne un débit par 78 habitants, c'est-à-dire un débit par 30 adultes.

Décomposons cette moyenne :

Dans le Nord, où le nombre des débits a passé de 26,177 en 1879, à 34,800 en 1885, soit 8,000 débits de plus en cinq ans, plus de la moitié, dans un seul département, du nombre total ue l'augmentation des débits dans toute la France, de 1850 à 1870, dans le Nord, dans le Pas-deCalais et dans la Somme, où il n'y avait, en 1879, qu'un débit par 75 habitants, il y a aujourd'hui un débit par 30 ou 40 habitants, c'està dire un débit par 10 ou 15 adultes.

Dans le département de la Seine-Inférieure, il y a aujourd'hui un débit par 12 habitants.

Dans le département de Lot-et-Garonne, le nombre de débits a doublé dans la période quinquennale qui a suivi la loi de 1880.

Dans certains villages de la Loire et des Vosges, on trouve un débit par trois ou quatre maisons.

A Paris, un débit par 50 ou 60 habitants. La relation de cause à effet entre le nombre des débits et l'abus de la boisson alcoolique n'est pas moins certaine.

De 1850 à 1879, la production de l'alcool s'était élevée, malgré les surtaxes qui avaient porté les droits de 37 à 156 fr., de 940,000 à 1,488,000 hecjolitres, soit en trente ans de 518,000 hectolitres.

De 1879 à 1889, en dix ans, sans nouvelle surtaxe, elle passe de 1,488,000 à 2,246,000 hectolitres, soit une augmentation de 758,000 hectolitres.

C'est-à-dire que, dans les six années qui ont suivi la loi de 1880, pendant que les cabarets montent de 344,852 à 419,069, l'augmentation annuelle de la consommation de l'alcool a été plus du triple, près du quadruple, de ce qu'elle avait été pendant la période antérieure.

Si l'on considère spécialement la production des alcools de betterave, on voit que, de 1852 à 1880, elle s'est tenue entre 280,000 et 300,000 hectolitres; dans la période quinquennale qui suit la promulgation de la loi de 1880, elle passe à 600,000 hectolitres.

De même, pour la consommation de l'absinthe; toujours dans la même période quinquennale, elle passe de 20,000 à 58,000 hectolitres pour atteindre, en 1892, le chiffre de 129,678 hectolitres.

Les statistiques relatives à la consommation moyenne, par habitant, sont plus saisissantes

encore.

En 1830, la consommation moyenne de l'alcool est de 1 lit. 12 par habitant; de 183) à 1880, en un demi-siècle, elle passe de 1 lit. 12 à 2 lit. 84; de 1880 à 1890, elle passe de 2 lit. 84 à 4 lit. 32; c'est à-dire que, dans la période quinquennale qui a suivi la loi de 1880, elle a augmenté d'autant que dans les cinquante années précédentes.

Mais ces 4 lit. 32 ne sont qu'une moyenne pour toute la France; il faut voir quelle est cette moyenne dans les villes et les départements où la statistique officielle signale la plus rapide et la plus considérable augmentation des débits de boisson.

En 1873, il y a encore 29 départements où il a été consommé moins d'un litre d'alcool par habitant; en 1885, il n'y en a plus que 4, les deux Savoie, la Corse et le Gers; aujourd'hui, il n'y en a plus.

En 1873, il y a 10 départements où il a été consommé plus de 6 litres d'alcool par habitant; en 1885, il y en a 23. Dans l'Aisne, la quotité annuelle de la consommation par habitant est de 9 lit. 65, dans le Calvados de 7 lit. 88; dans l'Eure-et-Loir, de 7 lit. 18; dans l'Oise, de 9 lit.43; dans le Pas-de-Calais, de 7 lit. 66; dans la Seine-Inférieure, de 12 lit. 75; dans la Somme, de 10 lit. 43.

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par habitant est de 7 lit. 29; à Marseille, de 6 lit. 90; au Havre, de 16 lit. 59; à Rouen, de 16 lit. 92; à Amiens, de 10 lit. 51; à Brest, de 10 lit. 99; au Mans, de 11 lit. 19; à Boulogne, de 12 lit. 23; à Caen, de 16 lit. 29, et à Cherbourg, de 19 lit. 58.

Observez qu'il s'agit: 1o de la consommation de l'alcool pur, alors qu'un litre d'alcool pur ramené au degré habituel de l'eau-de-vie de commerce et des liqueurs représente environ 3 litres; 2o de la consommation par habitant, c'est-à-dire qu'on fait entrer dans ce calcul les femmes, les enfants, les malades et tous ceux, encore nombreux, qui ne sont pas alcooliques. Dès lors, à Paris, par exemple, 7 lit. 29 d'alcool pur par habitant représentent de 50 à 60 litres, et 19 lit. 58 à Cherbourg représentent environ 120 litres de consommation pour les adultes.

