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L'OBSERVATEUR

CATHOLIQUE

REVUE

DES SCIENCES ECCLESIASTIQUES ET DES FAITS RELIGIEUX.

Omnia instaurare in Christo. Eph., I, 10.

LE CATHOLICISME ET LA LIBERTÉ.

(Suite.)

De ce qu'un parti puissant et astucieux travaille à détruire, au sein de l'Eglise, les principes et les institutions qui ont fait sa gloire, s'ensuit-il qu'il faille confondre l'Eglise avec ce parti, faire porter à l'Eglise les idées et les excès de ce parti? Il serait aussi raisonnable de dire que la France entière porte la responsabilité des systèmes politiques des amis de l'ancien régime, qui ne voient d'avenir pour elle que dans l'apostasie des principes qui l'ont régénérée.

Nous adhérons aux reproches adressés à notre clergé actuel par M. Ad. Guéroult. Nous eussions seulement désiré l'entendre constater l'existence d'une minorité de vrais prêtres catholiques, qui n'ont pas encore fléchi le genou devant Baal, et qui savent défendre les vrais principes catholiques au prix de leur repos et des persécutions. Leur nombre serait bien plus grand encore si les prêtres jouissaient d'une légitime indépendance; s'ils pouvaient, sans craindre de mourir de faim, prendre ostensiblement la défense de cette vérité qu'ils chérissent, et qu'ils ne voient pas sans une indi

cible douleur trahie et conspuée par ceux qui devraient la défendre. Mais, nous le demandons à M. Ad. Guéroult, le clergé jésuitisé du dix-neuvième siècle est-il tout le clergé catholique? Ce clergé est-il l'Eglise?

L'Eglise est une institution; elle ne doit être identifiée ni avec le clergé, qui brûlait les hérétiques au moyen àge, ni avec le clergé actuel qui prêche le despotisme papal. Les hommes, à toutes les époques, ont été des hommes; à toutes les époques, ils ont pu, par leurs actes, mentir aux lois qu'ils auraient dû respecter. Ne rencontre-t-on pas chaque jour des amis théoriques de la tolérance qui sont les plus intolérants des hommes? Si M. le rédacteur en chef de l'Opinion nationale eût songé à distinguer l'institution chrétienne ou l'Eglise, des hommes qui se sont dits plus ou moins légitimement chrétiens, aux diverses époques de l'histoire, il n'eût pas adressé à l'Eglise des reproches qui ne conviennent qu'aux hommes; il n'eût pas fait des lois de ces hommes autant de lois que l'Eglise doit respecter pour être conséquente avec elle-même; il n'eût pas confondu le Code des inquisiteurs avec le Droit canonique, et la discipline ecclésiastique avec la foi; il n'eût pas mis l'infaillibilité où l'Eglise ne l'a jamais mise.

L'Eglise, il est vrai, a une doctrine immobile, comme dit M. Ad. Guéroult. Elle croit que Dieu a parlé et que sa parole suffit; mais doit-on en conclure qu'il y ait entre cette doctrine immobile et le progrès social une antipathie invincible? La vérité est-elle mobile? varie-t-elle? se transformet-elle en elle-même ? La vérité n'est-elle pas le but suprême de l'intelligence? ne répond-elle pas à tous les progrès possibles de l'esprit humain? Faut-il nécessairement que l'homme hésite ou qu'il doute pour progresser? Le progrès ne sera-t-il pas plus sûr si l'homme part d'une donnée vraie, et s'il n'a besoin d'exercer son activité que dans la sphère des applications de la vérité, aux détails qui surgis ́sent des besoins accidentels de son existence ou de l'existence sociale? Il faudrait prouver que le christianisme n'est

pas vrai, avant de décider avec autant d'assurance que l'esprit humain peut le dépasser dans sa marche progressive. M. Ad. Guéroult prétend bien que « le dogme est miné par les aphorismes de la philosophie moderne; » mais nous croyons qu'il serait fort embarrassé pour formuler un seul aphorisme admis sans contestation par cette philosophie, et pour démontrer qu'il en est un seul qui mine le dogme chrétien. Il fait en passant allusion au dogme de la chute et le proclame opposé à la doctrine incontestée du progrès; mais, en même temps, il constate que la nature humaine est perfectible, qu'elle est imparfaite.

Il faut bien admettre cette imperfection dès que l'on croit au progrès. En effet, ce qui est parfait ne peut progresser puisqu'il est arrivé au but, à ce qui est le terme nécessaire du progrès. Nous demandons d'où vient cette imperfection qu'on est obligé de reconnaître et que suppose la doctrine du progrès? L'humanité est-elle sortie imparfaite des mains du Créateur ou bien est-elle déchue de l'état parfait où Dieu l'aurait créée? Le christianisme affirme qu'elle est déchue, mais il impose en même temps à l'homme le devoir d'user de toute la liberté qu'il possède encore pour se réhabiliter, se perfectionner. Jésus-Christ n'a donné à l'homme pour but de ses efforts que la perfection de Dieu lui-même : «Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Estil un ami du progrès qui ait osé lancer au monde un tel aphorisme! Que l'humanité ait été créée imparfaite ou qu'elle soit déchue, la conséquence est la même : elle doit se perfectionner, progresser. Comment se fait-il que M. le rédacteur en chef de l'Opinion nationale ne s'en soit pas aperçu? Comment a-t-il pu affirmer logiquement que la doctrine de la chute plaçait comme un mur de séparation entre l'Eglise et la société moderne ?