Si vous ajoutez maintenant à la moyenne de 4 lit. 32 pour l'alcool pur, la moyenne de l'alcool absorbé dans la bière, 69 centilitres, dans le vin, 7 lit. 9, et dans le cidre, 9 centilitres, vous arrivez, par personne, au total formidable de 13 lit. 81.

M. Jules Denis, professeur à Genève, a établi la même statistique pour quelques autres pays. Après la France, qui tient la tête, viennent la Suisse avec 11 litres; la Belgique avec 10 lit. 59; l'Italie, qui ne boit guère que du vin, avec 10 lit. 22; l'Allemagne et l'Angleterre, qui boivent surtout de la bière, avec 9 lit. 23. La Suède et la Norvège ont respectivement pour moyenne 4 lit. 39 et 3 lit. 31.

Si l'on tient compte de la consommation antérieure de chacun de ces pays, on voit que la consommation est à peu près stationnaire en Italie et en Suisse; qu'elle a diminué, dans l'espace de soixante-dix ans, de 1829 à 1889, en Suède, de 22 litres à 4 et en Norvège, de 9 litres à 3; en Angleterre, de 1876 à 1892, de 11 litres à 9; en Allemagné, de 1886 à 1892, de 11 litres à 9; mais qu'elle a passé, pour la Belgique, de 1853 à 1896, de 7 litres à 10, et, pour la France, de 1830 à 1892, de 8 litres à 14.

Tous ces chiffres étant ceux de l'alcool à 100 degrés, il faut les tripler pour avoir ceux de l'eau-de-vie ordinaire.

Voilà pour la consommation; voici maintenant quelques-uns des résultats de l'alcoolisme en France:

De 1830 à 1850, les suicides pour cause d'alcoolisme varient entre 5 et 10 pour 100,000 habitants; en 1890, ils sont de 25 pour 100,000 habitants. De 6,299 en 1876, ils passent, en 1892, à 8,840.

La criminalité due à l'alcoolisme n'excède pas 10 p. 100 en 1879; elle est aujourd'hui de 40 p. 100.

Les greffiers de plusieurs prisons de Paris (40,000 débits) ont fourni à un rédacteur de la Science française les chiffres suivants :

Sur 100 détenus pour assassinat, 53 alcooliques;

Sur 100 condamnés pour viol et outrage public à la pudeur, 54 alcooliques;

Sur 100 détenus pour incendie volontaire, 57 alcooliques;

Sur 100 condamnés pour mendicité et vagabondage, 70 alcooliques;

Sur 100 condamnés pour coups et blessures, violences et brutalités, 90 alcooliques.

Même augmentation pour la folie. C'est dans les départements où il y a le plus de cabarets que la folie sévit avec le plus d'intensité. M. Claude (des Vosges) et le docteur Jeoffroy, comparant la proportion des aliénés alcooliques qui sont entrés dans les asiles départementaux pendant les deux périodes quinquennales de 1861 à 1865 et de 1881 à 1885, après la loi sur la liberté du commerce des boissons, établissent notamment que la proportion s'est élevée pour le Cher de 18 à 28 p. 100; pour la Côte-d'Or, de 5 à 29 p. 100; pour la Marne, de 12 à 29 p. 100; pour la Sarthe, de 16 à 33 p. 100.

De même encore pour l'épilepsie, pour l'idiotie, pour le rachitisme des enfants nés d'alcooliques, car l'alcoolisme atteint l'individu dans ses enfants et petits-enfants. Darwin a établi que la descendance de l'ivrogne disparaît à la troisième ou à la quatrième génération.

Cette descendance, avant qu'elle disparaisse, n'est d'ailleurs qu'une collection de malfaiteurs, de vagabonds et de filles. C'est ainsi que le professeur Pellmann, de l'université de Bonn, a pu reconstituer la descendance d'une femme, nommé Ada Surke, qui mourait alcoolique à soixante et quelques années, au commencement de ce siècle. Sa postérité comprenait 834 individus; le professeur Pellmann a pu re

constituer l'identité de 709 d'entre eux : 106 étaient nés en dehors du mariage, 142 mendiants, 64 pensionnaires des dépôts de mendicité, 181 femmes devinrent filles publiques et 70 furent condamnés pour divers crimes.

Le docteur Rochard avait estimé que l'alcool coûtait 1,200 millions du salaire des ouvriers; le professeur Lannelongue porte ce chiffre à près de 2 milliards.

Enfin, M. Guillemet établit que le nombre des réformés a quadruplé dans la Seine-Inférieure, quintuplé dans l'Ille-et-Vilaine, augmenté dans tous les départements à mesure qu'augmentait la consommation de l'alcool. On peut en conclure:

Ou bien le législateur prendra rapidement, énergiquement, un ensemble de mesures pour arrêter les progrès de l'alcoolisme, ou la France est destinée à mourir lentement, comme les Peaux-Rouges, des abus de l'eau de feu.

---

Or, la France, dont il a été dit qu'elle est la plus grande personne morale qui soit au monde, repousse cette fin honteuse; elle veut vivre, revivre forte et saine.

Le mal qui la mine est connu; les remèdes au mal ne le sont pas moins.

Ils sont au nombre de cinq :

Il faut braver la colère des marchands de poison et réformer la loi de 1880. Non point qu'il soit possible ni même désirable de revenir au decret de 1850. Ce n'est plus au seul préfet, agent politique, que la loi donnerait à l'avenir le droit d'autoriser l'ouverture de nouveaux débits, mais bien à une commission qui serait composée, en nombre égal, d'agents de l'administration et de délégués du conseil général. M. Joseph Reinach a déposé dans ce sens, sur le bureau de la Chambre, une proposition qui a été l'objet d'un sous-amendement excellent de M. Henry Cochin. Il arrivera bien une heure où nous pourrons discuter cette question.

Il faut organiser dans nos écoles un enseignement antialcoolique qui inspire de bonne heure la crainte du poison; M. Poincaré a pris cette heureuse initiative.

Il faut, par le dégrèvement des vins, de la bière et du cidre, ramener la grande masse des consommateurs aux boissons hygiéniques; le Sénat et la Chambre des députés finiront bien par se mettre d'accord sur un texte de loi qui assure cette réforme.

Il faut soumettre à la rectification, sous des peines sévères, tous les alcools livrés à la consommation; cette mesure est un corollaire de la précédente.

Il faut enfin que la France, aujourd'hui celui de tous les pays où l'alcoolisme sévit avec plus de violence, cesse d'être l'un de ceux où l'alcool est le moins imposé.

La santé physique et morale, l'existence même de la France sont à ce prix.

Il nous reste à montrer que l'alcool peut supporter immédiatement une double surtaxe, l'une qui permettra de supprimer les droits sur les boissons hygiéniques, l'autre qui permettra de supprimer le principal de Timpôt foncier.

VIII

DE LA SOLIDITÉ FISCALE DE L'ALCOOL Avant la loi du 21 juin 1824, l'alcool était frappé de trois taxes ad valorem, portant séparément sur la circulation, la consommation et le détail. La loi de 1824 unifia ces droits et les confondit en un seul, perçu d'après la richesse alcoolique; ce droit unique, appelé « droit général de consommation », était, à l'origine, de 55 fr. par hectolitre d'alcool pur; il a subi, depuis 1824, les modifications suivantes :

Loi du 12 décembre 1830: 37 fr.; diminution de 32 p. 100.

Loi du 14 juillet 1855: 60 fr.; augmentation de 45 p. 100.

Loi du 26 juillet 1860 90 fr.; augmentation de 50 p. 100.

Loi du 1er septembre 1871: 150 fr.; augmenta. tion de 66 p. 100.

Loi du 30 décembre 1873: 156 fr. 25; augmentation de 5 p. 100.

Cette taxe de 156 fr. peut-elle être augmentée? De quelle surtaxe peut-elle être accrue sans tarir la source de production?

Pour répondre à cette double question, il est indispensable de rechercher d'abord quelle a été sur la consommation de l'alcool l'influence des surtaxes successives de 1855, 1860, 1871 et 1873. Le tableau suivant montrera tout de suite que cette consommation, malgré les sur

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Dégageons la signification, très claire, de ces chiffres:

En 183), le droit est abaissé de 55 fr. à 37 fr. ; la consommation fléchit de 1 lit. 12 à 1 lit. 9, ce qui est insignifiant, et remonte, l'année suivante, à 1 lit. 13 pour s'élever graduellement, en 1854, à 1 lit. 68;

En 1855, le droit est porté de 37 fr. à 60 fr., soit une augmentation de 45 p. 100; la consommation, qui est de 2 litres, s'élève, en 1856, à 2.13 et en 1857, à 229, chiffre où elle va rester à peu près stationnaire jusqu'à la fin de l'empire, non point cependant à cause de la surtaxe, mais, comme on l'a vu plus haut, à cause du décret de 1850 qui soumettait à l'autorisation administrative l'ouverture des débits de bois

sons;

En 1871, le droit est porté de 90 fr. à 150 fr.; il est presque doublé; la consommation fléchit un instant, en 1872, mais d'une manière insignifiante, de 2 lit. 81 à 2 lit. 09 l'année précédente (1871), ayant été d'ailleurs une année exceptionnelle; mais elle remonte, en 1873, avec une nouvelle surtaxe de 6 fr. 25 à 2 fr. 59; en 1895, elle revient à 2 fr. 82 pour ne plus cesser de monter.