Sur ce point, comme sur tous les autres dogmes chrétiens, l'Eglise n'a aucun sacrifice à faire à la philosophie, et elle dépassera toujours les conceptions humaines les plus avancées, par la raison qu'elle possède la vérité. Mais pour

voir l'Eglise sous ce point de vue, il ne faut pas plus la confondre avec le clergé de telle ou telle époque qu'avec la papauté ou avec ce que M. Ad. Guéroult appelle la barque de saint Pierre. Les pilotes de cette barque, qui ne fut jamais celle de saint Pierre, peuvent lutter, s'ils le trouvent bon, contre la tempête; nous croyons que, malgré les jésuites, que la papauté a si pompeusement proclamés ses vigoureux rameurs, la barque vermoulue sombrera bientôt; mais, grâce à Dieu, elle ne porte pas dans ses flancs les destinées de l'Eglise de Jésus-Christ. Nous croyons, au contraire, que son naufrage amènera le triomphe de cette Eglise, car la papauté, telle que la proclament les ultramontains, a été la cause la plus directe de ses malheurs et des rudes épreuves qu'elle a aujourd'hui à traverser. C'est à elle et à ses adeptes qu'il faut attribuer les fausses doctrines, que l'on confond chaque jour avec les vrais dogmes de l'Eglise, ces théories, souvent absurdes et toujours intolérantes, au moyen desquelles elle a voulu asservir le monde à sa domination, courber toutes les intelligences sous un joug de fer, établir une unité qui, si elle eût été possible, n'aurait été que l'unité dans le silence et dans la mort; mais le jésuitisme n'a pu entreprendre de jeter ce linceul sur le monde sans profaner les plus saintes doctrines de l'Eglise, sans fouler aux pieds ses institutions les plus vénérables. Que cette épaisse fumée qui est sortie du puits de l'abîme disparaisse, et le soleil catholique brillera de tout son éclat, et tous les peuples le salueront encore une fois comme l'arche sainte qui les sauvera en même temps et du despotisme et du désordre.

Nous croyons, comme M. Ad. Guéroult, à une régénération pour l'Eglise de Jésus-Christ, mais non de la même manière que lui. Comme nous ne mettons pas l'Eglise dans le jésuitisme, mais dans la vérité chrétienne et dans les institutions primitives et fondamentales qui lui ont jadis acquis dans le monde une influence si légitime et si salutaire, nous croyons qu'elle n'a besoin que d'être elle-même,

et d'être délivrée des liens qui gênent son action. Avec ses dogmes sacrés, débarrassés des systèmes théologiques elle répondra à tous les besoins de l'intelligence; avec les lois de sa divine morale, elle servira d'égide à tout ce qui forme la base de tout ordre social; devant ses institutions salutaires disparaîtra ce hideux despotisme, cet arbitraire païen qui la déshonore; on verra, au contraire, régner dans son sein la soumission sans servilisme, et la liberté sans licence. Son influence se fera sentir dans le domaine politique, et les sociétés, même au point de vue temporel, ne pourront que recueillir les plus heureux fruits de son influence intellectuelle et morale.

M. Ad. Guéroult n'a pas voulu prononcer irrévocable – ment la mort de l'Eglise. Il permet de croire, sans trop y croire lui-même, qu'elle pourrait se régénérer par un retour à ses institutions primitives, à ses conciles, à l'élection. S'il eût mieux connu ces institutions dont il parle, il aura it moins hésité; il aurait même prononcé hardiment que le clergé actuel, en revenant aux saines doctrines de l'Eglise, qui sont celles de l'Evangile, aux institutions que des circonstances déplorables ont détruites peu à peu, et qui sont tombées enfin complétement sous l'impulsion ultramontaine, que ce clergé serait bientôt régénéré, et que l'Eglise apparaîtrait à tous ce qu'elle n'est restée qu'aux yeux de ceux qui n'ont jamais confondu avec elle le système des jésuites. Nous avons répondu à la question posée par l'Opinion nationale. Il nous a suffi pour cela de distinguer deux choses essentiellement distinctes l'Eglise catholique et le jésuitisme. On ne peut être jésuite ou ultramontain (ce qui est au fond la même chose), et admettre en même temps le principe de la souveraineté nationale; on ne peut donc être en même temps jésuite ou ultramontain et Français. Mais le vrai catholique, celui qui n'admet que la vraie doctrine reçue et professée par l'Eglise d'une manière universelle et permanente, selon l'axiôme catholique, celui-là ne verra rien dans ses croyances qui contredise ce principe; il y

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