Voici donc une première preuve mathématique, irréfutable, que l'augmentation des droits de l'alcool, même quand elle est de 50 et de 60 p. 100, ne fait pas fléchir la consommation.

Si, au lieu de considérer la consommation moyenne nous comparons la progression des droits avec la progression des quantités imposées, les chiffres seront peut-être encore plus

démonstratifs :

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Le droit sur l'alcool qui est, en 1859, de 60 fr. est porté, en 1850, à 90 fr.; la matière imposable, qui est de 851,823 hectolitres, en 1860, fléchit à peine de 17,000 hectolitres, en 1860, et remonte, dès 1862, à 857,592 pour atteindre 882,790 en 1870;

Ce droit est porté à 150 fr. en 1871, et à 156 fr. 25 en 1873; la matière imposable, qui a été en 1871, année exceptionnelle, de 1,013,216, fléchit sans doute, en 1872, à 755,464, mais la surtaxe n'est point la cause de cet abaissement, d'ailleurs peu considérable et passager; la cause en est dans la loi sur les bouilleurs de cru qui fonctionna de 1872 à 1875, et qui marqua tout naturellement un temps d'arrêt dans la production; mais, dès 1873, nous passons de 755,464 à 934,450 alors que la surtaxe vient d'être élevée de 6 fr. nous passons, en 1874, à 970,599 et, en 1875, après la suppression de la loi sur les bouilleurs, à 1,019,052, pour arriver, en 1881, à 1 million 488,685, en 1891, à 1,539,389.

Donc, les quantités imposées ne diminuent pas avec la surtaxe; le seul fléchissement sérieux, celui de 1872, est dû à d'autres causes, et il ne dure pas un an. Au surplus, si nous considérons des périodes d'ensemble, la statistique devient encore plus démonstrative :

En 1854, le droit sur l'alcool étant de 37 fr., la quantité imposée est de 601,699 hectolitres; De 1855 à 1860, les droits sont de 60 fr.; les quantités imposées s'élèvent à 851,823 hectolitres;

De 1861 à 1870, les droits sont de 90 fr.; les quantités imposées s'élèvent à 882,790 hectolitres;

De 1871 à 1873, les droits sont portés de 90 à 150 fr., presque doublés; les quantités imposées, malgré la perte de trois départements, s'élèvent toujours, après un fléchissement passager en 1872, à 934,450 hectolitres;

De 1873 à 1891, les droits sont portés à 156 fr.; la quantité imposée s'élève au bout d'un an à plus de 1 million d'hectolitres, et la marche ascendante n'arrête plus.

En résumé, quand le droit était à 37 fr., la consommation était de 600,000 hectolitres en chiffres ronds; il est de 156 fr. 25, c'est-à-dire plus que quadruplé, et la consommation est de 1 million et demi d'hectolitres en 1894; elle a presque triplé.

Veut-on comparer enfin le droit de consommation avec la production elle-même, voici les chiffres:

En 1854, avec un droit de 37 fr., la production est de 914,000 hectolitres;

Le droit est porté, en 1855, à 60 fr.; la production s'élève, en 1859, à 1,032,000;

Le droit, en 1860, est surélevé de 30 fr.; la production monte régulièrement, jusqu'en 1869, à 1,411,000;

Le droit est porté à 150 fr. en 1871; la pro-
duction, malgré la guerre et la cession de l'Al-

sace-Lorraine, s'élève à 1,601,000 en 1871 et à
1,891,000 en 1872;

Nouvelle surtaxe en 1873, et la production,
après un fléchissement passager pendant le
fonctionnement de la loi sur les bouilleurs,
monte, en 1875, à 149,000, dépasse 2 millions en
1886 et arrive, en 1894, à 2,329,000 hectolitres.

Il est donc démontré, en ce qui concerne les surtaxes de 1855, 1860, 1871 et 1873, qu'elles n'ont pas fait fléchir la consommation de l'alcool; T'expérience n'est même que trop démonstrative. Un seul arrêt, au cours de cette longue expérience, et cet arrêt encore, tout momentané, a-t-il manifestement une cause autre que l'accroissement du droit.

Mais, dira-t-on, s'il est démontré que la matière imposable n'a pas diminué jusqu'à ce jour avec l'augmentation des droits, il ne faudrait pas en conclure que la surtaxe puisse aller indéfiniment croissant; une limite existe cependant, qu'elle ne saurait dépasser sans tarir ou diminuer la consommation, sans provoquer la fraude, qui sera d'autant plus profitable que les droits seront plus élevés, sans porter, par contre-coup, un préjudice plus grave encore que par le passé à la santé publique par la mise en circulation d'alcools de plus en plus frelatés. Le fisc appauvri, la fraude encouragée, l'hygiène déçue, ce seraient de médiocres résultats.

C'est l'évidence qu'il y a une limite aux surtaxes sur l'alcool; la question est de savoir si le droit de 226 fr., avec lequel on compense la suppression du principal de l'impôt foncier, si meme le droit de 270 fr., qui suffit à la fois à dégrever la terre et les boissons hygiéniques, seraient des droits excessifs.

Actuellement, la France est 'un des pays où

l'alcool est le moins imposé. En effet, tandis que l'hectolitre d'alcool pur ne paye en France que 156 fr., il paye en Italie 180 fr., aux EtatsUnis 245 fr., en Hollande et en Norvège 252 fr., en Russie 455 fr. et en Angleterre 477 fr. En portant le droit à 226 fr., la France serait donc encore au-dessous de la Hollande, des EtatsUnis, de la Norvège, de la Russie et de l'Angleterre. En le portant à 270 fr., nous serions à peu près dans la moyenne. Le droit russe serait encore supérieur au nôtre de 185 fr., et le droit anglais de 207 fr.

Il n'est pas douteux que les raisonnements, par analogie, d'un pays à l'autre, qu'il s'agisse d'impôt ou d'autre chose, ne sauraient rien avoir d'absolu. Il n'y a cependant pas de raison pour que l'alcool français fléchisse sous une taxe qui serait supérieure à peine de 18 fr. à celle de la Hollande et de la Norvège et que les droits anglais et russes dépasseraient les uns de 207, les autres de 125 fr. L'analogie est, dans l'espèce, d'autant plus vraisemblable, pour ne pas dire certaine, que les surtaxes successives de l'alcool ont eu les mêmes conséquences à l'étranger qu'en France et que, partout, en Russie comme en Angleterre, en Hollande comme aux Etats-Unis, la consommation, loin de faiblir, a augmenté avec les droits. Ainsi, en Russie, une consommation dépassant 3 mil. lions d'hectolitres, s'élevant, en 1883, jusqu'à près de 4 millions, a suivi l'élévation du droit de 300 à 455 fr. Le Spirits Act de 1860, qui a fixé à 477 fr. le tarif qui n'était, au commencement du siècle, que de 256 fr., a été suivi des progressions suivantes de la perception: 301 millions en 1860, 347 en 1865, 392 en 1870, 510 en 1874. De 1874 à 1894, la perception est en moyenne de 500 millions, oscillant entre 540 et 460.

Aux Etats-Unis, la perception, qui était de 26,915,000 fr. en 1863 pour un tarif de 54 fr., s'est élevée, en 1868, avec un tarif de 136 fr., à 97 millions; en 1872, avec un tarif de 190 fr., à 270 millions; en 1875, avec le tarif de 245 fr., à 270 millions; la perception, avec le même tarif, dépasse aujourd'hui 400 millions. Chose remarquable, le droit, qui était de 54 fr. en 1863, a été porté, pendant la guerre de Sécession, par trois lois successives de la même année, 7 mars, 30 juin et 22 décembre 1864, à 163, 408 et 545 fr.; et la perception, qui était de 26 millions en 1863, à été de 158 millions en 1864, pour ne retomber, en 1865, qu'à 97 millions et rebondir, en 1866, à 172 millions. De même, en Hollande, où le droit a été successivement de 222, 239 et 252 fr., et la production de 31 millions en 1871, 39 en 1875 et 45 en 1885.

Il y a donc là un phénomène qu'on peut considérer avec d'autant plus de raison comme constant que l'alcool, à travers tant de crises économiques que la France a traversées depuis un demi-siècle, est le seul impôt qui n'ait jamais notablement fléchi. Pourquoi fléchiraitil demain sous un droit qui laisserait encore loin derrière celui des grands pays producteurs d'alcool?

On objectera peut-être que le passage d'un droit de 156 fr. à 270 fr. est un saut un peu brusque. Nous répondrons que la proportion entre la surtaxe nouvelle et le droit existant, après vingt-six années de statu quo, serait inférieure à la proportion entre la surtaxe de 1855 et le droit de 1830, laquelle n'est que de 45 p. 100 après vingt-cinq années, ou à la proportion entre la surtaxe de 1871 et le droit de 1860, laquelle a été de 66 p. 100 après seulement douze années.

La surtaxe qui porterait le droit à 270 fr. serait, d'ailleurs, inférieure au droit qui fut proposé, en 1885, à la Chambre, par MM. Henri Germain et Lebaudy, et à celui qui a été adopté par la Chambre en 1895. M. Germain, en 1885, proposait et justifiait un droit de 300 fr.; la Chambre, en 1895, a voté 275 fr. pour réaliser la suppression complète des droits sur les boissons hygiéniques. C'est ce dernier droit que le Sénat a réduit à 200 fr. et qui, remonté à 270 francs, assurerait tout ensemble le dégrèvement partiel des boissons et la suppression du principal de l'impôt foncier.

IX

MONOPLE OU SURTAXE

Mais pourquoi, dira quelqu'un, ne pas établir tout de suite le monopole de l'alcool qui ne permettra pas seulement, d'après ses promoteurs, de dégrever les boissons hygiéniques et l'impôt foncier, mais encore de supprimer les octrois et tous les impôts directs?»

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Voici pourquoi :

Il arrive quelquefois, dit l'Homme aux quarante écus, qu'on ne peut rien répondre et qu'on n'est pas persuade. On est attéré sans pouvoir être convaincu. On sent dans le fond de son âme un scrupule, une répugnance qui nous empêche de croire ce qu'on nous a prouvé. »

C'est ce qui advient, dans l'occurrence, aux quatre-vingt-dix-neuf centièmes de nos contemporains; mais ils ne l'avouent pas.

Quand ils entendent l'inventeur du monopole, M. Emile Alglave, et voilà près de quinze ans qu'il a commencé sa brillante propagande, ils sont séduits, mais réussissent-ils à être convaincus? La bouteille qu'il appelle simplement fiscale et que ses adversaires appellent magique, est certainement magique par l'attraction qu'elle exerce sur les yeux hypnotisės. Quoi cette bouteille d'un litre, au col encerclé de métal, renfermerait tant de centaines de millions sous son goulot, près de 1 milliard ! L'œil ébloui la suit invinciblement quand elle passe, brillante et légère, entre les mains du savant prestidigitateur. Et tout le monde est heureux et content, les producteurs qui vendront plus cher et les buveurs d'alcool qui ne payeront pas plus cher, les bouilleurs de cru qui ne seront plus traités de fraudeurs et les cabaretiers qui seront surveillés sans procédés vexatoires, les contribuables qui seront dégrevés de presque tous les impôts, et l'Etat qui encaissera annuellement 800 millions, et les hygiénistes, enfin, car l'alcool sera désormais parfaitement pur et inoffensif, et l'on ne fera pas de l'Etat un marchand de poison. C'est si beau que cela paraît trop beaù! Mais, pourtant, si c'était possible?

De même, quand nous entendons les adversaires du monopole. Eux aussi, M. Yves Guyot, M. Paul Leroy-Beaulieu nous troublent, mais ne nous persuadent pas. Ce n'est pas une bouteille rayonnante de millions qu'ils montrent, c'est un gouffre où s'effondrerait la fortune de la France. Qui ne reculerait devant cet abîme? Mais quelle est la réforme qui n'a pas été traitée d'abord de mystification et de duperie? L'invention est jugée par cela seul que l'inventeur fait cette promesse : les producteurs vendront plus cher et les buveurs ne payeront pas plus cher. « Vint un sage et brave citoyen, dit encore l'Homme aux quarante écus, qui offrit de donner au roi trois fois plus en faisant payer par la nation trois fois moins; le ministre fui conseilla d'apprendre l'arithmétique. » Mais M. Alglave ne sait-il pas l'arithmétique? monopole existe en Suisse depuis huit ans ; il devait rendre 8 millions et n'en rend que 4 et demi. C'est grave; mais pourquoi la Suisse ne l'abroge-t-elle pas? Evidemment encore, l'état social et le régime administratif de la Russie qui expérimente le monopole dans plusieurs provinces sont fort différents du nôtre; mais fait-on cette objection, quand il s'agit de surélever les droits sur l'alcool?

Le

La vérité vraie, c'est que, sauf les champions qui combattent au premier rang, nous ne savons pas, les uns et les autres, à quoi nous en tenir et qu'un même scrupule nous empêche, soit d'adopter sur parole une réforme qui serait un leurre, soit de repousser a priori une mesure qui pourrait être un bienfait. Il ne faut donc dire encore ni« oui» ni « non », il faut mettre la question à l'étude, la soumettre à une enquête approfondie. Tant mieux si c'est M. Alglave qui à raison; mais il faut que cela soit d'abord démontré.

Nous serions cependant d'ores et déjà convaincus de l'excellence du monopole, que la surtaxe de l'alcool nous paraîtrait encore préférable, momentanément.

Et la raison en est fort simple: c'est que, le jour où la conviction sera faite dans les esprits aujourd'hui les plus réfractaires, le monopole ne saurait pourtant être établi du soir au matin. M. Alglave lui-même reconnaît que le système exige, pour fonctionner, la construction de plusieurs usines de rectification. Cela seul prendrait bien encore, après le vote du projet, un an ou deux. Puis, M. Alglave, même alors, ne proposera l'abrogation immédiate d'aucun impôt, il s'en remettra au conseil d'Etat pour dégrever les taxes existantes au fur et à mesure des rentrées du monopole. Ce n'est point défiance, c'est prudence et sagesse. Comptez un peu. Deux ou trois ans pour faire une enquête sérieuse, deux ans pour faire voter la loi, deux ans pour en préparer l'application. Nous voici en plein vingtième siècle, et l'impôt foncier écrase toujours les cultivateurs, et l'alcool non

CHAMBRE DES DÉPUTÉS

rectifié empoisonne toujours les sources de la vie française, et l'impuissance des partis modérés à faire aboutir la moindre réforme fiscale a assuré la victoire des impôts socialistes sur le

revenu!

La surtaxe, dit M. Alglave, n'est qu'un expédient! Va pour expédient! Seulement, l'expédient est tout prêt; il peut être appliqué demain; il permet de supprimer, dès deinain, le principal de l'impôt foncier, de dégrever, des demain, les boissons hygiéniques; il barre la route, dès ce soir, à l'impôt progressif sur le revenu global, et cette route, qu'il barre aux socialistes, il la laisse, au contraire, toute grande ouverte au monopole. S'il doit résulter de l'enquête qui a été ordonnée par le Gouvernement que le monopole n'est pas un mirage, il ne sera pas plus malaisé, dans cinq ou six de monopoliser la rectification d'un alcool ans, taxé à 270 fr. que celle d'un alcool taxé à 156. Et les cultivateurs auront profité déjà, pendant plusieurs années, du dégrèvement de la terre, et la marche de l'alcoolisme sera déjà enrayée. S'il résulte, au contraire, de l'enquête que le monopole est un leurre, l'expédient de la surtaxe, la réalité, qui n'aura pas été sacrifiée au rêve, aura donne, du moins, quelques appré

ciables résultats.

Vous dites que le monopole sera la panacée fiscale. Nous en serons heureux. Mais est il réalisable dès demain? Non.

Vous dites que la surtaxe de l'alcool n'est qu'un expédient. Soit! Mais est-elle applicable dès ce soir? Oui.

La question cesse d'être fiscale; elle n'est plus qu'une question de méthode.

En conséquence, nous avons l'honneur de soumettre à vos délibérations la proposition de loi suivante :

-

PROPOSITION DE LOI

Art. 1er. A partir de la promulgation de la présente loi, le principal de l'impôt foncier cessera d'ètre perçu sur les propriétés non bâties.

Art. 2. A partir de la même date, le droit de consommation sur les eaux-de-vie, esprits, liqueurs, fruits à l'eau-de-vie, absinthes et tous autres liquides ainsi dénommés, sera porté de 156 à 226 fr. par hectolitre d'alcool pur.

ANNEXE N° 2072

Séance du 27 octobre 1896.)

(Session extr. PROPOSITION DE LOI ayant pour objet de substituer officiellement en France, comme méridien initial, le méridien de Greenwich au méridien de Paris, présentée par M. Gabriel Deville, député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

toutes les

Messieurs, M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, en clôturant le conau mois de septembre dernier, constatait très grès international de météorologie tenu à Paris sciences, la météorologie est internationale ». judicieusement que,« comme Si l'internationalisme des divers ordres de connaissance est donc un fait général auquel il est aussi impossible que pueril de vouloir faire des exceptions; si, en n'importe quelle matière, l'affirmation de l'internationalisme comporte par elle-même la reconnaissance formelle de l'existence de nations distinctes et l'acceptation des obligations qu'une telle reconnaissance implique, les nations ne doivent pas, ce me semble, dans les circonstances où il y a pour elles communauté d'intérêts, se laisser guider par les considérations qui peuvent avoir leur raison d'être dans les circonstances, et seulement dans les circonstances où leurs intérêts sont divergents.

La fierté nationale se comprend, se justifie et s'impose comme la fierté personnelle; mais ni l'une ni l'autre ne sauraient exiger que notre œuvre, par cela seul qu'elle est notre œuvre, ne s'efface jamais devant l'œuvre d'un autre. Pour une nation ainsi que pour un individu, la grandeur ne consiste pas à repousser de parti pris, à cause de son origine, tout ce qu'on n'a pas soi-même conçu, mais à rendre hommage, quand elles le méritent, aux conceptions d'autrui.

Je m'excuserais de recourir à une pareille ar

gumentation, tellement elle me paraît l'évidence même, s'il n'y avait pas nécessité de répondre à l'unique objection formulée contre la proposition que j'ai l'honneur de vous présenter: au point de vue scientifique et au point de vue pratique, en effet, tout le monde s'accorde à proclamer les avantages d'un même méridien initial pour tous les pays.

I

Quel est l'état de la question?

En octobre 1884 se réunissait à Washington une conférence internationale ayant officiellement pour mission de choisir un méridien initial commun à tous les pays. La France non seulement proposait le méridien de Paris, mais demandait l'adoption d'un méridien entièrement neutre, ce qui impliquait, proposé par la France elle-même, le sacrifice de son méridien national. Quand on passa au vote, le médien de Greenwich fut adopté par vingt-deux des nationalités présentes, parmi lesquelles les Etats-Unis, la Russie, la Suisse, l'Espagne, les Pays-Bas, la Suède, la Turquie, l'Autrichement l'Angleterre, contre une seule, SaintHongrie, l'Allemagne, l'Italie et naturelleDomingue, et deux abstentions, la France et le Brésil.

Quoique ce vote n'ait pas été sanctionné par une convention diplomatique, il a reçu une plus permis de songer à revenir sur cette telle consécration dans la pratique, qu'il n'est d'hui, et je propose simplement que nous question; elle est résolue en réalité aujoursachions nous incliner devant la force des choses.

En ce moment, c'est sur le méridien de Greenwich que repose la fixation de l'heure des chemins de fer, et de l'heure civile presque toujours en même temps, dans toute l'Europe, sauf en France, en Espagne et en Portugal, dans les Etats-Unis, le Canada et le Japon. Cela ne veut évidemment pas dire que l'heure de Greenwich y est devenue l'heure uniformne; mais le méridien de Greenwich y sert de base au système des fuseaux horaires, grâce auquel une coordination de l'heure dans tous les pays correspond à l'unification de l'heure dans chaque pays. Si ce système peut parfaitement se concilier avec n'importe quel méridien initial, il n'a, en fait, fonctionné qu'avec le méridien de Greenwich choisi pour point de départ, sans amour-propre national, par les Américains qui ont été les premiers à Tappli

quer.

Parlant du méridien de Greenwich, les Américains ont divisé le globe terrestre en vingtquatre fuseaux de 15 degrés de longitude en moyenne, car, dans la pratique, on s'est arrangé, avec raison, pour faire coïncider les limites des fuseaux avec les frontières politiques, et il y a une différence d'une heure juste entre l'heure d'un fuseau quelconque et celle des fuseaux contigus on avance d'une heure précise par l'est, on retarde d'une heure précise par fuseau en allant vers l'ouest.

En vertu de ce système, nous avons en Europe trois heures différentes appelées : l'heure orientale (Russie, Roumanie, Bulgarie, Grèce, Turquie), l'heure centrale (Suède et Norvège, Danemark, Allemagne, Autriche-Hongrie, Serbie, Italie, Suisse), et l'heure occidentale (Iles Britanniques, Belgique, Pays-Bas, France, Espagne, Portugal); l'heure orientale avance d'une heure juste sur l'heure centrale, qui est en avance elle-même d'une heure juste sur l'heure occidentale, et celle-ci est l'heure du temps moyen de Greenwich. La réforme est opérée, ai-je dit, dans tous ces pays, sauf dans les trois derniers; or il est à peu près certain que l'adhésion de la France entraînerait celle de l'Espagne et du Portugal, l'Espagne s'étant, à la conference de Washington, prononcée pour le méri→ dien de Greenwich.

II

Quelle modification notre adhésion produirait-elle pour nous?

Vous savez que l'heure de Greenwich, qui deviendrait notre heure, est en retard de neuf minutes vingt et une secondes sur l'heure de Paris, devenue, depuis la loi du 15 mars 1891, l'heure légale de la France entière et de l'Alelle n'a eu d'exemple dans aucun autre pays, gérie. Mais, par une bizarre anomalie, qui, si aurait une certaine utilité en la circonstance, nous avons en France deux heures distinctes: l'heure légale et l'heure des chemins de fer qui

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